La Simplicité volontaire : Pour la suite du monde
Société

La Simplicité volontaire : Pour la suite du monde

À une époque où il est presque banal de travailler soixante heures par semaine, et où la piscine est toujours plus bleue dans la cour du voisin, de plus en plus de gens choisissent de tourner le dos à l’American Dream et d’adopter un mode de vie frugal. Pour Serge Mongeau, auteur de La Simplicité volontaire, c’est même plus qu’un pied de nez au système: c’est une question de survie.

«Jusqu’ici tout va bien,
Jusqu’ici tout va bien,
Jusqu’ici tout va bien.
Tout ça, c’est pour dire que l’important,
c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.»
– La Haine, de Mathieu Kassovitz

16 mars 1999. Pendant cinquante-huit secondes, l’indice Dow Jones, le pouls de l’économie américaine, défonce pour la première fois de l’Histoire le plafond mythique des dix mille points. Les investisseurs jubilent. «C’est passionnant, c’est étourdissant!» confie un analyste à un reporter du magazine Business Week. «Les gens ont toutes les raisons du monde d’être optimistes: tout va pour le mieux!» rajoute un économiste. Et pourtant.

Loin des petits fours et des flûtes de champagne, de plus en plus de gens remettent en question l’éden que nous promettent nos sociétés d’abondance. Et si nous faisions fausse route? Et si, justement, tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles? «Partout, on nous dit qu’il faut consommer, consommer, consommer! Même le gouvernement martèle sans arrêt que la croissance de l’économie doit être d’au moins 3 % par année, alors qu’il faudrait plutôt qu’elle décline d’au moins 3 %!» explique Serge Mongeau, médecin, éditeur, conférencier et auteur de La Simplicité volontaire: plus que jamais (Écosociété), une référence pour tous ceux qui s’intéressent au mode de vie frugal de la simplicité volontaire. Son précepte? Travailler moins, gagner moins, dépenser moins. et regarder le soleil se coucher autrement qu’à travers un pare-brise, bloqué au milieu d’un pont.

L’erreur générale
«Le gouvernement parle le même langage que les patrons: il nous traite de mauvais citoyens quand on ne consomme pas assez, poursuit Mongeau. Il veut que nous fassions marcher la roue, mais ça implique quoi, à long terme, faire marcher la roue? Nos élus sont muets là-dessus. Peut-être parce qu’à long terme, ils ne seront plus là pour ramasser les pots cassés…»

À la course effrénée aux profits et à la surconsommation, les adeptes de la simplicité volontaire opposent un projet de vie dépouillée, centré sur l’humain et non sur les possessions matérielles. Mais, pour Serge Mongeau, simplicité volontaire ne rime pas avec pauvreté. «Le côté volontaire est très important. Il faut choisir de vivre dans la simplicité, il ne faut pas y être contraint. J’ai toujours choisi de mener une vie frugale, même si j’avais de plus grandes entrées d’argent par moments. Vivre simplement m’a donné une formidable opportunité: celle d’avoir le choix de ce que je faisais. Je n’ai jamais travaillé pour de l’argent, mais pour faire des choses que j’aimais. S’il y avait un salaire rattaché à ça, tant mieux. Sinon, tant pis!»

Publié une première fois en 1987, La Simplicité volontaire a été réédité en 1998: en plus de doubler de volume, la deuxième mouture est maintenant affublée du sous-titre: plus que jamais. La simplicité volontaire serait-elle encore plus urgente aujourd’hui qu’il y a dix ans? «Tout à fait. Les chantres du néolibéralisme nous disent que plus la tarte sera grande, plus va y avoir de miettes qui nourriront les pauvres. Mais c’est de la pure démagogie. L’écart entre les pauvres et les riches ne cesse de s’accroître, et rien ne semble indiquer que la situation va changer. Nous n’avons pas besoin de continuer à augmenter la production. C’est un constat auquel arrivent tous les écologistes sérieux: on utilise aujourd’hui plus de ressources que la terre ne peut en produire. C’est exactement ce que dénonce Richard Desjardins dans le film L’Erreur boréale, mais à l’échelle de la planète. On mange notre capital au lieu de manger les intérêts produits par ce capital. Il faut moins consommer.»

