13e Conférence internationale sur le sida : L'Afrique en deuil
Société

13e Conférence internationale sur le sida : L’Afrique en deuil

Maintenant que la 13e Conférence internationale sur le sida est terminée, la problématique de l’épidémie en Afrique sera-t-elle reléguée aux oubliettes? C’est ce que craint la Française MARIE DE CENIVAL, vice-présidente d’Act Up-Paris et l’une des dix mille délégués de la Conférence. Entrevue avec la porte-parole des sans-voix.

Chaque année, 250 000 des 40 millions d’habitants d’Afrique du Sud meurent du sida. Chaque mois, 5000 bébés y naissent porteurs du virus. Chaque jour, 1700 nouvelles contaminations au VIH y apparaissent. Chaque heure et chaque minute, une personne sur huit doit y vivre avec le douloureux statut de séropositif.

Rien de surprenant alors à ce que la 13e Conférence internationale sur le sida, tenue la semaine dernière, ait eu lieu dans ce pays d’Afrique, continent qui regroupe 75 % des personnes infectées par le VIH dans le monde. Rien d’étonnant non plus à ce que la lutte contre le sida, ce fléau qui tue davantage que les famines et les conflits armés, soit considérée comme une véritable guerre en terre africaine.
"Il est plus que temps de livrer la bataille!" lance Marie de Cenival, vice-présidente d’Act Up-Paris, jointe en France immédiatement après son arrivée de la Conférence de Durban, lundi dernier. Groupe de défenseurs des droits des séropositifs, Act Up-Paris a créé le réseau Planet Africa pour offrir aux Africains de l’information sur le sida et les appuyer quant à leurs demandes de traitements adéquats et d’aide internationale pour lutter contre l’épidémie.

Act Up-Paris n’a pas manqué de se faire remarquer à la conférence internationale. Ses membres, appuyés de militants des quatre coins du globe, ont interrompu une conférence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et volé sa tribune. Ils ont aussi mis en branle une manifestation regroupant plusieurs centaines de militants pour faire valoir leur point de vue. Lequel? "Fini le temps des constatations et des statistiques sur l’état de l’épidémie en Afrique! Il faut agir." C’est ce que Marie de Cenival explique en entrevue.

Quel bilan dressez-vous de la Conférence?
En général, la Conférence a été positive. Elle a enfin mis à l’ordre du jour politique le problème du sida en Afrique, ce qu’Act Up voulait en premier lieu. Toutefois, la conférence s’est souvent limitée à l’expression de bons sentiments. Les gens étaient attristés par le phénomène et faisaient des constatations statistiques. Par contre, ils n’avançaient pas de propositions claires pour tenter de régler le problème. Je crains que rien de concret ne ressorte de cette Conférence.

De plus, nous avons encore rencontré des gens rétrogrades, comme des supposés experts américains et le président d’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, qui affirment que le VIH ne cause pas le sida, et que les pratiques sexuelles n’ont aucun lien avec la propagation du virus. C’est refuser de regarder en face la réalité du sida sur le continent!

Quelles sont donc les particularités de cette réalité?
Tout d’abord, il existe plusieurs mythes qui encouragent la propagation du virus en Afrique. Il y a celui voulant que le sida peut être guéri en couchant avec une vierge ou une jeune fille. Imaginez un peu le désastre pour les enfants! De plus, les jeunes ne savent pas qu’une personne apparemment en bonne santé peut être infectée, donc transmettre le virus. Finalement, les adolescents connaissent à peine les méthodes contre la contraction du VIH, comme le condom. Plusieurs pratiques encouragent aussi l’épidémie. Par exemple, une mère séropositive risque de transmettre le virus à son bébé en le nourrissant au sein.

Le sida touche surtout les personnes dans la force de l’âge, les quinze à quarante-neuf ans. C’est grave. Ainsi, les économies nationales sont touchées, car beaucoup de travailleurs meurent ou tombent malades. La productivité des industries diminue. Les investisseurs étrangers hésitent alors à mettre de l’argent dans des entreprises chancelantes. Le sida est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs du développement économique du continent.
En Afrique, il existe aussi une forte discrimination à l’égard des personnes atteintes du VIH. Être séropositif, c’est perdre son emploi, ses amis, sa famille, son village, sa dignité. C’est une question très taboue, car les Africains connaissent mal ce phénomène.

