Un travailleur social en Russie : Il était une fois dans l'Est
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Un travailleur social en Russie : Il était une fois dans l’Est

En Europe orientale, un Montréalais travaille à bâtir de nouveaux systèmes d’entraide pour des populations aux besoins criants. Au programme: création de politiques sociales, formation d’intervenants communautaires et éducation sexuelle. Retour à la case départ.

Hausse du taux de mortalité infantile, augmentation du nombre d’enfants dans la rue, délinquance juvénile croissante, regain de popularité des drogues dures et de la prostitution, explosion du nombre de séropositifs et de personnes atteintes du sida… Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les problèmes sociaux déferlent dans plusieurs pays d’Europe orientale. Le capitalisme sauvage a porté à leur paroxysme des situations déjà alarmantes.
« Le déclin d’un système politique a engendré une culture de dépendance. Après des décennies de soumission à un État autoritaire et paternaliste dans tous les domaines, des peuples se sont retrouvés devant une société démocratique, marquée par une plus grande indépendance des individus. Personne n’était prêt à cela», explique Bill Ryan, 44 ans, professeur adjoint au Centre d’études appliquées sur la famille de l’Université McGill.

Depuis quelques années, Ryan agit à titre de consultant auprès des intervenants sociaux d’Ukraine et de Biélorussie. Il travaille au renforcement des institutions et des services sociaux, parce qu’il croit que ce sont des outils préalables et essentiels à la formation d’une société civile. «Les problèmes sociaux des pays de l’Europe orientale en transition ne pourront jamais être résolus si on ne se concentre pas au préalable sur la création et le développement de services sociaux», explique le chercheur.

«La plupart des organismes communautaires n’ont même plus de toit pour les abriter. Même lorsqu’ils réussissent à se dénicher des locaux, ils ont rarement accès à l’eau courante ou à l’électricité. Il faut donc trouver des solutions à la mesure des moyens disponibles, et ce, tout en étant perpétuellement habité par un sentiment d’urgence. Les besoins sont pressants.»
Avec le soutien financier de l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations unies, le Christian Children’s Fund et la Fédération internationale des assistants sociaux, Ryan offre des ateliers de formation et de perfectionnement e service social à des groupes communautaires et paragouvernementaux. Il donne également des ateliers d’éducation sexuelle sur les divers moyens contraceptifs et travaille à la démystification de toutes les sexualités hors d’une " norme" hétérosexuelle imposée.

«À plusieurs égards, dans les pays de l’ex-URSS, j’ai l’impression d’être sur une autre planète. Ca ressemble un peu au Québec des années 40 et 50, celui d’avant la Révolution tranquille. Plusieurs sujets sont tabous. Ce sont les valeurs orthodoxes d’une population essentiellement rurale et agricole qui dictent l’ordre du jour.»

Alors que tout s’actualise conformément à la doctrine d’une religion, des principes et usages établis, de nouvelles réalités sociales font surface. Le peu de ressources disponibles à la majeure partie des habitants a accentué les problèmes déjà présents en URSS et généré de nouvelles difficultés. «Le défi est de répondre aux problèmes hérités de l’époque soviétique ainsi qu’aux nouvelles difficultés sociales sans faire appel aux solutions désuètes d’un autre régime politique. Il faut se questionner sur le rôle de l’Église, qui semble parfois vouloir s’approprier le rôle de l’État providence. On doit également bâtir de nouvelles politiques sociales avec les moyens que l’on a», explique Ryan.

Manger ou se protéger?
Encore faut-il que des moyens existent. Ryan donne l’exemple de la quasi-inaccessibilité des contraceptifs. Bien que les condoms soient offerts dans les pharmacies, ils se vendent un dollar américain l’unité… «Le salaire moyen d’un étudiant universitaire est de quatre dollars. Les gens ont peu de choix: manger ou se protéger», déplore le chercheur. De plus, très peu d’information circule sur les dangers du VIH-sida. Selon le Christian Children’s Fund, le nombre d’enfants et d’adultes vivant avec le virus ou la maladie aurait triplé au cours des dernières années en Biélorussie. «Ajoutez à cela une augmentation vertigineuse de la consommation d’héroïne et de la prostitution féminine etmasculine, et vous aurez un bon portait de la situation.»

Face à l’augmentation des difficultés sociales, une des premières étapes était de «professionnaliser le métier du travailleur social». Bien que, depuis quelques années, la plupart des Universités de l’ex-Union soviétique offrent des formations en travail social, les cours s’appliquent surtout à former des personnes travaillant dans les services sociaux de l’époque. Par exemple, dans le passé – et encore maintenant – des pédagogues sociaux remplissaient le rôle d’assistants sociaux. La profession de travailleur social telle qu’exercée en Amérique et en Europe de l’Ouest n’était même pas connue avant l’effondrement de l’Union soviétique. «Nous travaillons à la formation des intervenants sociaux selon les normes internationales admises de la profession. Mais nous cherchons surtout à ce qu’ils bâtissent un système qui leur soit propre, qui corresponde à leurs besoins et à leur vision de la profession.»

«Malgré tous les problèmes auxquels ils sont confrontés, on retrouve en Biélorussie et en Ukraine, par exemple, des milliers de femmes et d’hommes porteurs d’espoir pour la démocratie. Leur volonté de reconstruire est palpable et dynamisante. On ne peut que se laisser emporter par cette énergie et travailler avec eux à la construction d’un monde plus juste et égalitaire», conclut Ryan sur une note d’espoir.

Bill Ryan sera l’un des invités à la 16e Conférence mondiale de la Fédération internationale des travailleurs sociaux, débutant le 29 juillet au Palais des congrès de Montréal.