La modération a bien meilleur goût
Selon Serge Mongeau, sortir de la spirale de la consommation et choisir de vivre simplement et sobrement provoquent un effet d’entraînement: avec moins, on vit mieux.

«Au lieu de nous laisser influencer par la publicité, par la mode et par ce que les autres vont penser de nous, nous choisissons de vivre hors du rang, de marcher à notre rythme. En vivant avec moins, on se rend compte qu’on a plus de temps pour soi, et aussi pour faire des choses qui nous font économiser davantage! Par exemple, en faisant sa cuisine soi-même, on évite d’acheter des plats préparés; quand on bricole, on n’achète pas des produits finis; quand on fait son jardin, on mange mieux et ça coûte moins cher.»

Vivre simplement revient-il à vivre dans la marginalité? «Ce n’est pas aussi marginal qu’on pourrait le croire, répond Mongeau. Beaucoup de gens commencent à faire des choix de simplicité volontaire, mais ils ne le crient pas sur les toits. Les gens en ont assez de passer l’essentiel de leur vie à travailler pour payer les biens qu’ils accumulent: on ne croit plus au bonheur préfabriqué et vendu en magasin. Présentement, un des best-sellers au Québec est le tout dernier livre du dalaï-lama. C’est plutôt révélateur…»

Une des pierres d’assise de la simplicité volontaire est l’importance d’établir des liens avec sa communauté. En s’entraidant, on économise. Pour illustrer ses propos, Serge Mongeau utilise l’exemple d’une bibliothèque. «Calculez l’argent que vous sauvez si vous utilisez les services d’une bibliothèque de quartier, au lieu d’acheter vos livres en librairie… C’est ce genre d’économies que l’on fait quand on tisse des liens avec sa communauté. Aujourd’hui, les couples qui ont des enfants dépensent une bonne partie de leur salaire en services de gardiennage. Ils courent le matin pour aller les déposer, les reprennent le soir alors qu’ils sont eux-mêmes fatigués de leur journée. C’est pas une vie! Pourquoi ne pas s’arranger avec des voisins pour faire une rotation et garder les enfants à la maison chacun son tour? Pourquoi ne pas faire des épiceries collectives? Les solutions existent, il faut se les approprier…»

Dans les faits, par contre, c’est peut-être un peu plus compliqué. Aujourd’hui, les patrons embauchent moins, et préfèrent inonder de travail les employés déjà en poste. On peut donc se demander s’ils seraient chauds à l’idée de réduire la charge de travail d’un employé pour lui permettre de regarder pousser ses plants de basilic.

«Les mentalités ne changeront pas tant et aussi longtemps que l’on n’aura pas exigé qu’elles changent, répond Mongeau. Quand j’étais directeur d’un CLSC, je me souviens qu’un poste d’infirmière à temps plein s’était ouvert. Une infirmière ayant plusieurs enfants en bas âge voulait occuper le poste, mais en séparant son horaire en deux avec une autre. Elle a été obligée de se battre pendant des mois avec son syndicat, qui a fini par accepter. Je crois que quand les gens en auront vraiment ras le bol de passer leur vie à travailler comme des fous pour se payer des choses dont ils n’ont pas réellement besoin, les choses vont vraiment commencer à changer.»


Simple comme bonjour

Quelques extraits du livre La Simplicité volontaire: plus que jamais

*L’achat est devenu en lui-même une activité, avec ses lieux privilégiés qui se donnent de faux airs de fête, avec ses moments désignés où les consommateurs peuvent communier à l’euphorie collective de la consommation: Noël, Pâques, la fête des Mères, la Saint-Valentin, l’Halloween.

* [En choisissant de ne pas avoir d’auto], j’ai calculé qu’entre 1974 et 1994, j’ai économisé au minimum cent dix mille dollars – sans compter les intérêts -, en ne tenant compte que des coûts annuels établis par le CAA.

*Beaucoup d’objets et surtout d’appareils à usage peu fréquent pourraient être achetés en groupe – voisins, parents ou amis; chacun les utilise à tour de rôle et partage avec les autres leur entretien. Il est regrettable de voir, dans les banlieues, des séries de maisons avec chacune sa piscine, sa tondeuse à moteur, sa souffleuse à neige, etc.