Les Blancs et la culture noire : En noir et black
Société

Les Blancs et la culture noire : En noir et black

Hip-hop, rap, breakdance: la culture noire a le vent dans les voiles. De plus en plus de jeunes Blancs tentent de se donner une attitude «black» afin de paraître plus cool. Pour l’auteure américaine SUSAN GUBAR, cet échange n’est pas que  positif…

De l’adolescent qui fait du breakdance à Boucherville au chanteur rouquin qui gesticule comme une vedette hip-hop, la culture noire a la cote auprès des Blancs. Même Warren Beatty se prend pour un rappeur dans son film Bullworth! Selon Susan Gubar, auteure et professeure à l’Université de l’Indiana, cet échange n’est pas forcément positif. Son plus récent livre, Racechanges: White Skin, Black Face in American Culture (Oxford University Press), étudie l’influence de la culture noire dans plusieurs champs de la société américaine, dont la littérature, la photographie, et le journalisme. Nous l’avons jointe dans son bureau, afin de discuter avec elle de l’influence grandissante de la culture noire auprès des jeunes Blancs de classe moyenne.

Pourquoi les jeunes Blancs sont-ils si attirés par la culture noire? Y trouvent-ils une forme de liberté qu’ils n’ont pas dans leur culture?
On associe souvent les Noirs avec la virilité, la puissance sexuelle, l’oralité, etc. D’un point de vue historique, ces stéréotypes ont été véhiculés dans le but de déshumaniser les Noirs, de faire d’eux des quasi-animaux. Pour un Blanc civilisé, c’était rassurant de se faire croire que les Noirs n’étaient que des brutes viriles sans bonnes manières et sans éducation. La mode des Blancs qui imitent l’attitude des Noirs prend naissance dans ces stéréotypes racistes. C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de grincer des dents quand je vois des jeunes Blancs qui se prennent pour des Noirs dans le but d’être cool, d’éviter tout ce qui est rigoureux et intellectuel, etc. Pour eux, c’est une façon de protester contre la culture bourgeoise et guindée, mais je ne crois pas que ce soit une bonne chose d’imiter des stéréotypes racistes…

Vous n’y allez pas de main morte… Croyez-vous que les gens soient conscients de ces stéréotypes racistes lorsqu’ils s’habillent comme des Noirs?
Je crois que c’est une façon de fétichiser les Noirs, demontrer qu’on admire leur verve, leur liberté. Je ne crois pas que ce soit une façon de se moquer d’eux, comme c’est déjà arrivé dans le passé. Les gens qui s’habillent comme des Noirs ne le font pas pour être cyniques. Sauf que, quand on sait qu’aux États-Unis un homme noir sur trois ira en prison au moins une fois dans sa vie, ça rend la situation plutôt ironique. Il y a quelque chose de malsain à voir que des Blancs s’approprient la culture noire d’un côté, tout en s’acharnant à taper dessus de l’autre. C’est pourquoi je suis sceptique face à ce phénomène…

Comment les Noirs réagissent-ils généralement face aux Blancs qui les imitent?
Les réactions sont très diverses. Par exemple, un certain nombre de vedettes noires ont tiré profit de la commercialisation de la culture noire. Cette culture est utilisée dans la mise en marché de plusieurs produits, parce qu’elle fait vendre: la musique, les vêtements, les attitudes, le langage, etc. C’est une façon d’alimenter le système, et de faire de l’argent. Plusieurs figures intellectuelles, comme Bell Hooks et Cornel West, se sont par contre élevées contre ce phénomène. Je crois qu’en général, les Noirs ne voient pas d’un très bon oeil que de jeunes Blancs les imitent, même si ce n’est pas fait dans une optique de dérision. Mais l’opposition la plus farouche aux Whiggers (les Blancs adeptes de la culture black – une appellation vulgaire venant d’un croisement entre les mots «white» et «niggers») vient des groupuscules d’extrême droite: ils ne peuvent pas admettre qu’un Blanc puisse idolâtrer la culture noire…

Selon vous, c’est une mode passagère, ou plutôt un exemple de ce que l’avenir nous réserve: un monde où les différentes cultures se mélangent, et où les frontières sont de plus en plus difficiles à définir?
Comme tout le monde, parfois je suis optimiste; parfois, je désespère. Je me dis qu’au 21e siècle, les Blancs vont devenir une minorité aux États-Unis, et que ce sera là un pas vers l’éclatement des cultures. Et pas seuleent entre les Noirs et les Blancs: il y a aussi les Asiatiques, les Autochtones, etc. Mais d’un autre côté, je trouve parfois que le phénomène commercial occupe une grosse place dans tout cela, et que les échanges réels entre les cultures se font de façon superficielle. Les idéaux se perdent dans tout ce phénomène commercial…

Le webzine Salon vient de publier un article qui explique que le dernier tabou d’Hollywood est justement de montrer un couple noir/blanc en train de s’embrasser au grand écran…
J’irais même jusqu’à dire que le véritable tabou n’est pas tant les couples noirs/blancs, mais les couples homme noir/femme blanche. Et ce tabou remonte à l’époque de l’esclavage, où il était communément admis que le maître blanc avait droit de cuissage sur ses esclaves noires. Traditionnellement, les Blancs ont toujours incarné le pouvoir, l’autorité; tandis que les Noirs étaient la race soumise. Et, d’un point de vue historique, la masculinité a toujours eu plus de pouvoir que la féminité. Un couple composé d’un homme blanc et d’une femme noire ne poserait donc pas beaucoup de problèmes. L’inverse, par contre, est un réel tabou: les Blancs sont mal à l’aise avec l’homme noir qui «traverse la frontière», et qui va chercher une femme de leur côté. C’est une situation très dérangeante…
Ceci dit, je crois quand même que la ségrégation tend à s’estomper. Mêmes les groupes noirs qui étaient traditionnellement opposés à ce que des familles blanches adoptent des enfants noirs sont aujourd’hui moins fermés. On voit beaucoup plus de couples interraciaux qu’avant, et beaucoup plus de personnes se décrivent aujourd’hui comme multiethniques. Dans les recensements, on n’inscrit plus seulement «blanc» ou «noir»: on nous offre plusieurs choix hybrides… Bientôt, peut-être que les Blancs n’auront plus d’autre choix que de commencer à goûter vraiment à la culture noire, et pas seulement à ses stéréotypes…