Société

Droit de cité : L’inconfort de l’indifférence

Il en va des grèves comme de la pluie verglaçante: elles doivent bloquer des routes pour que l’État s’en préoccupe.

Ainsi, quand les cols bleus de la Ville de Montréal ont débrayé sauvagement en février dernier, par un petit matin de verglas, c’était tout le Québec qui était aux abois: la Ville, le Conseil des services essentiels, le ministère du Travail ont tous volé au secours des centaines de milliers d’automobilistes prisonniers d’un enfer de glace.

À défaut d’avoir du génie, le geste syndical avait au moins un mobile: permettre aux cols bleus de la Ville d’appuyer leurs camarades de l’Office municipal d’habitations de Montréal (OMHM), alors en grève depuis plus de six mois.

Hein? Des cols bleus étaient encore en grève? Non, pas eux: d’autres bleus, qui font partie du même syndicat que ceux de la Ville. L’employeur de ces cols bleus-là n’est pas la Ville, mais l’OMHM. Qui, malgré la confusion causée par son nom, n’est pas municipale, mais provinciale, parce que financée à 90 % par Québec. Vous me suivez?

Enfin, tout ça est inextricable, comme c’est souvent le cas dans les affaires de l’État; mais, en gros, cela se résume ainsi: au cours des dix derniers mois, les HLM de Montréal étaient laissées à l’abandon. Au propre comme au figuré.

Aujourd’hui, la grève des cols bleus des HLM tire à sa fin – après dix mois et, ironie du sort, au moment même où leurs camarades de la Ville «purgeaient» leur peine pour leur grève sauvage de février.

À vos marchettes, locataires!
L’OMHM est une petite organisation parapublique. Une naine à l’échelle de l’appareil étatique: à peine 400 employés, dont les 135 cols bleus en question, pour s’occuper de 18 000 logements où vivent plus de 30 000 personnes – des pauvres, parce que c’est la condition sine qua non pour pouvoir habiter ces logements. Pauvres, parce qu’incapables de créer leur richesse: surtout des vieux, mais aussi des handicapés, des immigrants, ou des gens nés sous une très très mauvaise étoile.

La grève a relativement eu peu d’impact sur les quelque 32 000 locataires. Pendant dix mois, les employés d’entretien ne déneigeaient plus les entrées des tours à HLM, pas plus qu’ils ne les déglaçaient; les chutes à déchets n’étaient plus vidées; les ampoules grillées propageaient la noirceur de couloir en couloir; les aires communes, comme les tapis de corridors et les planchers des salles communes, s’encrassaient…

Le calvaire? Pas vraiment. Des locataires ont pris la relève des syndiqués et abattu une bonne partie de la sale besogne. Comme cette dame de 65 ans qui, avec sa marchette, allait voir ses voisins qui ne pouvaient pas se déplacer afin de descendre leurs déchets à la rue.

L’opposition à l’Assemblée nationale a eu beau interpeller la ministre du Travail au sujet des HLM de Montréal (que le libéral Christos Sirros qualifiait «de véritables soues à cochons»), l’affaire n’a pas fait beaucoup de vagues. Le gouvernement et le peuple se sont autant intéressés aux HLM que la Saskatchewan aux problèmes des pêcheurs de la Côte-Est.
C’est pour ça qu’à Québec et à Montréal (la ville siège au conseil d’administration de l’OMHM, avec ses 10 % de contributions financières), on a laissé pourrir la situation. De sorte que les locataires des tours à loyer modique ne pouvaient compter que sur eux-mêmes.

Ça allait là où il y avait une association de locataires. Mais ailleurs, c’était plus problématique… Les problèmes s’accumulaient au même rythme que les sacs à déchets. On craignait même le retour de la vermine et des coquerelles.

La lune s’il le faut…
Il aura fallu que les habitants des HLM vivent dix mois dans la crasse pour que les vieux aient enfin l’oreille attentive de la ministre du Travail, Diane Lemieux.
Et jamais celle du syndicat. Au-delà des slogans creux du genre «Éliminons la pauvreté, signons la pétition!», la solidarité syndicale s’arrête entre syndiqués eux-mêmes: pas question pour eux de respecter les services essentiels, parce que la loi ne les y oblige pas. Même si c’étaient de plus pauvres qu’eux qui payaient la note de leur grève.

Les 22 % d’augmentation de salaires et la semaine de 37 heures et demie offerts par la partie patronale représentaient trop peu pour qu’ils se soucient des dommages collatéraux de leur grève.

De sa cellule à Bordeaux, où il était emprisonné pour d’autres actes, Jean Lapierre, président du syndicat des cols bleus, a réussi à faire parvenir ce message d’espoir et d’appel à la résistance aux locataires: «Cessez de payer votre loyer afin de forcer la main à l’OMHM.» Un peu comme s’il voyait en chaque vieillard un révolutionnaire à recruter…

De leur côté, les locataires se sont bien gardés de prendre parti. Qu’importe s’il fallait que le gouvernement décroche la lune par décret aux syndiqués, l’important était que cesse la grève, Grand Dieu!

Bien, voilà, c’est fait.