Fierté gaie 2000 : Par ici la sortie
Société

Fierté gaie 2000 : Par ici la sortie

Malgré les progrès réalisés, des études estiment que la moitié des gais et des lesbiennes cachent encore leur orientation sexuelle à leur famille, à leurs collègues de travail, et même, parfois, à leurs amis. Voir a interviewé des hommes et des femmes de milieux différents (un ministre, un policier, un professeur…), qui ont bien voulu parler publiquement de leur coming out. Éloge de la  diversité.

ANDRÉ BOISCLAIR, ministre de la Solidarité sociale

Chaque année, Voir demandait au plus jeune ministre du Parti québécois de faire sa «sortie du placard» à l’occasion de la Fierté gaie. Il refusait toujours. Jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi s’être autant fait prier? «Parce que, selon moi, le coming out représente un faux débat. Si sortir du placard, ça veut dire être en paix avec sa famille, ses amis et ses collègues de travail, je l’ai fait depuis longtemps, mon coming out. Toutefois, je refuse de porter une étiquette que les autres veulent m’imposer. La liberté, c’est aussi la liberté de faire ses choix de vie. Je ne laisserai personne définir mon identité ou mon groupe d’appartenance. Je m’associe d’abord à mes amis, à ma famille (réelle et politique), au Québec. Pas à la communauté gaie. Je n’ai jamais choisi de vivre en communauté. Et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer…»

Le ministre du gouvernement Bouchard refuse d’étaler sa vie privée sur la place publique. À propos des réactions de son entourage en apprenant son homosexualité, il dit que «les choses se sont faites simplement et naturellement»… Et qu’il a la chance de travailler dans un milieu libéral (sans jeu de mots) et ouvert d’esprit. «La population veut savoir comment ses élus gouvernent; pas avec qui ils couchent!» tranche André Boisclair.

Alors, comment expliquer la curiosité des Américains pour les frasques sexuelles de leur président? «Justement. Malgré tout le tapage médiatique autour du Monicagate, l’opinion politique des Américains n’a pas changé. Bill Clinton est toujours président avec une cote de popularité élevée. Même les Républicains ont réalisé qu’ils étaient allés trop loin…»

D’ailleurs, en vacances à l’extérieur de Montréal, André Boisclair ne marchera pas dimanche. Bien qu’il salue au passage «l’excellent travail des militants qui étaient aux premières loges», et qui ont permis que les lois suivent l’évolution des moeurs. «Je suis fier de ma patrie, de mon appartenance au Québec; mais je ne retire aucune fierté de mon orientation sexuelle, déclare le politicien de 34 ans. Si je marche dans la rue, il doit y avoir un sens, un message politique ou un projet de société qui justifient mon geste. Je n’ai rien contre ceux qui vont parader dimanche au centre-ville et faire le party. Mais moi, quand je veux m’éclater, je sors le samedi soir!» Et vlan!

Pour en finir avec la mentalité d’assiégés
Que ce soit comme ministre ou comme député (il représente le comté de Gouin, dans le Nord-Est de Montréal, depuis 1989), André Boisclair a toujours eu à coeur la question de l’égalité des droits des minorités au Québec. Et pas seulement des gais et des lesbiennes. «Je suis très préoccupé par l’intégration des minorités visibles à la société québécoise; particulièrement par le taux de chômage alarmant chez les jeunes Noirs à Montréal. La reconnaissance dans le droit, c’est une chose. Mais dans les faits, c’est plus complexe.»
Peut-on établir un parallèle entre les Noirs et les gais? «Pas vraiment. On a le grand privilège de vivre dans une société conviviale, progressiste et tolérante. Bien sûr, il y a encore des gens qui cultivent des préjugés envers les gais, mais c’est l’exception. Bien sûr, nous devons encore lutter contre l’homophobie. Plus concrètement, il y a, entre autres, des problèmes quant à l’accès aux services sociaux pour les jeunes gais, surtout en région. Mais, depuis 1991, les gouvernements ont donné suite à l’ensemble du rapport de la Commission des droits de la personne. En ce qui concerne la question homosexuelle, le bilan est très positif au Québec.

