Société

Droit de cité : La vie est Glad

Lorsqu’un jour _ parce qu’il le faudra bien en toute justice – on élèvera un monument à la gloire du pouvoir public, je suggère le petit sac blanc d’épicerie reconverti en sac à ordures comme modèle.

Un beau bronze, sur socle de granite, installé à l’angle de Saint-Michel et Métropolitain. Il serait orné à sa base de deux lions de marbre offerts gratuitement par un quelconque régime unipartiste, moyennant un débours de 45 000 dollars.

Le monument surplomberait le gros trou Miron qui pue la putréfaction à des kilomètres à la ronde et qui, naguère, symbolisait la philosophie barbare du jeter-après-usage.

On pourra ajouter l’éclairage, les panneaux explicatifs et un système antipigeons, soit les mêmes options que pour les arches du quartier chinois. Prix: 590 000 dollars (pour les options seulement. Multipliez par deux pour obtenir le prix total. Cela vaut pour le monument et les arches).

Le troisième oil
Nous qui, chaque jour de notre insignifiante existence, nous saignons à blanc pour donner une microscopique parcelle de sens à nos vies _ en toute futilité, il va sans dire _, nous voilà sauvés par la diligence du Tout-État.
Dans son infinie sagesse, l’administration municipale a vu, par son troisième oil, planer la menace du petit sac blanc. Elle l’interdira. Sa logique est implacable: recyclage obligatoire; donc, moins de déchets; donc, obligation d’utiliser de plus gros sacs à déchets, qui prendront plus temps à se remplir, et qui macéreront plus longtemps dans nos cours arrière.

C’est ce qu’on appelle faire plus avec moins.

De la psychologie du sac à ordures
Regardez-le. Observez-le. Touchez-le. Humez-le. Goûtez-y. Cela fait maintenant quatre-vingt-seize heures en ligne que je l’étudie sous tous les angles. Comment une chose à l’allure aussi inoffensive a-t-elle pu faire pour provoquer un tel mépris?

Il n’y a pas de problèmes à utiliser les petits sacs blancs, nous a affirmé la vice-présidente du comité exécutif, Noushig Eloyan. Dans une gestion saine de développement durable, où le gaspillage est proscrit, on met les petits sacs blancs dans les gros sacs verts, vendus dans un emballage de couleur au magasin, mais qui nous sont remis dans un petit sac blanc après le passage à la caisse. Fiou!

Les petits sacs blancs s’éventrent souvent et les ordures traînent sur les trottoirs, nous a confié madame Eloyan, en nous suggérant d’aller voir dans Côte-des-Neiges.

«Holà! ont rétorqué les sacs blancs du quartier. C’est que les gens nous jettent à la rue n’importe quel jour de la semaine.» Ce qui va à l’encontre du règlement municipal _ règlement que le maire Bourque lui-même avait avoué être difficile à faire appliquer, lors de sa «découche» dans ledit quartier l’été dernier.

Les gros Glad ultrarésistants ne résisteront pas non plus à trois jours d’abandon sur le trottoir. C’est dans la psychologie même du sac à ordures, qui ne supporte pas la solitude: après quarante-huit heures sans surveillance, il devient de la nourriture pour chats, corneilles et rongeurs. Et ballon de soccer pour les enfants.

Pour l’environnement
Les citoyens pris la main dans le sac blanc sont passibles d’amendes de trois cents dollars à la première offense. Mais bon, c’est la qualité de vie des Montréalais et l’environnement qui sont en jeu, après tout.

Par ailleurs, la Ville tient à annoncer qu’elle permet la construction de deux terrains de golf dans le parc-nature de Rivière-des-Prairies.

Qu’elle a appuyé une augmentation du trafic aérien au-dessus de Montréal, pour rapatrier les vols internationaux à Dorval.

Qu’elle ne s’oppose pas au dragage du fleuve malgré les risques de contamination.

Qu’elle était heureuse d’entendre le vrombissement de tous ces avions et hélicos transportant à basse altitude des panneaux-réclame dans le ciel de la ville, lors du dernier Festival de la santé.

Qu’elle permettra la construction de condos dans la forêt du Mont-Royal.

Et qu’elle ne s’oppose pas à l’augmentation du trafic automobile sur les ponts qui relient l’île à la civilisation, notamment par l’élargissement de certains échangeurs et autoroutes; et par la construction d’une nouvelle autoroute, la 25, entre Anjou et Laval. Cela, même si le smog urbain résultant de la combustion de l’essence risque de causer 1900 morts prématurées cet été à Montréal.

Merci de votre attention.

Eurêka!
L’équipe Bourque vient d’établir de nouveaux standards en matière de puérilité des gouvernements.
Quoique… ce fonctionnaire québécois qui avait eu un jour la brillante idée de promouvoir la culture du tubercule auprès des Inuits de l’Ungava était pas mal non plus.

Ou ces idéateurs de la Ville qui avaient dépensé trente mille dollars pour trois pissotières à chiens (permettant ainsi à l’Homme de découvrir que le chien préfère vraiment le poteau de l’Hydro et la borne-fontaine comme appuis au soulagement).

Ou encore le plan de promotion touristique de Pierre Bourque qui consistait à obliger les Montréalais voyageant à l’étranger à laisser, à des points stratégiques – une chambre d’hôtel, une table de restaurant, les toilettes payantes -, des circulaires vantant les beautés de l’oratoire Saint-Joseph et du Palais des nains.
Des expériences qui ne peuvent et qui ne doivent pas être reproduites.

Mais au royaume de la pensée magique, où la philosophie des petits biscuits chinois est le moteur de l’avancement social, rien n’est impossible.