Sommet de la jeunesse : Après l'orage
Société

Sommet de la jeunesse : Après l’orage

Le Sommet de la jeunesse s’est terminé sur un semblant de «consensus» arraché à la dernière minute par la peau des dents. Quatre jeunes observateurs nous disent ce qu’ils ont pensé de tout ce cirque.

Un Sommet bien plat
Tommy Chouinard, journaliste, vingt et un ans

Il faut que les jeunes s’impliquent en politique pour ne pas se faire fourrer. Le ministre de l’Éducation, François Legault, a servi un avertissement clair aux jeunes dès le début du Sommet du Québec et de la jeunesse. «Message reçu 5 sur 5!» ont répondu les participants. Si le gouvernement croyait que les jeunes étaient de simples pantins au service d’une récupération politique, il s’est gouré.

Le Sommet avait bien mal débuté. Entre autres, deux animateurs sortis tout droit des infos publicitaires ont présenté l’explorateur Bernard Voyer, qui s’est lancé dans un exposé magistral sur l’horizon. Zzzzz… Mais les jeunes participants ne se sont pas laissé endormir, réclamant la tenue de débats concrets, la (trop?) longue liste d’épicerie oblige. Un pied de nez envers l’organisation du Sommet. Une situation qui démontre que le gouvernement est décroché de la réalité de la jeunesse. Désolant.

Le soir venu, une manifestation, qui se voulait au départ pacifique, a tourné au vinaigre. Des trouble-fête ont commis des gestes disgracieux et inexcusables. Comme quoi il est plus facile pour eux de tout casser que de s’expliquer. Malgré tout, cette manifestation exprime la détresse de jeunes qui se sentent exclus des lieux de décision. Sommet ou pas.

Car il ne faut pas se leurrer, la «jeunesse» ne représente pas une masse homogène. Le Sommet en a fait la preuve. À l’intérieur et à l’extérieur du Centre des congrès de Québec, deux réalités se sont affirmées avec des méthodes bien différentes. Douces du côté des participants; fortes chez les contestataires. Entre les deux, la majorité des jeunes a joué le rôle de spectateurs, doutant de l’utilité du Sommet et attendant des politiques concrètes.

Mais qui a gagné à l’issue du Sommet? Les jeunes? Non. Bien que les participants aient discuté ferme dans les corridors, ils ont obtenu ce que le gouvernement pensait leur accorder avant même d’avoir donné le coup de départ à la grand-messe. Le gouvernement alors? Non plus. Certes, il a tout écouté. Mais n’a pas tout compris. Il a sorti la valise de billets verts pour contenter les jeunes, sans comprendre les enjeux. Il ne faut surtout pas lui demander à quoi servira le «fonds jeunesse» de 240 millions de dollars. Un projet fourre-tout.

D’ailleurs, il y a fort à parier que le gouvernement est présentement en train de soupirer. Un soupir de soulagement accompagné de la fameuse réplique: «Enfin, c’est réglé!» Erreur: l’espoir de se faire entendre auprès des décideurs grandit chez les jeunes. Ils voudront sûrement reprendre la partie. Mais pas dans le cadre d’une rencontre artificielle comme un sommet. C’est certain.

Les vraies questions escamotées
Martin Lavoie, étudiant, vingt-trois ans

Malgré tout ce que l’on a dit, le Sommet du Québec et de la jeunesse et le contre-sommet qui l’accompagnait sont des échecs. Le seul point positif est que la population a été sensibilisée aux problèmes des jeunes pendant une ou deux semaines. Et encore… Les a-t-on vraiment ciblés, ces problèmes? Je suis sûr que si l’on demandait à un passant d’identifier les problèmes auxquels font face les jeunes Québécois actuellement, sa réponse serait vague et imprécise.

