Les Blancs et le hip-hop : Glace à la vanille
Société

Les Blancs et le hip-hop : Glace à la vanille

Perry Giannias et Ricardo «Ricky D» Daley sont producteurs de spectacles et d’événements hip-hop depuis plus de quinze ans à Montréal. En début d’année, ils ont uni leurs efforts pour fonder Off The Hook, une maison de production et une chaîne de boutiques de vêtements urbains.

Perry Giannias et Ricardo «Ricky D» Daley sont producteurs de spectacles et d’événements hip-hop depuis plus de quinze ans à Montréal. En début d’année, ils ont uni leurs efforts pour fonder Off The Hook, une maison de production et une chaîne de boutiques de vêtements urbains. À la première boutique de Brossard s’ajouteront bientôt une succursale dans le West Island et une autre au centre-ville de Montréal. Afin de répondre à la demande des fans de hip-hop, les boutiques Off the Hook offrent des disques (en association avec Taboo Discs), mais aussi des lignes de vêtements et des services de salons de coiffure!
«Le hip-hop est beaucoup plus que la musique; ça englobe aussi la danse et les vêtements, explique Ricky. C’est un style, une attitude, un langage. La seule manière de préserver la culture hip-hop est de la sortir du ghetto et de l’ouvrir sur le monde. Comme ça, si sa popularité baisse dans une région, elle peut remonter ailleurs… Mais si on refuse la globalisation, et qu’on rejette les fans blancs, japonais, indiens, italiens ou grecs sous prétexte que ce ne sont pas "des vrais", on la condamne à la disparition.»

Sympathisants ou membres à part entière?
On voit de plus en plus de jeunes Blancs aux événements hip-hop. Sentent-ils qu’ils font vraiment partie du mouvement ou sont-ils de simples touristes? «Ça dépend de l’endroit où se déroule l’événement, répond Ricky. Si les jeunes Blancs s’y sentent à l’aise, ils vont y aller en masse et vont participer. Une chose est sûre: les jeunes Blancs sont beaucoup plus ouverts à la culture hip-hop qu’avant. Au début, ils sont discrets et observent le mouvement de l’extérieur. Mais quand ils accrochent, il y vont à fond la caisse et veulent tout savoir sur le sujet: le old school, la fondation du mouvement, etc. La musique reste l’élément déclencheur. Mais, de plus en plus, les vêtements jouent un rôle important. Tous les ados sont à la recherche d’une identité propre et le hip-hop leur offre exactement ça. C’est une culture fort, codée.»
Et puis, le hip-hop a changé avec les années. Il s’est adouci. Comme le rappelle Perry Giannias: «Il y a quelques années, le message du hip-hop était beaucoup plus militant, il était souvent question d’oppression, de racisme. Maintenant, même si la plupart des rappeurs demeurent noirs, le discours est moins revendicateur, plus ludique: on veut s’amuser, faire la fête. Résultat: davantage de jeunes se sentent concernés.» C’est pourquoi les nouveaux albums de rappeurs comme Jay-Z ou Master P débutent dans le top 5 des palmarès de ventes nationaux américains: parce que le rap a «élargi sa palette de couleurs». Selon le magazine The Source, LA référence en musique urbaine américaine, plus de 70 % des ventes totales de disques hip-hop sont attribuables aux acheteurs blancs!

Ni tout à fait blanc ni tout à fait noir
Le week-end dernier, Off The Hook produisait le spectacle d’Eminem, le fameux rappeur blanc. «T’as vu sa clientèle? demande Perry. Majoritairement blanche, environ quatorze ans d’âge moyen.» Cela dit, les fans des années 2000 ne sont pas dupes comme ceux d’il y a dix ans: contrairement à Vanilla Ice, qui n’était rien d’autre qu’un pastiche blanc de rappeur (d’où son nom), Eminem a développé un style propre. Il ne fait pas que copier le MC hot du moment (bien qu’à ses débuts, on l’accusait de copier le style de NAS). La petite histoire veut que lorsque Dr. Dre écouta le démo d’Eminem, il ne se rendit pas compte que Marshall Mathers était blanc.
«Les artistes blancs jouent un rôle de plus en plus important dans la culture hip-hop, de dire Ricky. Je pense à Everlast (de House Of Pain) et aux Beastie Boys, par exemple.» Ricky vient d’ailleurs de conclure une entente avec Warner Musique Canada pour la distribution du rappeur blanc Ricky J, dont il est le gérant et pour qui il nourrit de grands espoirs. «Ricky est un rappeur pop à la Will Smith qui devrait rejoindre un large public. Dans toutes les cultures, tu as besoin d’un appui extérieur pour te rendre légitime. Jusqu’ un certain point, le hip-hop ne pourrait exister sans le support des Blancs. Même le Mouvement des droits civils a progressé avec leur aide», rappelle Ricky.
Au Québec comme ailleurs, le système d’éducation a créé un rapprochement des ethnies. De plus, le fait que tous les jeunes passent maintenant par l’école française neutralise en quelque sorte la barrière des langues. «Si on finit un jour par abolir les préjugés, ce sera en grande partie grâce à la tolérance produite par cette proximité», commente Perry. Effectivement, il n’est plus si rare de voir de jeunes Blancs parler créole avec des copains haïtiens ou des crews de rappeurs incluant des Asiatiques, des Latinos, des Noirs et des Blancs.
Bref, le paysage musical change, se transforme et traverse maintenant la barrière des races. Ce n’est pas parce qu’on est blanc qu’on n’aime que le rock. Tout comme ce n’est pas parce qu’on est noir qu’on tripe sur le hip-hop. La réalité est plus complexe. Comme l’affirme Michel Mpambara, humoriste montréalais d’origine rwandaise: «J’ai six pieds quatre et j’suis poche au basket-ball. Mon frère, qui est aussi noir que moi, est très mauvais danseur. La preuve qu’il faut aller au-delà des préjugés!»