Pour pallier ce manque d’information, la prévention de la maladie représente-t-elle une solution aussi efficace qu’on le dit?
C’est clair qu’il faut donner de l’information sur la maladie aux Africains. Mais la prévention réalisée en Afrique est très mal faite. Quand on se contente de dire: "Attention, sida égal danger", les Africains ont des réflexes d’autodéfense négatifs, comme le rejet des séropositifs. Par contre, quand on tient un discours qui consiste à leur dire d’aller subir des tests de dépistage et d’obtenir des médicaments, c’est certain qu’on aide davantage les gens à sortir de l’ignorance et à agir concrètement.

Je crois qu’il ne faut pas opposer la prévention et les soins, mais plutôt les coordonner. Toutes les stratégies des bailleurs de fonds de l’Afrique (c’est-à-dire: les pays occidentaux) ont été de faire strictement de la prévention moraliste dans l’unique but de limiter l’expansion de l’épidémie, ce qui n’apporte pas de solutions concrètes au problème. C’est regrettable, car les personnes atteintes du sida sont mises de côté. Elles ont besoin de soins, pas de sermons!

Qui dit soins dit évidemment traitements et médicaments. Mais leur accès est plutôt limité à l’heure actuelle…
Très limité. Il existe 290 millions d’Africains qui survivent avec moins de un dollar US par jour. Pour eux, il est bien difficile de se payer des traitements antiviraux qui coûtent de 4000 à 15 000 $ US par année! Nous réclamons ainsi une baisse des prix des traitements pour les pays en voie de développement, où vivent 90 % des personnes contaminées par le VIH. Mais les compagnies pharmaceutiques ne veulent rien entendre. Elles ont peur pour leurs profits.
De plus, nous voulons une politique tarifaire globale d’adaptation selon les capacités de paiement des pays. Ainsi, les pays pauvres pourraient se payer des traitements à moindre coût.

Enfin, nous désirons l’accès pour l’Afrique à des produits génériques, à des copies de médicaments des compagnies pharmaceutiques, qui coûtent jusqu’à 90 % moins cher que les originaux. Toutefois, les brevets de médicaments sont la propriété de groupes pharmaceutiques occidentaux qui s’opposent à la production de versions génériques. Les compagnies ne veulent pas perdre de l’argent avec l’Afrique. Elles laissent donc aller le problème du sida, alors qu’elles ont les armes pour le combattre.

st-ce à dire que vous considérez les compagnies pharmaceutiques comme responsables de l’aggravation de l’épidémie de sida en Afrique?
Oui. Et à leur place, j’aurais honte. Elles ne font aucun effort pour favoriser l’accès aux traitements ou pour diminuer les coûts. Elles ne font que prendre des décisions de façade.

Par exemple, après trois ans de travail, l’ONUSIDA a entamé ce printemps des négociations avec Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo Wellcome, Merck & Co et F. Hoffmann-La Roche. Ces cinq multinationales se sont engagées à explorer la possibilité de baisser le prix de leurs médicaments. Toutefois, rien de concret n’est ressorti depuis. Et croyez-moi, rien ne se fera.

Pourtant, des compagnies pharmaceutiques ont mis de l’avant certains programmes positifs, non?
Les compagnies font de petites offres charitables. Par exemple, Merck & Co a accordé 50 millions de dollars US en cinq ans au Botswana pour un programme d’aide sur le sida. Mais cette décision n’a pour but que de soulager leur conscience.

Aussi, la compagnie allemande Boehringer Ingelheim a offert de distribuer gratuitement en Afrique un traitement (le Nevirapine) qui réduit les risques de transmission du virus VIH de la mère à l’enfant. Mais il y a des conditions qu’on ne connaît pas encore à cette offre, qui a été ultra-médiatisée pour redorer l’image de la compagnie. Faudra voir si la décision sera bel et bien mise de l’avant. J’en doute.

Croyez-vous que les pays occidentaux accomplissent des efforts suffisants pour lutter contre la propagation du sida en Afrique?
Il n’y a pas assez d’aide internationale en matière de lutte contre le sida. Dans tous les pays, il y a même une baisse globale de l’aide!

Alors que 300 millions US sont dépensés chaque année pour lutter contre le sida en Afrique, où résident 75 % des 34,3 millions des personnes infectées dans le monde, les pays riches, qui en contiennent 10 %, dépensent trois milliards par an en traitements. De fait, 90 % des 16 000 infections quotidiennes au VIH dans le monde se produisent dans les pays en développement. Mais 90 % des dépenses liées au sida concernent les pays industrialisés! Il faudrait au moins 2,5 milliards de dollars US par an pour aider l’Afrique, selon les données de l’ONU. Abolir la dette du tiers-monde pour lutter contre l’épidémie serait évidemment à envisager.