«Mais, au-delà de la reconnaissance des minorités, poursuit le ministre, j’aspire à vivre dans une société où les groupes, gais et autres, vont défendre notre patrimoine commun de droits et de libertés avec la même énergie qu’ils le font pour leurs intérêts particuliers. Malheureusement, on trouve encore des gais qui ont une mentalité d’assiégés. Par exemple, je m’indigne conre le procès que la presse gaie fait à Daniel Pinard. Des journalistes gais remettent en question le soutien de l’animateur à la communauté parce que Pinard a dit qu’il rêvait du jour où Gai-Écoute s’appellerait simplement »Écoute ». Moi aussi je rêve d’une société inclusive, avec des valeurs humanistes, et dans laquelle l’égalité de tous se vivrait dans les faits au quotidien. Or je pense que le Québec est une société exceptionnelle à cet égard.»

En tant que gai, André Boisclair se dit sensible et préoccupé par les questions de discrimination des minorités. Mais il ne croit pas que son homosexualité explique tout: «Gérald Godin, qui, comme moi, a été ministre de l’Immigration, a fait un travail plus que remarquable pour intégrer les minorités. Et il était hétérosexuel. Il ne faut pas être malade pour être médecin… Il ne faut pas être gai pour comprendre les homosexuels.»
Croyez-vous qu’un homme ou une femme ouvertement homosexuel puisse actuellement devenir premier ministre au Québec ou au Canada? «Bien sûr. Car j’ai la conviction que le débat politique doit se faire sur des questions de fond et des enjeux sociaux. Avec des idées, pas avec des images. Je ne vois donc pas pourquoi les électeurs refuseraient de voter pour un premier ministre gai.» Si la tendance se maintient…

(Luc Boulanger)


ANDRÉ PROULX, policier

Le 1er janvier 1993. 4 h 20. Alors que la plupart des gens roupillent après avoir pris dans l’allégresse quelques résolutions pour la nouvelle année, le policier du SPCUM, André Proulx, est en service, fidèle au poste.

Tout à coup, un appel d’urgence interrompt le cours de son quart de travail, appel qui marquera son existence pour toujours. «Un coup de feu a été entendu à Montréal-Nord, crache l’émetteur radio du véhicule policier. Selon les informations, le suspect s’enfuit au volant de son automobile.» « 10-4! », répond Proulx, qui se lance aux trousses du fuyard. Dès que l’individu aperçoit la voiture du SPCUM, il s’immobilise quelques rues plus loin. Croyant que le suspect a abandonné son véhicule, le policier s’en approche doucement. Bang! Un coup de feu retentit. Proulx reçoit une balle qui lui sectionne l’artère fémorale. Le suspect s’était planqué au fond de l’automobile. Drôle de façon de souhaiter la bonne année…

«Après avoir frôlé la mort et avoir été hospitalisé pendant six mois, se rappelle le policier de 39 ans, je me suis dit que je n’avais qu’une vie à vivre et que je devais en profiter.» Profiter de la vie, pour André Proulx, s’est traduit par un changement d’identité… à 180 degrés! «Durant ma jeunesse, j’ai toujours su que j’étais gai, mais je croyais être malade. J’ai donc vécu comme un hétéro. Je n’en pouvais plus de vivre dans le mensonge.»

Bien beau vouloir sortir du placard, mais encore faut-il pouvoir. Car comment passer du verbe au geste? Comment l’annoncer à sa conjointe qui vit avec lui depuis une bonne dizaine d’années? Comment dévoiler la vérité à son fils de 11 ans? Pour y parvenir, Proulx s’est armé de courage. «J’ai expliqué la situation calmement à ma conjointe. Elle a très mal pris la nouvelle, même si elle se doutait de quelque chose en raison de notre vie sexuelle ordinaire. Elle a fini par se plier à ma décision et par e comprendre.»