Première déception: le Sommet. Le gouvernement avait déjà tué le Sommet le dimanche 20 février en réunissant le milieu financier, histoire de s’entendre sur un montant global destiné à satisfaire les revendications des jeunes. Une telle attitude indiquait d’ores et déjà que les enjeux majeurs du Sommet seraient financiers. Résultat: les deux derniers jours du Sommet ont ressemblé à une négociation de convention collective entre les fonctionnaires de l’État et le gouvernement. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas un réel besoin de réinvestir en éducation, mais tous les problèmes de notre génération ne résident pas seulement dans ces faits. A-t-on parlé du taux anormal de suicide chez les jeunes? A-t-on fait savoir aux chefs syndicaux que leurs conventions collectives nous condamnent à la précarité et à la pauvreté? A-t-on tenté de réfléchir sur les moyens à prendre pour faciliter la transition entre une population vieillissante très nombreuse et une population jeune beaucoup minoritaire? On s’est contenté d’effleurer ces thèmes…

Deuxième déception: le contre-sommet. Au lieu de soulever ces questions, le contre-sommet a plutôt servi à dénoncer les jeunes qui participaient au Sommet. On a passé notre temps à nous demander lesquels, des policiers ou des manifestants, avaient été agressés les premiers, et à chialer sur le fait que «le gouvernement ne nous écoute pas, nous, les pauvres». À quoi pense-t-on? Croit-on vraiment que le gouvernement pourrait s’asseoir avec tous les jeunes de la province et discuter avec eux comme au confessionnal pour apprendre que Pierre n’a pas pu mettre de beurre sur son pain hier, et que Marie est endettée de vingt-cinq mille dollars? Il faut forcément des porte-parole, et, à partir de ce moment, il est évident que toutes les personnes représentées par ces porte-parole ne peuvent être pleinement satisfaites. Que voulez-vous, c’est comme ça: dans le contexte politique actuel, on ne peut rien obtenir du gouvernement sans entrer dans le fonctionnement du mécanisme décisionnel gouvernemental.

Je ne crois pas que ce soit en injectant trois cents millions par-ci et un milliard par-là qu’on va susciter un débat de société sur l’avenir des jeunes et la place qu’on leur laisse dans cette société. On ne fait encore que masquer un problème plus profond.

Effet mode
Catherine Szacka-Marier, étudiante, vingt ans

Il n’y a que quelques jours que le Sommet du Québec et de la jeunesse s’est terminé. Qu’en retient la population? Pas grand-chose, si ce n’est le ridicule de l’affaire: un rassemblement pour la jeunesse où, par mégarde, on a omis d’inviter la jeunesse!

Certains, particulièrement au courant, se souviennent avoir entendu parler d’un certain milliard qui sera investi dans l’éducation, ou encore, d’un vaste programme de stage parainé par les entreprises privées. Or, c’est plutôt comme un souvenir fade, voire amer, que ce rassemblement demeurera dans notre mémoire collective.

Et pourquoi une telle déception? Parce que Lucien Bouchard et son équipe se sont planté le doigt dans l’oeil. Voulant gagner la faveur de notre classe démographique, il se sont mis à dos une jeunesse qui se rappellera longtemps la fois où ces messieurs ont organisé un gros party auquel ils n’étaient pas invités. Au Sommet, ils ont parlé des jeunes, en ont consulté quelques-uns pour se donner bonne conscience, et ont conclu, se frottant la bedaine de satisfaction, un soi-disant consensus.

Pourtant, l’exercice aura tout de même permis à la jeunesse de se faire entendre, mais seulement à l’extérieur des murs du sélect sommet (où, répétons-le, il y avait à peine 34 % de jeunes de moins de trente ans). Bien sûr, il y a eu les manifestations dont tous ont eu vent; mais aussi plein de jeunes qui, de manière plus pacifique, en ont profité pour s’exprimer. C’est que le monde médiatique québécois les a littéralement pris d’assaut. Ces derniers jours, on a fait que ça, parler des jeunes.

