Société

Labos de photos : Profession: voyeur

Chaque été, les laboratoires de photos développent des millions de films dont vous êtes les vedettes. Certains employés en voient de toutes les couleurs…

Avec l’arrivée des vacances estivales, les laboratoires de photos s’apprêtent à développer des centaines de milliers de films de plus que lors de la saison hivernale. De ce nombre, beaucoup de partys de bureau, de mariages et de tours Eiffel, bien entendu. Mais aussi plusieurs photos plutôt osées, et parfois très compromettantes, que les employés affectés au contrôle de la qualité doivent systématiquement visionner dans le cadre de leur travail.
Officiellement, ces employés sont tenus au silence. Tout ce qu’ils voient doit demeurer entre les quatre murs du laboratoire. C’est donc sous un pseudonyme que certains ont accepté de dévoiler leurs secrets_ «Plusieurs clients s’imaginent que le développement de photos se passe dans l’anonymat le plus complet, explique l’un deux. Ce n’est pas vraiment le cas!»

La journée de travail d’un contrôleur de qualité dans les gros laboratoires commence souvent le soir, après la récolte des films, et se poursuit tard dans la nuit. Les rouleaux de photos s’engouffrent d’abord par milliers dans d’immenses machines, desquelles ils ressortent après quelques étapes, développés. C’est alors que les contrôleurs entrent en jeu. Leur tâche: vérifier la qualité du développement, jeter les mauvaises photos et les faire reprendre. Un travail parfois fastidieux, puisque les photos déroulent à un rythme d’enfer devant eux. En une seule soirée, un seul employé peut ainsi en voir défiler des milliers.

Bonjour la vie privée
«C’est un vrai portrait de la société, lance Red, employé d’un gros labo de Montréal. Tu vois des images de tous les événements, des plus banals aux plus hard.» Les photos de vacances, de fêtes et de mariages viennent en tête de liste. Il y a aussi beaucoup de cas d’assurances, des murs fissurés, des portes brisées. Mais certaines photos sont beaucoup plus juteuses_ «Tu entres vraiment dans la vie intime de tout le monde», résume Roberto, un ex-employé des Pros de la Photo, la plus importante entreprise du genre au Québec (elle développe tous les films confiés aux pharmacies de la province). «J’ai vu des orgies, des trips à trois, à quatre. Le plus souvent, ce sont des amoureux qui se font photographier en pleine action…»

«Parfois, les photos ne sont pas agréables à voir, raconte Sylvain, un autre contrôleur de qualité montréalais. J’ai vu plusieurs cas de violence sexuelle, de sadomasochisme. Des fois, on voit des victimes d’accident assez amochées merci.» Il a aussi vu un fotus mort, et même des photographies prises après un suicide, l’un des moments les plus difficiles depuis son embauche.

D’une façon générale, les laboratoires de photo tolèrent les photographies qui impliquent des adultes consentants. «C’est la vie privée des gens, ça ne nous regarde pas», affirme Robert St-Andréa, directeur du service à la clientèle aux Pros de la Photo. Les employés ont toutefois la consigne de rapporter toutes les photographies à caractère pédophile. «Légalement, on n’a pas le droit de posséder du matériel qui contient de la pédophilie. On va donc dénoncer les gens qui possèdent ce genre de photos aux autorités. Ça fait même partie de la formation des contrôleurs de qualité.»

Même consigne chez Costco (anciennement Club Price), qui développe des millions de photographies dans ses laboratoires situés dans une trentaine d’entrepôts au Québec, en Ontario et dans les provinces atlantiques. «Il n’y a pas de vérifications systématiques, mais si les employés voient quelque chose de douteux, ils doivent le rapporter à leur supérieur», explique François Villeneuve, vice-président au marketing.

Des cas de conscience
Mais où tracer la ligne entre la pornographie infantile et une simple photo d’enfant prise par un parent? «Des fois, ce n’est vraiment pas évident, raconte Sylvain. Le superviseur vient voir, on se pose la question. Doit-on oui ou non appeler la police?» En 1996, un employé d’un Club Price avait dénoncé un médecin qui avait pris des photos indécentes d’une jeune fille. L’affaire avait défrayé les manchettes et le docteur Blondin avait par la suite été radié pour trois ans du Collège des médecins.

Personne à l’époque n’avait remis en cause le jugement de l’employé du Club Price. Mais le plus souvent, les contrôleurs de qualité nagent en eaux troubles dans ce type de cas. Ainsi, il y a quelques années, un père avait été plongé dans la tourmente parce qu’un employé de laboratoire avait assimilé à de la pornographie infantile des photos où l’on voyait son jeune fils nu. Il était alors allé les porter à la police, qui s’était rapidement rendu compte que les photos avaient été prises_ par la mère de l’enfant!

Pour éviter de tels problèmes, de plus en plus de gens se tournent vers les sex-shops, qui offrent parfois un service de développement discret. Plusieurs font d’ailleurs des affaires d’or. «On a énormément de clients depuis quelques années, remarque un employé du sex-shop X-Tasy, boulevard Saint-Laurent à Montréal. Les gens viennent nous voir parce qu’ils savent qu’ici, on ne les censurera pas.» Pas certain toutefois que ce service soit vraiment plus anonyme qu’ailleurs, puisque les sex-shops envoient le plus souvent les photos à des laboratoires_ qui doivent eux-mêmes les visionner pour en assurer la qualité!

Heureusement, il restera toujours les bons vieux polaroids_