Transport en commun : Cul-de-sac
Société

Transport en commun : Cul-de-sac

Alors que le réseau routier de la région montréalaise est saturé, nombreux sont ceux qui aimeraient voir le transport en commun prendre le relais. Malheureusement, ce dernier n’a pas les moyens d’attirer de nouveaux usagers. Faudra-t-il faire payer les automobilistes pour remplir les coffres de la STCUM?

Le transport en commun n’a plus la cote. Il y a trois ans, on a même enregistré le plus bas taux d’utilisation depuis les années 70. Maintenant que le bas prix de l’essence et l’expansion des banlieues ont consacré le règne de l’automobile, plus de 65 % des travailleurs de la région métropolitaine utilisent leur véhicule pour se rendre au travail, alors qu’à peine 20 % empruntent le transport en commun.

«Montréal demeure pourtant une des villes où l’achalandage du transport en commun a le moins décliné en Amérique du Nord, affirme Normand Parisien, président de Transport 2000, un organisme qui se veut le principal porte-parole des usagers du transport en commun. Cependant, ces chiffres traduisent un problème et nous nous devons de renverser cette tendance.»

Renverser la tendance est devenu un impératif dont plus personne ne conteste l’importance. Aux heures de pointe, les 1,2 million de véhicules qui franchissent quotidiennement les différentes voies d’accès à l’île se retrouvent agglutinés dans des bouchons de circulation toujours plus denses. Gaspillage d’essence, perte de production, pollution: en février, une étude réalisée dans la grande région de Montréal pour le compte du ministère des Transports a révélé que les coûts sociaux engendrés par les adeptes du pare-chocs à pare-chocs s’élèveraient à plus de 700 millions de dollars annuellement. «Et c’est toute la société qui en paie le prix», déplore Normand Parisien.

Si j’avais un char…
On pourrait croire que l’automobile est utilisée pour des trajets plus longs que le transport en commun. Or, il n’en est rien: pour se rendre au travail, les automobilistes de la région métropolitaine parcourent en moyenne 7,4 kilomètres, contre 7 kilomètres pour les travailleurs qui utilisent le transport en commun.
Selon Odile Paradis, chef des affaires publiques à la STCUM, les campagnes publicitaires menées par les géants de l’industrie automobile font en sorte que posséder une auto est maintenant perçu comme une nécessité. «Les compagnies d’automobiles disposent d’énormes ressources publicitaires. En comparaison, nos campagnes ne font carrément pas le poids. Forcément, ça fait pencher la balance du côté de l’automobile», dit-elle, en soulignant que le nombre de ménages possédant deux voitures augmente année après année. Selon Transport 2000, le tarif du transport en commun a augmenté de 33 % depuis le début des années 80 (plus une hausse de 2,5 % depuis le début du mois d’avril), tandis que le coût réel de l’essence, lui, a chuté de 36 % au cours de la même période.

Pendant que les concessionnaires se frottent les mains, la STCUM fait surtout parler d’elle pour les ratés de ses autobus à plancher bas, et l’absence de tarif réduit pour les étudiants _ pas de quoi convaincre les mordus du volant de se convertir aux bienfaits du transport collectif.

«Le système de transport en commun souffre effectivement d’un problème d’image, croit Normand Parisien. Les déboires des autobus à plancher bas ont laissé un goût amer aux usagers. Ces autobus ont été conçus pour une clientèle captive, celle qui, de toute façon, n’a pas le choix de prendre l’autobus. Il va falloir revaloriser ce moyen de transport.»

Imbroglio politique?
Pour la seule région métropolitaine, une vingtaine d’organismes s’occupent du transport en commun. «Le tableau est complexe, ça demande donc un leadership très fort de la part du ministère des Transports pour asseoir tout le monde à la même table, affirme Normand Parisien. Pour l’instant, on dénote un manque flagrant de cohésion: on peut parler d’une anarchie plus ou moins organisée.»