Dans Voir, un grand sondage (qui en a fait jaser plus d’un); dans Le Devoir, des récits intitulés «jeunesse au sommet» où l’on nous présentait des jeunes au quotidien peu orthodoxe; dans La Presse, des capsules où on leur donnait la parole sous forme de questions-réponses. Au petit écran, Droit de parole, Le Point et Le Téléjournal ont brassé beaucoup de mots et d’images sur ces jeunes qui ont participé au sommet parallèle. Bref, une vraie mode, grande tendance cette semaine: parlez-nous des jeunes et on achète.

Voila donc ce qui a rendu le Sommet intéressant. Non pas l’exercice hautement politico-protocolaire que nous proposait l’establishment, mais plutôt le crémage, le pré, le post et le para sommet, le happening comme brassage d’idées, la prise de pouls avant la soi-disant prise de mesures concrètes. Dommage que notre gouvernement n’ait pas saisi l’occasion de s’offrir une vraie consultation où la jeunesse aurait pu dominer l’avant-scène… On a beau être jeunes, minoritaires et, selon les sondages, très peu impliqués socialement, on est quand même capables de geuler quand on s’aperçoit qu’on est en train de «se faire fourrer»!

Merci pour les bonbons
Stéphanie Debien-Dubé, étudiante, vingt ans

Le Sommet de la jeunesse est passé, je dirais même qu’il est passé tout droit, complètement «à côté d’la traque».
Le gouvernement savait déjà où il s’en allait, mais il a quand même cru bon d’accorder aux jeunes quelques minutes de son précieux temps, question de paraître intéressé à notre cause. C’était quand même joli, ces sept cents jeunes en toile de fond, mais il ne faudrait pas oublier de mentionner qu’ils étaient là à titre d’observateurs et qu’ils n’avaient aucun droit de parole. Mais ça, il ne faut pas le dire, pas plus que le fait que la jeunesse ne comptait que quarante-quatre participants sur un total de quatre-vingt-quinze. Sommet de la jeunesse, monsieur Bouchard?
Beau décor pour vos prochaines élections, monsieur le premier ministre, mais je crois que, malheureusement pour vous, certains jeunes se sont aperçus de vos talents d’acteur et qu’ils seront tentés, le moment venu, de vous lever leur majeur bien haut en se rappelant qu’ils n’ont pas toujours été les bienvenus à votre table.
Et parlons-en, de cette fameuse table de concertation où toute une partie de la jeunesse a été oubliée. À votre table, que des jeunes bien comme il faut, délégués d’organismes officiels. Jamais il ne vous serait venu à l’esprit d’inviter un ou deux squeegees, des étudiants endettés par-dessus la tête ou encore des jeunes de la rue. Oh non, voyons, ils vous auraient rappelé qu’ils existent, et vous préférez les oublier.
Oubliez donc aussi la pauvreté qui les afflige, ainsi que notre petit crochet à côté de votre nom le jour des élections. Ne vous surprenez pas si les salles de scrutin ne pullulent pas de jeunes; nous sommes dégoûtés et n’avons plus l’impression de pouvoir faire grand-chose pour changer la situation. Bien sûr, nous organisons des sommets parallèles, tenons bien haut de belles pancartes bien décorées, crions très fort de beaux slogans, mais vous avez les yeux clos et les oreilles bouchées, et, comble de l’innocence, vous êtes surpris lorqu’un cocktail Molotov atterrit dans vos quartiers.
D’accord, ce n’est sûrement pas la meilleure solution, mais pour ne pas en arriver là, il vous aurait fallu avoir le courage de regarder un peu autour de vous et prendre ainsi conscience de la colère qui bouillonne à l’intérieur de plusieurs d’entre nous.
L’avenir, paraît-il, appartient aux jeunes… Ah oui? Merci beaucoup. Merci pour la belle assiette, mais où est le repas? Bref, un joli contenant vide, comme la plupart de vos promesses politiques.