La consanguinité chez les Québécois : Tous frères et sours!
Société

La consanguinité chez les Québécois : Tous frères et sours!

On dit souvent que les Québécois forment une petite famille. Eh bien, c’est vrai. Selon les chercheurs en généalogie, la plupart des Québécois ont un ou plusieurs ancêtres communs. Notre sang est tricoté serré…

Les touristes français s’en amusent quand ils mettent les pieds au Québec pour la première fois. Ils saisissent l’annuaire Bell et le parcourent avec des yeux hilares: des pages et des pages couvertes des mêmes noms. Partout, des Tremblay, des Roy, ou encore des Vigneault – pour ne citer que ceux-là -, à en avoir le tournis. Et les touristes de se donner des coups de coude en ironisant: «Comment retrouver un pote quand on n’a que son nom et son prénom? T’imagines le nombre de coups de fil nécessaires pour tomber sur le bon…»

Et nous, nous retournons la moquerie en nous vantant d’avoir tous quelques gouttes de sang célébrissime qui coulent dans nos veines. Et pas n’importe lesquelles! Céline Dion, Roch Voisine et Madonna – excusez du peu – ont en effet un ancêtre commun, un ancêtre canadien-français, plusieurs études généalogiques en attestent. Si bien que chaque Québécois a une chance, en cherchant bien, de se trouver lui aussi une parenté lointaine avec ces stars planétaires.

Une chance? Mais quelle chance exactement? Eh bien, toutes les chances. Comme l’indique le nouveau Dictionnaire généalogique des familles du Québec, écrit par René Jetté: «Presque 100 % des Québécois ont un ou plusieurs ancêtres communs. On trouve toujours un cousinage éloigné avec un personnage célèbre, notamment ceux qui sont à l’origine de la fondation de la province.»

«Consanguinité lointaine»
L’arrivée des premiers colons – essentiellement des Français venus des régions du Nord-Ouest, comme la Normandie, la Bretagne et le Poitou – date du XVIIe siècle. On ne connaît pas le nombre exact de ces immigrants, mais un bref calcul permet de l’estimer. Si l’on considère qu’il y a à peu près trois générations par siècle et que nous sommes actuellement près de sept millions de Québécois, cela signifie que le nombre total de nos ancêtres est de 4 096! Un chiffre qui varie selon les spécialistes en généalogie, le plus cité tournant autour de 5 000.

De toute façon, un chiffre ridiculement petit et dont les effets pervers se sont accentués en raison de la prédominance de certains couples beaucoup plus prolifiques que d’autres.

Un exemple suffit pour le démontrer: la plupart des familles québécoises possèdent dans leur arbre généalogique un couple prolifique, comme celui formé par Zacharie Cloutier et Xainte Dupont, au XVIIe siècle. Ce couple a eu une descendance si nombreuse que, même si on ne s’appelle pas Cloutier, on a de très fortes chances de compter dans sa famille au moins un membre descendant de ce couple mythique!

Se pose alors la terrible question: sommes-nous tous frères et sours? Bernard Brais, directeur de l’Institut interuniversitaire de recherche sur les populations, ne laisse planer aucun doute: «On peut dire sans exagérer outre mesure que nous sommes tous de la même famille ou, du moins, que nous avons tous des liens communs.» Il précise cependant qu’il ne s’agit pas là de consanguinité stricte, mais plutôt de «consanguinité lointaine». Résultat: une certaine spécificité dans la nature des maladies génétiques qui affligent la population québécoise.

Le cas du Saguenay
Le problème vient d’une immigration relativement homogène sur un territoire neuf. Comme l’illustre parfaitement la situation au Saguenay-Lac-Saint-Jean, la mieux étudiée grâce au programme BALSAC de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui a mis sur ordinateur tous les arbres généalogiques de la région depuis la colonisation. Cette dernière résulte de trois étapes fondatrices…
Un: le déplacement de la France vers la Nouvelle-France, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Deux: une partie des habitants de la région de Québec émigre sur les côtes de Charlevoix, à partir du XVIIIe siècle, afin d’y défricher des terres vierges. Trois: ces émigrants de Charlevoix décident de pousser plus loin, pour la même raison, à partir de 1840, et s’implantent au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Cette poignée de pionniers à l’origine de toute une population a nécessairement contribué à accroître la fréquence de certains gènes.

Bernard Brais précise: «On trouve ici des maladies qui sont moins fréquentes ailleurs, mais l’inverse est aussi vrai, c’est-à-dire que les habitants du Saguenay-Lac-Saint-Jean sont épargnés par certaines maladies communes dans d’autres régions du Québec. Cela résulte du jeu de cartes qu’on leur a donné au départ: moins de cartes, mais chacune d’entre elles revient plus fréquemment.»

La véritable particularité du Saguenay-Lac-Saint-Jean, c’est que la situation est maintenant bien connue. Tout simplement parce que les équipes de recherche en généalogie et en génétique ont réalisé un travail complet. Si bien que beaucoup de Québécois croient – à tort – qu’il n’y a que cette région de concernée. En réalité, la situation est similaire dans nombre de coins de la province, mais on ne le sait pas encore car les études scientifiques ne sont pas achevées…

Tout est finalement une question de métissage. Dans une ville comme Montréal, où les Anglos et les étrangers représentent la moitié de la population, l’opportunité de fonder un couple dont l’homme ou la femme n’est pas de souche québécoise est accrue. Le risque de transmission de tares génétiques diminue alors de manière considérable. En revanche, dans une ville comme Québec, où les Anglos et les étrangers ne représentent que 9 % de la population, le risque est beaucoup plus élevé. Et quand on songe à certaines familles de l’île d’Orléans, si fières d’être toujours restées là depuis l’arrivée des premiers colons français…

Cette «consanguinité lointaine» pose par conséquent un lourd dilemme pour certains: quelle satisfaction peut-on maintenant retirer d’être pure laine?

Les plus grands généalogistes du monde se trouvent à Salt Lake City (Utah). Dans une montagne de granit de 1 800 mètres de haut, enfoncée à 210 mètres sous terre, ils ont enfoui leurs archives, les plus complètes qui soient. Documents paroissiaux, registres d’état civil, actes de naissance et de décès, greffes de tribunaux, etc. Des documents qui concernent plus de deux milliards d’individus nés un peu partout sur la planète!

Objectif: baptiser leurs ancêtres et, ainsi, les doter rétroactivement d’un sauf-conduit pour le Paradis. Si bien que nos propres ancêtres, lesquels ont sans doute donné un jour naissance à un futur Mormon, ont toutes les chances de figurer dans les archives de cette Église – donc, d’avoir été baptisés par elle.
Récemment, les Mormons ont ouvert un site sur le Web donnant accès à 400 millions de noms qui figurent dans leurs archives. Une initiative qui peut se révéler d’une grande aide pour les amateurs de généalogie. L’adresse est la suivante: http://www.family-search.org.