Sitôt dit, sitôt parti. Proulx quitte sa femme pour un homme qu’il a rencontré quelque temps auparavant, et avec qui il partage toujours sa vie depuis près de huit ans. «Pour mon fils, la nouvelle a été tout un choc. Voir son père avec un homme n’était pas facile. Mais il l’a accepté et il est heureux avec moi.»

Achevé, le coming out de Proulx? Loin de là. Reste à l’accomplir dans son milieu de travail, celui du monde policier. «J’avais un peu peur de la réaction, au début. J’ai annoncé mon homosexualité aux collègues les plus proches de moi, et ils m’ont bien compris. Je le leur ai confié comme un secret.»

Toutefois, la confidence discrète s’est vite transformée en potin juteux dans les corridors du poste. «Mon coming out a fait du bruit, mais ça ne m’a pas dérangé. Après tout, c’était un changement inattendu, d’autant plus qu’il existe apparemment peu de policiers gais. Mais les personnes qui avaient connu André Proulx avant avaient affaire au même homme; sauf que, dans sa chambre à coucher, il y avait un gars au lieu d’une femme. Tous mes collègues m’ont respecté.»

Comble de la sortie publique en règle, André Proulx a même révélé son homosexualité à l’émission Métier policier de TQS la saison dernière. «C’était pour montrer la diversité des genres de policiers et l’ouverture d’esprit du corps de police, qui accepte très bien la présence de gais et de lesbiennes.» C’est exactement le message que livre Proulx aux apprentis policiers lors de discours qu’il prononce régulièrement dans les écoles.
Le cliché populaire au sujet des policiers est bien connu: fusil, moustache, muscles, uniforme… Le portrait du macho hétéro, quoi. «Selon moi, il n’y a pas de différence entre un policier homosexuel et un policier hétéro. Je ne suis pas moins ou plus tough, pas moins ou plus gentil. J’applique les mêmes lois après tout.»

Si son histoire est heureuse, André Proulx ne pousse pas pour autant tous les homosexuels à réaliser leur sortie du jour au lendemain.«Il faut être prêt. Parfois, c’est long. Il faut penser son coming out intérieurement avant de le faire.» Autrement dit, pas question de sortir du placard tant qu’on n’y a pas fait le ménage…

(Tommy Chouinard)


ANDRÉ PATRY, professeur au secondaire

«En général, à la rentrée scolaire, la première question que les élèves demandent à leur professeur, c’est: »Êtes-vous marié? » Un jour, j’étais tanné de mentir et de patiner autour de la question. J’ai répondu: »Non, mais j’ai un chum! »»
«J’ai toujours eu des rapports francs, naturels et authentiques avec mes élèves et mon entourage, explique André Patry, un enseignant de 41 ans. Je me sentais donc malhonnête chaque fois que j’inventais des scénarios pour leur raconter mes week-ends. En faisant ce coming out, il y a dix ans, j’ai pu rétablir des rapports humains de qualité avec mes étudiants et mes collègues. En retour, ces derniers m’ont toujours accepté comme je suis.»

Plus précisément, André Patry n’a jamais dit qu’il était gai à ses étudiants: le professeur a plutôt mimé le choix de son coeur en langage des signes. Car Patry enseigne à des adolescents sourds de l’école secondaire Irénée-Lussier, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

André Patry fait figure d’exception dans le monde de l’éducation. De nos jours, il est plus facile de trouver un policier qui veuille parler publiquement de son homosexualité qu’un prof ou un directeur d’école! Comme si, malgré sa déconfessionnalisation, le réseau scolaire demeurait le dernier bastion des valeurs morales conservatrices au Québec.

«Si le milieu de l’éducation évolue si lentement, croit André Patry, c’est à cause d’un préjugé tenace et bien ancré dans la société: dans la tête de plusieurs parents, l’homosexualité est associée à la pédophilie. Les professeurs ont donc une peur bleue du chantage que pourraient exercer des étudiants. Et, malheureusement, les enseignants gais connaissent souvent mal leurs droits. Selon la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, mon employeur et mon syndicat sont obligés de me protéger si je subis du harcèlement au travail.»

