Société

La violence dans les écoles : Pas de chicane dans ma cabane

Les tueries dans les écoles, surtout américaines, font régulièrement les manchettes. Pour contrer ce phénomène, des experts favorisent les méthodes fortes, détecteurs de métal en tête. Mais le tout récent Centre international de résolution de conflits et de médiation de Montréal préconise, à l’inverse, une méthode douce: la formation d’enfants médiateurs dans les écoles. Diplomates en herbe.

Dans deux cent cinquante écoles primaires et secondaires du Québec, un gang de jeunes frappe. Son nom? Pas les Bad Boys. Ni même les Rough Students. Il s’agit plutôt des Médiateurs. Un titre banal, certes, mais assez significatif pour démontrer que ces gangsters font la loi dans les cours d’écoles. Ils se rangent par contre davantage du côté des bons que de celui des méchants.

C’est que ces diplomates en herbe représentent la solution trouvée par le Centre international de résolution de conflits et de médiation de Montréal (CIRCM) pour prévenir la violence dans les écoles. Formés par le Centre, armés de bons sentiments et vêtus de dossards orange, les enfants médiateurs deviennent des ambassadeurs de la réconciliation. Des chicanes à propos de cartes Pokémon aux bousculades pendant une partie de ballon-chasseur, en passant par les guerres d’injures, les enfants médiateurs doivent trouver un terrain d’entente entre les jeunes en conflit. Une solution québécoise qui fait ses preuves ici… et ailleurs dans le monde.

La technique Moreau
Détecteurs de métaux. Gardiens de sécurité. Caméras de surveillance. Le CIRCM a refusé de faire la promotion de ces méthodes pour lutter contre la violence dans les écoles. Trop répressives, pas assez actives. Créé il y a à peine un mois, le CIRCM prend plutôt le relais du Centre Mariebourg, organisme qui se voue à la cause des enfants, afin d’étendre à une plus grande échelle le programme «Vers le pacifique» qui a débuté en 1992. Son objectif? Apprendre aux jeunes comment régler leurs différends autrement que par des coups de poing.

«Former les jeunes pour qu’ils résolvent eux-mêmes leurs conflits, c’est une nouvelle approche, même si elle existe depuis une vingtaine d’années aux États-Unis, affirme Claude Moreau, directeur du CIRCM. En fait, c’est la première solution à la violence où les jeunes sont entièrement impliqués. C’est pourquoi nous nous y sommes intéressés.» Depuis huit ans, vingt-cinq mille élèves ont été sensibilisés à ce programme dans deux cent cinquante écoles du Québec. Cette année, le Centre prévoit doubler ce nombre.

Et son expansion ne s’arrête pas là. De Montréal-Nord, où le programme a débuté, le CIRCM se tourne vers le monde. En collaboration avec le Centre d’études et de coopération internationale (CECI), Claude Moreau s’apprête à implanter le programme au Pérou. Et des discussions s’ouvrent avec la Bolivie et la Colombie. L’automne dernier, Claude Moreau s’est même rendu au Kosovo pour transformer de jeunes Albanais en «petits casques bleus». «C’est une urgence là-bas, car les enfants se battent à l’image des adultes qu’ils ont vus durant la guerre», souligne-t-il.

Le 10 mars, il vantera les mérites de son programme à Paris, lors d’un colloque de l’UNESCO. Des représentants de banlieues de Paris et de villes du Québec songent même à étendre la «technique Moreau» à des quartiers complets. Mais pourquoi un tel engouement? «Notre technique est populaire, car elle responsabilise les jeunes dans leurs relations et les outille afin de résoudre leurs problèmes.»

Programme chargé
Le programme «Vers le pacifique» du CIRCM est réglé au quart de tour. Tout d’abord, les éducateurs du Centre procèdent à la formation des professeurs pour qu’ils soient en mesure d’enseigner aux enfants l’abécédaire de la résolution de conflits. À l’intérieur de trois à huit ateliers de cinquante minutes chacun, les élèves se voient ensuite exposer les dessous d’un conflit. «Souvent les jeunes ne sont pas capables d’identifier leurs sentiments et c’est là que les coups peuvent sortir, indique Sophie Robitaille, éducatrice au CIRCM. Nous leur apprenons donc à exprimer sainement leur colère et à dialoguer. Les élèves étudient en plus les bases de l’empathie et de l’écoute.»

