Société

Endettement étudiant : Argent sonnant

La dette moyenne d’un étudiant québécois a augmenté d’environ 40 % depuis le début de la dernière décennie. Et un diplômé sur dix n’arrive pas à rembourser son emprunt. À la sortie des institutions scolaires, les étudiants ont beau avoir un diplôme en main, ils se retrouvent parfois avec beaucoup de dettes sur le dos. Un lourd fardeau.

«Étudier, c’est s’enrichir.» Voilà le slogan accrocheur longtemps mijoté dans les bureaux du ministère de l’Éducation du Québec lors de sa création en 1964. Aujourd’hui, des étudiants et des intervenants du milieu scolaire en rient. «Étudier, c’est s’endetter!» ont-ils plutôt envie de scander. À preuve, selon une étude de Statistique Canada de 1998, 10 % des étudiants n’arrivent pas à rembourser leurs dettes d’études et 14 % éprouvent de la difficulté à y parvenir. Si tous s’entendent pour dire que la machine des prêts et bourses est bien huilée, il reste tout de même des grains de sable dans l’engrenage.
L’année 1966 marque une première dans les annales de l’éducation au Québec: la loi sur l’aide financière est adoptée. Quelque 48 000 étudiants se voient attribuer 26 millions de dollars en prêts garantis par le gouvernement. Trente-deux ans plus tard, la donne a bien changé. En 1998, 166 000 étudiants poursuivant des études postsecondaires ont eu droit aux chèques gouvernementaux, soit un étudiant sur deux. Quelque 571 millions de dollars leur ont été déversés en prêts et 254 millions en bourses.
Qui dit prêts dit aussi dettes. À combien s’élève la facture totale des ex-étudiants? Deux milliards de dollars. D’après les données de Statistique Canada de 1998, les diplômés contractent une dette moyenne de 11 600 dollars, 38 % de plus par rapport à 1990. Mais quand on se compare, on se console. Un bachelier québécois accumule une dette moyenne de 12 000 dollars, comparativement à une charge de 17 000 dollars pour son confrère de l’Ontario et 24 000 dollars pour son collègue de la Nouvelle-Écosse.
Reste qu’avec les années, les diplômés québécois accumulent plus de dettes. Et pour plus longtemps. En 1982, 27 % des étudiants avaient remboursé leurs dettes deux ans après la fin de leurs études, alors que seulement 17 % y sont parvenus en 1995. Le pourcentage diminue toujours. «C’est compréhensible quand on pense que, pour un ex-étudiant, les vrsements sont de plus en plus élevés et grugent de 15 à 50 % du revenu d’emploi», souligne Daniel Baril, président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ).

Krach
«Si les dettes d’études des Québécois ont monté, c’est en partie à cause de la hausse de frais de scolarité du début des années 90», indique Daniel Baril. Le gouvernement de Robert Bourassa a effectivement fait passer de 944 à 1 539 dollars le coût par année des études à temps plein à l’université. À ce chapitre, les étudiants québécois n’ont pourtant pas, semble-t-il, à rechigner. Les frais de scolarité de la province sont les plus bas en Amérique du Nord et il en coûte 3 180 dollars en moyenne dans le reste du Canada.
Choyés, les étudiants québécois? «Pas vraiment, répond Daniel Baril. Il faut analyser le contexte économique. Le taux de chômage chez les jeunes est l’un des plus élevés au Canada [17,2 % chez les 15-24 ans en 1998]. De plus, le quart des diplômés ne gagnent pas beaucoup plus que le salaire minimum et ne travaillent pas trente-cinq heures par semaine.» D’après Bernard Frenette, responsable des communications à l’aide financière aux études du gouvernement, le nombre d’étudiants au parcours scolaire long et tortueux augmente sans cesse, d’où une inflation des dettes.
Lorsque le montant dû prend des proportions quasi gigantesques, des étudiants font parfois fi de leurs obligations. En fait, le gouvernement engloutit 45 millions de dollars dans des mauvaises créances d’étudiants qui bien souvent n’ont pas obtenu de diplôme. Près de 40 millions s’envolent aussi au profit d’étudiants qui fuient la province sans rembourser un sou. L’exode des cerveaux prend ici une tout autre allure! Les fonctionnaires chargé de retracer les «mauvais payeurs» sont même débordés. «Près de 14 % des étudiants connaissent des défauts de paiement, affirme Bernard Frenette. Nous pouvons économiser beaucoup en les retrouvant.»
Paralysés, les étudiants lourdement endettés ont longtemps envisagé lafaillite comme expédient pour les soulager de leur fardeau. «Le nombre de faillites chez les étudiants a connu une augmentation de 557 % entre 1990 et 1997», indique Dany Trépanier, conseiller budgétaire et porte-parole en matière d’endettement à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de la Rive-Sud de Québec. Mais faire banqueroute, ce n’est plus ce que c’était. En mai 1998, le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur la faillite. Avant, le recours à la faillite effaçait les dettes d’études. Maintenant, la faillite efface vos dettes… sauf vos dettes d’études, que vous devez continuer de rembourser pendant dix ans. Bref, les étudiants y pensent maintenant à deux fois avant de tacher leur dossier de crédit, surtout quand la dette principale est celle des études.
«Depuis 1998, nous avons réduit de moitié le nombre de faillites, qui se chiffre actuellement à 2 400, raconte Bernard Frenette. Au gouvernement, nous atteignons nos objectifs d’économie.» Mais derrière l’épargne se cache la discrimination, selon Dany Trépanier. «C’est un droit fondamental que celui de faire faillite. Même ceux qui ont des dettes de jeu peuvent y recourir! Les étudiants n’ont plus aucune porte de sortie.» La FEUQ a même voulu monter au front pour dénoncer cette mesure, mais le projet a avorté, faute de moyens pour se présenter devant les tribunaux contre Ottawa.