André Patry pare en connaissance de cause. Quand il n’est pas en classe, le prof se transforme en syndicaliste. Il a lancé le Comité de travail sur la réalité des gais et des lesbiennes à l’Alliance des professeur(e)s de Montréal. Pour lui, les syndicats ont une mission sociale à remplir, et la lutte pour les droits des gais et lesbiennes sera «le gros dossier des prochaines années» à la Centrale des syndicats du Québec (la nouvelle appellation de la CEQ).

D’ailleurs, dimanche après-midi, le professeur marchera sous la bannière du Forum des gais et lesbiennes syndiqué(e)s du Québec au défilé de Divers-Cité. Reste à voir combien de ses collègues le suivront dans le cortège. Il faudra peut-être qu’un jour, en matière de Fierté gaie, les professeurs cessent de faire l’école buissonnière.

(Luc Boulanger)


JOLYANE PLOURDE, serveuse

«J’aurais aimé ouvrir le journal et lire un article du genre: pas facile d’être jeune et gai… Quelque chose qui m’aurait donné un coup de pouce.» À l’adolescence, Jolyane Plourde n’a pas profité de cette chance. Elle a donc cherché, seule, quoi faire lorsqu’on a 15, 16 ou 17 ans, qu’on sort sans succès avec les garçons, qu’on ne s’avoue pas être amoureuse de sa meilleure amie, et qu’on vient d’une petite ville comme La Prairie, aussi gaie qu’Alerte à Malibu… Jusqu’à ce que le malheur fasse bien les choses et lui indique la sortie de secours: se manifester au grand jour.

«J’avais peur de l’homosexualité, je n’en avais pas beaucoup entendu parler. L’image qui m’avait été transmise, c’étaient des gars déguisés en filles… et l’inverse. Pour moi, qui suis féminine, c’étaient donc impossible d’être gaie, je n’avais pas le profil.» À l’instar de bien des jeunes gais, s’accepter n’a pas été facile pour Jolyane, qui se remémore encore difficilement cette époque pas si lointaine. Il y a deux ans, en fait. «Quand j’ai vraiment réalisé que j’étais gaie, j’ai fait une tentative de suicide… C’est de cette façon que mes parents l’ont appris… Je venais d’avoir 17 ans.»

«Au début, ils ont voulu que je rencontre un psychologue. Mes parents voulaient que je m’enlève de la tête l’idée d’être gaie…» Puis, Jolyane a entendu parler du Projet 10, un organisme montréalais qui offre du soutien aux jeunes homosexuels. «J’ai participé à des ateliers en groupe, et à des rencontres individuelles pendant un an et demi; et j’ai connu beaucoup de jeunes : certains avaient de la difficulté à s’accepter, d’autres, pas vraiment. C’est ce qui m’a le plus aidée à m’accepter.»

À l’école secondaire privée qu’elle fréquentait, deux amis conservaient son secret. Et l’idée germait de le dire aux autres, d’éclater au grand jour. Pendant ce temps, ses parents apprivoisaient l’idéeque leur fille n’aurait ni mari ni famille traditionnelle. «À l’après-bal des finissants, j’ai avoué à ma meilleure amie être amoureuse d’elle… C’est sorti tout seul, et c’est comme cela que tout le monde l’a su.»

Heureuse surprise, les mauvaises langues n’étaient pas au rendez-vous. Du moins en public. La meilleure amie fut même flattée de cette révélation! Au cégep, l’année suivante, ses copains apprirent eux aussi son orientation sexuelle. Et pour la grande majorité d’entre eux, il n’y avait pas de quoi railler. Des membres de sa famille l’encouragèrent et l’appuyèrent. «J’ai été étonnée de la réaction de plusieurs personnes. Et je suis particulièrement heureuse de voir à quel point mes parents me soutiennent aujourd’hui.»
Soulagée de pouvoir s’afficher librement? En fait, c’est un immense poids qui est tombé des épaules de Jolyane. Et même si la vie n’est pas toujours rose pour cette jeune fille qui a quitté les bancs de l’école, aujourd’hui elle s’assume. «Il ne faut pas rester seul. Il faut recourir à une aide professionnelle, à un intervenant de l’école, à des amis en qui tu as confiance, des gens qui vont t’encourager.» Entre le Village et La Prairie, Jolyane, éprouvée mais assez mature du haut de ses 19 ans, poursuit obstinément son chemin. «Quand j’ai eu ma première blonde, j’ai compris que j’avais le droit de vivre ça, moi aussi… »

