Société

Entreprises sur le Net : Toile de fond

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à «plonger dans la vague Internet» en s’offrant un site Web. Pourquoi? Parce que tout le monde le fait. Et, à défaut d’être utiles ou intéressants, certains sites ne manquent pas de faire sourire…

Qu’ont en commun Internet et la sauce barbecue? Beaucoup de choses, si l’on en croit la compagnie Kraft. La célèbre multinationale américaine s’est en effet dotée d’un site Web dernier cri dans lequel une section est entièrement consacrée à ses différentes sortes de sauces barbecue. On peut notamment y faire la connaissance de Todd Leaf, trente ans, heureux gagnant du «Kraft Barbecue Sauce 1998 Flavor Search Contest», qui y professe ses «conseils de cuisson Kraft». Les internautes dont l’ordinateur est suffisamment puissant pourront goûter pleinement aux avantages qu’offre le multimédia en entendant Todd chanter, sur un air endiablé, les vertus du badigeonnage de la sauce Kraft sur des pork chops…

«C’est de la folie! croit Catherine Leconte, programmeuse de sites Web. Mais pour ces entreprises, les coûts reliés à de telles opérations sont insignifiants. Les gens se font faire un site Web parce que tout le monde en parle, parce que c’est in. Ceci dit, je ne cracherais pas, moi non plus, sur un contrat avec une multinationale si jamais l’occasion se présentait…»

Selon Claude Gélinas, administrateur en technologies de l’information, les entreprises s’offrent une vitrine sur le Net parce que c’est peu coûteux, et que ça permet d’aller chercher les consommateurs là où ils sont. «Tant que les clients poseront des questions, le Web sera le meilleur médium pour leur répondre sans frais, en tout temps, et avec éclat. Pour ce faire, les compagnies utilisent plusieurs recettes, comme l’humour, l’information, les forums de discussion, ou encore les témoignages. Les approches varient mais le but est toujours le même: rejoindre les consommateurs branchés, parce que leur profil économique est souvent très désirable.»

Et les résultats sont franchement tordants. Soucieuse d’enrichir le vécu cybernétique des internautes, la compagnie Procter & Gamble propose un site sur le savon Tide, où plusieurs «services» sont offerts. On frissonne de plaisir à l’idée de pouvoir s’inscrire «tout à fait gratuitement» sur une liste d’envoi électronique qui nous fera parvenir par courriel des«trucs-de-bonnes-copines pour faire disparaître une tache de Tabasco sur de la rayonne», savamment truffés de publicité pour Tide.

Claude Gélinas souligne également que le fait d’avoir un site Internet peut permettre à une compagnie de récolter une mine d’information sur les gens qui s’intéressent à ses produits, information dont elle se servira ensuite pour mieux cibler sa clientèle. «Est-ce qu’il s’agit d’étudiants, d’hommes, de sportifs, de fumeurs? Il est très facile de le savoir en posant quelques questions interactives auxquelles une partie des visiteurs répondent.»

L’interactivité est d’ailleurs à l’honneur dans la section «bouche à oreille» du site de Tide, où l’internaute est invité, par le biais d’un vote en ligne, à répondre à la question suivante: «Qui, dans votre foyer, s’occupe du lavage?»

N’importe-quoi.com
Avoir un site est une chose, faire en sorte que les internautes y aillent en est une autre.

La compagnie Procter & Gamble l’a compris, et a fait enregistrer pas moins de cent noms de domaines (.com) qui débouchent tous sur son site. Résultat: les internautes qui prennent l’initiative de taper des adresses telles badbreath.com, germs.com, pimples.com, diarrhea.com, ou sensual.com se retrouvent tous chez Procter & Gamble. Et la compagnie a même pris soin d’enregistrer des noms de domaines mal orthographiés, histoire d’être certaine que même les internautes illettrés puissent venir leur rendre visite. Une étude réalisée par le magazine américain Wired a par ailleurs révélé que, des 25 500 mots standard du dictionnaire anglais, seulement 1760 ne sont pas enregistrés comme noms de domaines.

«Les grosses compagnies ne connaissent rien à Internet, croit un designer de sites Web montréalais qui désire garder l’anonymat. Elles procèdent par appels d’offres, et les entreprises qui font des sites envoient leurs soumissions. Nous, à la limite, on se fout que le contenu soit pertinent ou non. Ce sont habituellement des contrats très lucratifs, et, comme il faut faire l’entretien du site périodiquement, ça nous procure des revenus réguliers. La règle est simple: plus la compagnie est grosse, plus on demande cher!» dit-il, avouant avoir déjà majoré ses tarifs de 20 % «rien qu’en voyant la tête du client».

Un site commercial de base se vend généralement moins de dix mille dollars, alors que la facture d’un site plus complexe avec graphisme raffiné et vente en ligne grimpe à plus de soixante-quinze mille. Aux États-Unis, les secteurs qui profitent le plus du Web sont le transport aérien, le marché des actions, les ordinateurs, la location de voitures et l’achat de livres.

Le grand vainqueur de cette ruée vers le Web est finalement l’internaute qui, confortablement assis devant son écran, peut accéder à une mine d’information en quelques clics de souris.

Sur le site de Kleenex, on apprend qu’un rouleau de papier de toilette contient mille petits carrés; sur celui de Scope, que la bouteille s’ouvre en pressant le bouchon tout en le tournant dans le sens contraire des aiguilles d’une montre; M. Net nous propose de télécharger un économiseur d’écran publicitaire à son effigie, tandis que Clearasil répond, dans une ambiance techno, à nos questions concernant les boutons…

Mais la palme du Net douteux revient sans conteste à la compagnie Heinz: sur son site, elle s’est dotée d’une section «manchettes» dans laquelle on peut lire des «nouvelles». Le plus sérieusement du monde, elle annonce en primeur, le 9 mai 1999, directement de Middlesex, Angleterre, que «de récents progrès techniques chez Heinz sonnent le début de la fin pour les ouvre-boîtes». Ouvre-cacanes de tous les pays, unissez-vous…