Jean Drapeau (1916-1999) : Métro, Expo, J. O.
Société

Jean Drapeau (1916-1999) : Métro, Expo, J. O.

Comme chaque fois qu’une personnalité meurt, on a transformé Jean Drapeau en saint. Or, quoi qu’en dise La Presse, l’ex-maire de Montréal n’avait pas que de bons côtés. LOUIS FOURNIER et DINU BUMBARU jettent un regard critique sur le règne du père de l’Expo.

Jean Drapeau a fait de bons coups: le métro, l’Expo 67, la Place des Arts. Mais il n’était pas un saint, au contraire: on n’a qu’à penser au démantèlement sauvage de Corrid’Art, au rôle qu’il a joué dans la Crise d’octobre ou à son mépris des règles élémentaires d’urbanisme…

Louis Fournier, auteur du livre FLQ: Histoire d’un mouvement clandestin, a bien voulu nous rappeler certains côtés un peu plus sombres du personnage, question d’aller plus loin que le concert d’éloges qui suit habituellement les funérailles.

«Monsieur Drapeau avait une conception de la démocratie très particulière, nous dit-il. C’était un homme très autoritaire. Le 17 octobre 1955, à l’occasion d’un débat quelconque à l’hôtel de ville, Louis Laberge, alors conseiller municipal indépendant, s’est levé pour dire que monsieur Drapeau dirigeait les séances du conseil comme un dictateur. Le maire lui a demandé de retirer ses paroles, ce qu’il a refusé. Louis Laberge a donc été expulsé de force de la salle! C’était la première fois de l’histoire de Montréal qu’un conseiller était ainsi expulsé.»

Cette anecdote, qui s’est déroulée un an à peine après l’élection de Jean Drapeau, alors jeune avocat, annonçait bien tout ce qui allait suivre…

«Monsieur Drapeau a fait beaucoup contre les groupes progressistes, ajoute Louis Fournier. Il ne tolérait pas l’opposition. En 1969, il a instauré un règlement anti-manifestation, qui interdisait toute manif à moins d’avoir une autorisation de la police! Heureusement, ce règlement a fini par être déclaré illégal.»

La Crise d’octobre de 1970, qui éclate en pleine campagne électorale municipale, servira de prétexte à Jean Drapeau pour éliminer son opposition. «Certains candidats avaient des chances d’être élus, raconte Louis Fournier. Afin de s’en débarrasser, le maire n’a pas hésité à affirmer que leur parti, le FRAP, était une couverture du FLQ. Il faut se rappeler que la Ville a été la première à demander que soit instaurée la Loi des mesures de guerre…» Quelques candidats ont été arrêtés sur ces simples accusations, et les élections ont permis au parti de Jean Drapeau de ravir la totalité des sièges à l’hôtel de ville. «Ça, c’est un conseil municipal comme je les aime!» aurait affirmé monsieur Drapeau.

La folie des grandeurs
Dinu Bumbaru, directeur d’Héritage Montréal, un organisme qui travaille à la sauvegarde du patrimoine métropolitain, est lui aussi critique envers l’héritage du maire Drapeau. «Au début, il était de son époque, soit celle du modernisme, où on rasait des édifices pour les remplacer», dit-il.

À Héritage Montréal, on considère toutefois que son règne n’a été ni tout noir ni tout blanc. «C’est lui qui, le premier, a reconnu la valeur de certains édifices du Vieux-Montréal, avant même le gouvernement du Québec. Mais, parallèlement, il était prêt à démolir le Marché Bonsecours! C’est de peine et de misère que ses conseillers l’ont convaincu de ne pas aller de l’avant avec son projet. Il avait aussi prévu une autoroute sur la rue Saint-Paul…»

«Jean Drapeau était obsédé par les grands équipements, mais il a laissé se dégrader les infrastructures de la ville. Les nids-de-poules des années 80, c’est lui qui les a causés!» Le mont Royal aussi a souffert. «Il était en ruine, négligé et en état d’abandon généralisé, affirme le directeur d’Héritage Montréal. Monsieur Drapeau voulait construire une autoroute sur le mont Royal, et il l’a fait en partie avec la voie Camillien-Houde. Il avait même pensé y élever une tour pour rivaliser avec la tour du CN de Toronto!»

Quand on lui parle du projet, présenté par un citoyen, de renommer la rue Sherbrooke rue Jean-Drapeau, Dinu Bumbaru s’indigne. «La rue Sherbrooke a été massacrée par monsieur Drapeau! Près de cent ormes qui bordaient la rue Sherbrooke Est ont été abattus par son administration, et Montréal a perdu beaucoup de très belles maisons anciennes pendant son règne – comme la Maison Van Horne, située au coin de Sherbrooke et Stanley, qui a été démolie pour être remplacée par un immeuble insignifiant! On a perdu trente-cinq mille maisons comme ça.»

Quelques jours avant les Olympiques, la rue Sherbrooke a aussi été le lieu d’un geste qui en dit long sur le personnage. Corrid’Art, une exposition en plein air qui bordait la rue Sherbrooke, du centre-ville au Stade, contenait un volet polémique qui dénonçait certaines destructions d’édifices. «Or, au nom de la sécurité publique, monsieur Drapeau a fait démolir Corrid’Art en pleine nuit, à moins de quarante-huit heures de l’ouverture des Jeux!»

«Par sa façon de régner, Jean Drapeau a forcé la société à s’organiser. C’est peut-être sa contribution indirecte à la démocratie montréalaise…», conclut Dinu Bumbaru.

Un fils spirituel?
Cela dit, plus ça change, plus c’est pareil. En effet, selon Louis Fournier, «on ne peut pas dire que le parti du maire Bourque soit plus démocratique que ne l’était le Parti civique. Bourque est un fidèle disciple de Jean Drapeau. Il s’inscrit dans la même tradition, mais il n’a pas le rapport de force qu’avait l’ex-maire…»

Dinu Bumbaru est plus sévère: «Au moins, Jean Drapeau était un produit de son époque. Pierre Bourque, lui, est complètement dépassé!»

Mais que l’actuel maire dorme sur ses deux oreilles. Lorsqu’il passera l’arme à gauche, nous n’aurons que des mots tendres pour ses réalisations, et oublierons toutes ses gaffes…