But: déficit zéro
Comme le dicton «mieux vaut prévenir que guérir» s’applique à peu près à tout ce qui existe, l’endettement étudiant n’y échappe pas. «Nous faisons parvenir régulièrement des relevés du montant dû et des scénarios de remboursement pour que l’étudiant sache où il en est», indique Bernard Frenette. La sacro-sainte prévention ne suffit toutefois pas. À la base, d’après Daniel Baril, le remboursement paraît trop arbitraire. «Un étudiant est obligé de rembourser à l’intérieur de dix ans. L’institution financière divise le montant de la dette et indique le montant mensuel à payer. C’est parfois assez élevé, surtout por une mère monoparentale.»
Pourtant, un programme de remboursement différé permet à un étudiant fraîchement diplômé de bénéficier d’un sursis avant le début de son remboursement et d’ainsi éviter de payer les intérêts de sa dette. Instauré en 1981, il connaît un essor depuis peu. «Entre 1990 et 1997, le nombre d’étudiants qui se sont prévalus de ce programme a augmenté de 500 % pour atteindre 22 000, note Daniel Baril. C’est un bon recours.» Par contre, cette mesure est restreinte. Elle ne s’adresse qu’aux étudiants dont les revenus sont inférieurs à 1 105 dollars par mois et s’étend sur une période limitée. «C’est pourquoi elle devrait être bonifiée pour s’appliquer à une plus large clientèle», avance-t-il.
En attendant cette bonification, les Bourses du millénaire commencent à être distribuées. «Chaque année, 80 000 étudiants de niveau postsecondaire verront leur endettement diminuer de 600 dollars en moyenne grâce à ce programme», indique Bernard Frenette. Un pas en avant, d’après Dany Trépanier, mais non une panacée.
C’est pourquoi des pistes de solutions sont présentement esquissées. Plusieurs intervenants du milieu scolaire prônent la création d’une taxe postuniversitaire pour les ex-étudiants sur le marché du travail, dont le pourcentage du prélèvement dépendrait du revenu. «Elle permettrait de financer le système des prêts et bourses, affirme Daniel Baril. À la FEUQ, c’était notre premier remède au problème d’endettement.»
Par ailleurs, le remboursement proportionnel au revenu gagne de plus en plus d’appuis. Il s’agit d’un mode de remboursement des prêts par le truchement de l’impôt, dont les versements s’ajustent selon les revenus du diplômé. Ce système fait actuellement ses preuves en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Suède. «Nous étudions sérieusement cette option», admet Bernard Frenette. «C’est évident que la solution passe par là, lance Dany Trépanier. Sauf que ce système risque de ne jamais être implanté, parce qu’il chambarde tout le fonctionnement actuel du gouvernement. Et lui, i ne change pas très vite.»