Selon lui, une révision de fond en comble du système de transport en commun s’impose. «On a beau vouloir faire de la promotion, il ne faut pas oublier que le système de transport en commun actuel n’est pas prêt à accueillir de nouveaux usagers. Si, demain matin, 10 % des automobilistes se mettaient au transport en commun, ce serait la pagaille et personne ne serait satisfait du résultat.»

À la fin du mois de mars, le ministre des Transports, Guy Chevrette, a annoncé un investissement de 170 millions de dollars pour le transport en commun et le transport adapté dans la région de Montréal. «Cet argent-là, on l’utilise pour payer l’épicerie! lance Odile Paradis. Par exemple, les tarifs intermédiaires pour étudiants nous coûteraient environ six millions de dollars par année, et nous ne les avons tout simplement pas. Les municipalités de la CUM ont atteint leurs capacités de payer: il va falloir trouver d’autres sources de revenus pour rendre le transport en commun plus attrayant et accroître son utilisation.»

Déjà, les idées affluent. En décembre dernier, la présidente de l’Agence métropolitaine de transport, Florence Juncat-Adenot, disait qu’elle souhaitait voir les automobilistes contribuer davantage au financement du transport en commun de la région métropolitaine. Elle soutenait qu’une augmentation d’un cent du prix de l’essence procurerait trente millions de dollars de revenus. Odile Paradis est d’avis que ce serait un pas dans la bonne direction. «Le transport en commun, tout le monde en profite, donc tout le monde doit y contribuer. Les automobilistes aussi, puisqu’il y a moins de véhicules sur les routes, donc moins de bouchons.»

«Il faut une solution à plusieurs volets, croit pour sa part Normand Parisien. Pour le moment, le ministère des Transports ne sait même pas combien le transport en commun rapporte dans les coffres du gouvernement, parce que les chiffres sont inclus dans l’ensemble de la comptabilité du réseau routier; alors qu’aux États-Unis, plusieurs États font faire des études précises sur les transports en commun.»

D’ici juin, le ministre Chevrette devrait avoir terminé sa consultation et un rapport devrait suivre peu après. Normand Parisien demeure sceptique. «Ça fait un an que le ministre repousse la date où il nous présentera un plan de gestion des déplacements pour la région métropolitaine. On commence à avoir hâte.»

Métro, impôt, auto
L’auto est bien implantée dans nos mours: même l’impôt la favorise! Selon la loi fiscale canadienne, les employés qui bénéficient d’un espace de stationnement payé par leur employeur n’ont pas à calculer ce gain dans leur revenu: ils ne paient donc pas davantage d’impôt. Cependant, si un employeur fournit un laissez-passer pour le transport en commun, cette dépense est calculée dans le revenu et devient imposable!

Selon l’Association canadienne du transport urbain (ACTU), cette politique fiscale favorise injustement l’utilisation de l’automobile comme moyen de se rendre au travail. Depuis plusieurs années, l’ACTU, ainsi que plusieurs groupes environnementaux, organismes de santé et représentants gouvernementaux, ont fait savoir au ministre des Finances qu’ils souhaiteraient que la loi soit modifiée. Un sondage Environics a d’ailleurs récemment fait état que 73 % des Canadiens appuyaient l’initiative.

Aux États-Unis, une telle mesure a déjà fait ses preuves et beaucoup de travailleurs ont choisi d’emprunter le transport en commun pour se rendre au travail.

Proposée en novembre dernier par le député néo-démocrate Nelson Riis, la motion concernant l’exemption d’impôt sur les laissez-passer de transport en commun fournis par les employeurs a été largement appuyée par la Chambre des communes, le 20 avril dernier, recueillant 240 des 265 voies exprimées. Michael Roschlau, président-directeur général de l’ACTU, s’est déclaré satisfait de l’issue du vote: «Nous sommes très encouragés par ce résultat, qui représente un fort message au gouvernement concernant l’importance du transport en commun.»