Société

L’Ass. des collectionneurs d’armes du Bas-Canada : Les boutefeux

Dimanche dernier, des collectionneurs d’armes se sont réunis à Longueuil afin d’exposer et de vendre leurs précieux objets. Parmi ceux-ci: des 12 à pompe, des Magnum, des répliques de Smith & Wesson. Et beaucoup, beaucoup d’artefacts nazis. Une belle sortie pour toute la famille.

«Shame!» ont scandé des milliers de citoyens de Denver, le week-end dernier, devant le congrès annuel de la National Riffle Association (NRA).

Comment les apôtres d’un Far West institutionnalisé pouvaient-ils prêcher leur amour infini des armes à feu, à un coup de sniper de distance du Colombine High School?

Deux semaines seulement après la boucherie?

Only in USA.

Vraiment?

Le jour même, une grande salle de bingo du boulevard Taschereau était investie par l’Association des collectionneurs d’armes du Bas-Canada _ une vieille organisation de muséologues amateurs qui s’échangent des objets de terreur, du canon napoléonien au Rutger dernier cri, en passant par des lances amérindiennes, des écussons militaires, de longs couteaux pouvant égorger des mammouths, des sabres, des petits soldats de plomb, et des bédés.

De façon ponctuelle, l’ACABC tient Salon à Longueuil, pour permettre à ses membres et au public en général de s’offrir l’artillerie dont ils ont envie (ou besoin).

À la fois marché aux puces et foire, l’effet de tombola s’arrête toutefois au physique des lieux. Car on est loin d’une kermesse pour les enfants.

Pas de photos!

Dès l’entrée, nous nous sommes aperçus que nous nous retrouvions derrière les lignes ennemies. Notre photographe s’est fait confisquer son arsenal photographique. Raison officielle: les exposants n’aiment se faire tirer le portrait. Nous aurions préféré le leur demander directement, mais il n’y avait aucune place pour la négociation.

Toujours à l’entrée, près du kiosque de la SQ (qui donnait de l’info sur les nouvelles dispositions de la loi C-68 sur le contrôle des armes à feu), on distribuait des communiqués de presse dénonçant… la presse!

C’est que les organisations de défense des droits de propriétaires d’armes se méfient comme de la peste d’une presse qu’ils jugent complaisante envers le pouvoir politique. «Les journalistes ne savent pas de quoi ils parlent. S’ils rapportaient la vérité, une majorité de Canadiens serait contre la nouvelle loi sur le contrôle des armes à feu», me disent les deux exégètes de la National Firearms Association, la NRA canadienne, qui a son siège social à Calgary, et qui avait délégué de ses représentants unilingues anglais à Longueuil.

Qu’est-ce que les médias devraient nous rapporter, selon la NFA: que la loi C-68 vise à désarmer les citoyens en vue d’imposer un gouvernement mondial? Non, la paranoïa, on laisse ça aux Américains. Au Canada et au Québec, où tout est affaire de taxes et d’impôts, on se contente de dénoncer les coûts de l’application de la nouvelle loi. «L’application de la loi C-68 va coûter un milliard de dollars aux contribuables, s’insurgent les porte-paroles de la NFA. [NDLR: le gouvernement estimait les coûts à 85 millions de dollars, une somme insuffisante, devait-il cependant reconnaître plus tard.] Et tout ça, pour nous protéger contre quoi? Contre rien! Les armes illégales continuent d’entrer à pleins camions grâce à la contrebande.»

Au moins, à la foire de l’Association des collectionneurs d’armes du Bas-Canada, les règles de sécurité sont respectées à la lettre. Les carabines et les fusils sont cadenassés, les gâchettes sont verrouillées à double-tour, les armes de poing sont sous verre.