Mais pour démêler les élèves qui en ont déjà assez sur les bras avec les mathématiques, quatre conseils simples sont élevés au rang de mantras: se calmer, se parler, chercher des solutions, et en choisir une qui convienne aux deux parties. Une étape de plus et les élèves sont formés à régler les divorces à l’amiable! «Les jeunes n’ont plus besoin des adultes pour trouver et imposer des solutions, note Sophie Robitaille. C’est plus valorisant et moins punitif.»

Une fois les ateliers terminés, les classes choisissent les élèves qui vont devenir des médiateurs à partir de qualités comme le leadership et l’impartialité. Les élèves présélectionnés par vote passent devant les éducateurs du Centre pour une entrevue de sélection. C’est du sérieux! «Ils suivent ensuite une formation de dix heures pour pratiquer des techniques de communication, indique Sophie Robitaille. Finalement, ils entrent en fonction de une à deux journées par semaine, durant les récréations, sous la supervision des adultes évidemment.»

Océan pacifique
«Maintenant, il y a moins de bagarres dans la cour d’école», lancent en choeur Joseph, onze ans, et Raphaël, dix ans. Ces jeunes de l’école primaire Hochelaga font partie des quelque 781 médiateurs formés au Québec par le CIRCM. Dans cette école de 350 élèves, les «agents de la paix» sont intervenus à 311 reprises depuis l’implantation du programme il y a trois mois. «Quand il y a une chicane, je discute avec les personnes pour régler l’affaire, affirme Joseph. La solution que je choisis souvent, c’est des excuses et une poignée de main.»

Les deux comparses sont unanimes: l’ordre et la sécurité règnent dans la cour d’école. «Avant, plusieurs élèves disaient des gros mots et se donnaient des coups, souligne Raphaël. Mais aujourd’hui, mes amis se parlent calmement. Ils me disent qu’ils se sentent plus en sécurité grâce à nous.» Selon des représentants de l’école, les altercations physiques et verbales diminuent et les enfants expriment plus leurs émotions que leur force.

«Félicitations pour votre beau programme!» s’exclament alors les responsables des écoles à l’endroit de Claude Moreau. Pour vérifier l’affirmation, «Vers le pacifique» a été mis à l’épreuve. Une évaluation a été menée l’année dernière à son sujet par une équipe de chercheurs du département de psychopédagogie de l’Université de Montréal et de la Direction de la Santé publique de Montréal. Les chercheurs ont noté que le programme entraîne des «retombées positives sur les jeunes» et que «les enfants ont augmenté leurs compétences sociales et leurs habiletés à résoudre les conflits».

Le directeur du CIRCM avoue pourtant que son programme ne constitue pas une fin en soi, ni une solution miracle. «Il existe des limites, note Claude Moreau. Pour les jeunes délinquants ayant des troubles de comportement, pour qui la violence est un mode de survie, il faut plus que ça. Mais, grâce à la prévention, nous parvenons sûrement à faire en sorte que des jeunes ne deviennent pas violents. Et avant même de penser à installer des détecteurs de métal, il faut agir à la base, même si ça ne règle pas tout. C’est ce que nous prônons.»


Des statistiques frappantes
Quelques données témoignent du problème préoccupant de la violence dans les écoles:
* D’après le psychologue Zopito Marini de l’Université Brock en Ontario, entre 10 et 20 % des enfants seraient victimes d’intimidation à l’école, allant de la moquerie à l’agression physique. Et 80 % des épisodes de violence dans la cour d’école ne seraient pas portés à l’attention des adultes.
* De 1996 à 1998, quatre-vingt-dix cas d’agressions de professeurs ont été signalés à la Commission des écoles catholiques de Montréal (aujourd’hui Commission scolaire de Montréal).
* En 1997, d’après Statistique Canada, 22 % des victimes de violence de la part de jeunes ont été agressées dans une école.
* Selon le Service de police de la CUM, sur 112 000 jeunes de 12 à 17 ans de l’île de Montréal, 5600 sont inculpés chaque année pour des crimes violents. Plusieurs cas de violence entre jeunes ne sont toutefois pas rapportés, surtout à l’école, les victimes hésitant à porter plainte.