Société

Médias : Les cent photos du siècle

Au moment où un jugement de la Cour suprême du Canada vient compliquer le travail des photographes d’ici (et quelques semaines après nous avoir présenté un documentaire partiellement censuré suite à ce fameux jugement), Télé-Québec diffuse une série passionnante consacrée aux photographies qui ont marqué l’histoire du XXe siècle.

Produit par la chaîne franco-allemande Arte, ce documentaire en onze parties nous amène derrière l’objectif, et replace les clichés dans leur contexte sociohistorique. Du portrait romantique de Che Guevara jusqu’aux époux Rosenberg, en passant par le jeune étudiant défiant un tank sur la place Tianan men ou encore, la photo inoubliable d’un enfant juif du ghetto de Varsovie, ces photos, devenues de véritables emblèmes au fil des ans, ont chacune leur histoire.

Avant de devenir le photographe officiel des barbus révolutionnaires à Cuba, Alberto Kordo travaillait dans le milieu de la mode. Planté au beau milieu d’une rue de La Havane, il nous raconte de quelle façon il a pris la fameuse photo du Che. Ses commentaires sont accompagnés d’images d’archives ainsi que d’une entrevue avec le célèbre photographe Toscani, bien connu pour son travail pour Benetton, qui témoigne de l’importance de ce cliché qui a profondément marqué l’histoire de la photographie.

Or, cette photo, une des plus reproduites du XXe siècle, est également reconnue comme étant la plus grande arnaque de notre époque: le pauvre Alberto Kordo n’a jamais reçu un sou. Le photographe avait gracieusement offert sa photo à un éditeur qui s’est empressé, au moment de la mort du Che, de la reproduire à des millions d’exemplaires. Aujourd’hui, ses avocats essaient de lui obtenir une compensation.

Autre photo très touchante: celle de la jeune fille à la fleur manifestant contre la guerre du Viêt Nam devant un barrage policier. Cette photo a été prise par le photographe français Marc Riboud, fondateur de l’agence Magma. Les concepteurs de la série ont également retrouvé la jeune fille à la fleur, qui en profite pour faire un retour sur sa vie.

Au-delà de la petite histoire, cette excellente série fait réfléchir. Au moment d’écrire ces lignes, nous sommes bombardés d’images en provenance de Macédoine et du Kosovo; des images qui nous montrent des êtres sous le choc, entassés dans des camps de fortune. Les caméras scrutent leurs visages, à la recherche de l’image coup-de-poing. Un exemple: cette petite fille qui s’asperge le visage avec l’eau qu’on lui verse dans les mains. La fillette a à peine cinq ans, mais on peut déjà lire une certaine lassitude dans ses gestes. Cette image émouvante a été diffusée des dizaines de fois à la télévision la semaine dernière. Au fil des diffusions, elle a beaucoup perdu de son impact.

Dans Sur la photographie, un essai passionnant publié en 1973, la philosophe américaine Susan Sontag a écrit: «L’immense inventaire photographique de la détresse et de l’injustice dont le monde est rempli nous a, d’une certaine façon, familiarisé avec l’atrocité, en faisant apparaître l’horreur plus ordinaire: familière, lointaine ("Ce n’est qu’une photo"), inévitable. À l’époque des premières photographies des camps nazis, de telles images n’avaient rien de banal. Trente ans plus tard, un point de saturation a peut-être été atteint. Ces dernières décennies, la photographie "engagée" a au moins fait autant pour émousser la conscience que pour l’aiguiser.»
Ce phénomène, que décrivait Sontag au début des années 70, a pris de l’ampleur. La série produite par Arte ne changera pas le cours des choses, mais elle a la qualité de redonner de la substance à des photographies qui font partie de notre imaginaire. Elle nous fait également réfléchir sur notre consommation effrénée d’images et, surtout, sur la perte de sens que cette surconsommation entraîne inévitablement. Début: dimanche 11 avril, 21 h 30. En reprise le samedi suivant à 14 h. Télé-Québec.

Omertà: la fin
La meilleure série québécoise de la saison se termine cette semaine. Le tandem Mihalka-Dionne aura réussi un tour de force: attirer chaque semaine plus d’un million de Québécois avec une série complexe (pour ne pas dire compliquée) et un ensemble d’acteurs peu connus du grand public. On aura ainsi découvert deux nouvelles têtes qu’on n’est pas près d’oublier: Tony de Santis (le taciturne et attachant Jimmy), et l’énigmatique Romano Orzari (Nicky Balsamo), personnage-pivot de la série.

Cela dit, Omertà était loin d’être parfaite. Le talon d’Achille de Luc Dionne: les relations amoureuses, décrites de façon hyper-simplistes par l’auteur: «T’es belle Vicky, pars avec moi Vicky… Oh Vicky… Vicky…» Autre point faible: les personnages féminins, aussi consistants que des poupées de carton: une jeune avocate ambitieuse et autonome se transforme en pitoune de mafia, revêt un déshabillé, et attend son homme en regardant le plafond. Pardon?!

La force de la série: ses personnages de mafieux (colorés, torturés), ses dialogues savoureux (on reconnaît au passage l’influence de Tarantino) et les lieux de tournage originaux. George Mihalka n’a peut-être pas fait preuve de la même rigueur que Pierre Houle, mais ses images étaient loin d’être inintéressantes. Bref, on quitte Omertà avec tristesse, et on attend la prochaine série de Luc Dionne avec impatience. Dernier épisode: lundi 12 avril, 21 h. Radio-Canada.