Heil Hitler!
À notre arrivée, le stationnement débordait. Les Mercedes et les BMW côtoyaient allègrement les luxueux 4 X 4. Il y avait visiblement foule, mais davantage de vendeurs que d’acheteurs, comme le déplorait le propriétaire d’un Lancaster Oval Bore, une arme mi-carabine, mi-fusil, datant de 1865. Le prix affiché, 2000 dollars, était passé à 1600 dollars. «Pour le moment, ça n’a pas eu d’effet, dit le vieil homme en anglais. Avec le beau temps qu’il fait aujourd’hui, je m’attends à ce que les affaires soient mauvaises pour tout le monde…»

Non loin de là, à une table plutôt démunie, un truc étonnant: une photo de mariage du bras droit d’Hitler, le maréchal Hermann Goering! «C’était un chic type, nonobstant ce qu’il a fait à titre de militaire, dit monsieur Paul, un collectionneur d’artefacts militaires du New Hampshire. Dans sa vie privée, c’était un homme de cour, de valeurs et de famille. Il aimait beaucoup ses enfants.» Que c’est rassurant de savoir que même les monstres, fussent-ils compagnons d’armes d’Hitler, ont une morale!

Monsieur Paul dit que les photos et les objets qu’il vend ont été rapportés par des GI, au retour de la Seconde Guerre mondiale. «Ils devraient être dans un musée, par sur ma table», convient-il tout de même.

Cet historien amateur n’est pas seul à triper sur le IIIe Reich. Hitler et sa bande sont les vedettes de l’expo: on y vend des casquettes à l’effigie nazie, de beaux habits «ciel d’orage» ornés de galons, ainsi que des brassards rouges.

On y trouve aussi les poignards officiels des S.S.: vingt centimètres de lame ornées de la croix gammée et du sigle des S.S. Ont-ils servi à la solution finale? Leur triste histoire ne le dit pas.

Des canards plutôt agiles
Les rencontres de l’Association des collectionneurs d’armes du Bas-Canada ressemblent plus à une célébration de l’art militaire, qu’à une réunion de chasseurs cherchant à se débarrasser du vieux fusil de leur grand-père.

Par exemple, à côté de la légitime 30-06 Bolt action de Browning, l’arme la plus populaire auprès des chasseurs d’orignaux, il y avait un 12 à pompe avec deux canons et une crosse tronçonnée, qui permet plus de rapidité dans le geste. Voulez-vous me dire quelle espèce de canards nécessite l’emploi d’une telle arme?

Une heure plus tard, le 12 pompeux avait disparu. Quelqu’un, quelque part au Québec, l’a probablement rapporté chez lui. Chouette…

Une bonne partie des armes exposées (et mises en vente) ne requéraient aucun permis, puisqu’elles étaient des pièces de collection désactivées, aussi inoffensives qu’une canne à pêche. Et parmi celles-ci, quelques objets vraiment rares et, Dieu me pardonne, fort beaux. Des ouvres d’art, rien de moins, il faut l’avouer.

On pouvait aussi se procurer _ sans permis, encore _ les pistolets à air comprimé de Myron Kasok. M. Kasok, également du New Hampshire, a bien tenté de nous vendre des copies de Rolex, mais le gros de son commerce demeure le pistolet à air comprimé, répliques parfaites de vrais pistolets. «Cette arme, fabriquée en Russie, est une réplique exacte d’un Smith & Wesson: même grosseur, même poids, même matériau.» La mystification est totale. D’ailleurs, à 457 mètres/seconde de force de frappe, le pistolet est à 33 mètres de tomber dans la même catégorie que l’arme qu’il copie.

Mais pourquoi se contenter d’une copie quand on peut s’offrir l’original au kiosque de P.A. Lacombe, armurier de Sorel? Pour la première fois de ma vie, j’ai tenu un vrai pistolet dans mes mains. C’était un 357 Magnum, une fabuleuse machine à tuer.

«C’est-tu nécessaire d’être gros comme ça pour me protéger des ours au chalet? Un plus petit ferait pas l’affaire? ai-je demandé à M. Lacombe.

– Tu parles d’un ours, pas d’un siffleux, de répondre l’armurier. Au moins, avec ça, tu ne le manqueras pas!»

Après moi, trois jeunes gars de dix-huit, dix-neuf ans, qui n’avaient pas vraiment le profil de l’ornithologue amateur (Doc Martens, boule rasée), manipulaient la même arme. «Ouin, on n’ira pas à la chasse aux grenouilles avec ça», dira l’un deux. Vous irez chasser quoi alors? Ma question est demeurée sans réponse.