Une nouvelle langue de bois : Contre la pensée «jeune»
Société

Une nouvelle langue de bois : Contre la pensée «jeune»

Au Québec, nous sommes passés du clivage gauche/droite au clivage jeunes/vieux. Et si le monde n’était pas aussi simple? Pour en finir avec la pensée «jeune»…

Ceux qui cherchaient une preuve d’un corporatisme inconscient dans les discours des représentants des jeunes ne devront plus chercher très loin: dans une entrevue qu’elle donnait à la radio de Radio-Canada, la porte-parole de Concertation Jeunesse, Marlyne Harpin, affirmait que le dernier budget de Bernard Landry aurait dû «s’attaquer à la pauvreté chez les jeunes».
Ah oui? En quoi la pauvreté des jeunes est-elle différente de celle des femmes et des personnes âgées? Et si le problème était plutôt la pauvreté, point?
L’apparition de groupes de jeunes a transformé le paysage politique québécois. Du clivage gauche/droite, nous sommes passés au clivage jeunes/vieux. Comme si tous les jeunes, du squeegee au fils à papa, partageaient les mêmes idées.
Les représentants des jeunes confondent l’idéal et les moyens pour y arriver. Tous les jeunes veulent un emploi stable bien rémunéré et un bon niveau de vie. Mais certains croient que, pour y arriver, il faudrait passer l’État et les syndicats à la moulinette, alors que d’autres souhaitent que le gouvernement donne un généreux coup de pouce. Or, la pensée «jeune» fait tomber ces différences idéologiques et les remplace par un discours préfabriqué sur «l’avenir des jeunes». Il en découle un système tordu où le jeune qui a des idées semblables à celles de Michel Chartrand se voit soudain récupéré par Mario Dumont.
Bien sûr, il existe des problèmes que l’on peut qualifier de «jeunes»: les clauses «orphelin» concernent surtout notre génération, tout comme les exorbitants frais de scolarité et le sous-financement des écoles. Mais est-ce une raison pour que les groupes «jeunes» revendiquent des changements à la pièce pour accommoder une génération qu’ils prétendent représenter, plutôt qu’un changement général des orientations de la société? Après tout, la pauvreté, la sous-scolarisation, les emplois précaires, les hôpitaux qui débordent et le mauvais état de l’environnement sont des problèmes qui touchent toute la population, indépendamment de l’âge.
Il n’est pas question de douter de la bonne foi de certains représentants «jeunes» qui s’investissent corps et âme pour changer les choses. Cependant, concevoir une vision politique du monde seulement à partir de la division des générations est une stratégie casse-cou. Car le seul gagnant à ce jeu est le gouvernement. Quand François Legault demande aux jeunes de s’impliquer sans quoi ils vont se faire «fourrer», il précise qu’il désire voir les jeunes militer pour leur propre cause. Or, pourquoi les jeunes ne sortiraient-ils pas publiquement pour d’autres causes que le réinvestissement dans l’éducation, le gel des frais de scolarité ou bien les clauses «orphelin»?
Parce que, que l’on soit jeune ou vieux, nous allons tous dormir dans les mêmes corridors dans les urgences. Nous allons tous respirer le même air pollué. Nous allons tous nous retrouver devant des bibliothèques vides. Nous allons tous léguer à la génération suivante l’ignorance.
La solidarité entre jeunes et vieux doit être rétablie, et les représentants de notre génération (qui, soit dit en passant, n’ont aucune espèce de sanction démocratique de leur rôle par les jeunes eux-mêmes) devront peut-être penser à militer pour des principes plus universels. Parce que la société est un tout, et la segmenter est la meilleure façon de la détruire.