(Stéphanie Filion)


DENISE LATULIPPE, mère de deux fils gais

Le samedi 7 juillet, il pleuvait des clous à Ottawa. C’était la journée du défilé de la Fierté gaie et lesbienne et les organisateurs avaient choisi d’aller de l’avant avec le cortège. Coûte que coûte.

Denise Latulippe, 55 ans, était du rendez-vous. Bannière à la main, elle a marché
pendant plus d’une heure pour saluer les quelques curieux qui avaient bravé la pluie pour assister au défilé. Rapidement, sa mise en plis est tombée, ses lunettes se sont embuées, et son t-shirt blanc a été entièrement détrempé! «Si les lesbiennes décident d’organiser un concours de wet t-shirt, je participe! », lance-t-elle.

Madame Latulippe est hétérosexuelle, mariée, et mère de quatre enfants, dont deux sont gais. Depuis six ans, elle participe aux festivités de la Fierté à Ottawa, mais aussi à celles de Toronto et de Montréal. «On l’oublie souvent, mais les parents doivent aussi transiger avec la question de la sortie du placard. Je suis fière de mes fils. Je les aime. C’est pour eux que je marche tous les ans.»

À Cornwall, elle est la responsable du groupe d’entraide associé à PFLAG, la plus importante association de parents et d’amis des lesbiennes et des gais en Amérique. Le groupe veut donner un visage à l’homosexualité, et ainsi interrompre le processus de reproduction de l’évidence hétéronormative. Aux États-Unis, la PFLAG recense pas moins de 80 000 membres. Au Canada, l’association a des dimensions plus modestes, mais des groupes d’entraide et de discussion s’organisent dans tous les grands centres urbains du pays… à l’exception de Québec et de Montréal.

À l’instar des homosexuels, les parents d’enfants gais et lesbiennes craignent aussi les petites phrases pleines de sous-entendus, les rires étouffés, les sarcasmes. Le premier pas est l’acceptation, ce qui n’est pas toujours facile, et le cheminement, parfois éprouvant. «Entant que parent, il m’apparaissait important d’appuyer et d’encourager les autres parents dans leur cheminement. Je leur offre un lieu de rencontre et de discussion. On accompagne aussi plusieurs jeunes dans le processus de sortie du placard.»

Danielle Julien, professeure et chercheure sur les réalités familiales en rapport avec l’homosexualité au département de psychologie de l’UQAM, rappelle d’ailleurs que le processus du coming-out des jeunes gais et lesbiennes n’est pas toujours évident: des études montrent qu’environ la moitié des gais et des lesbiennes maintiennent leur orientation cachée à leur famille. «Les hésitations à sortir du placard, par rapport à la famille, sont fondées. Les parents sont en effet profondément bouleversés par l’homosexualité de leur enfant. Sur la base de cas cliniques, on rapporte des réactions de honte, de colère, de condamnation, de dénégation, de doutes et de rejet. À l’extrême, des gais et des lesbiennes rapportent avoir été reniés par leurs parents et d’autres membres de leur famille et, chez les plus jeunes, avoir été agressés physiquement par un parent, ou chassés du foyer familial.»

Denise Latulippe se souvient: «Mes fils m’ont tous les deux appris leur homosexualité à quelques semaines d’intervalle. Heureusement, ils étaient loin du toit familial et n’ont pas vu toutes les larmes que j’ai versées… À l’époque, je comprenais très mal la réalité homosexuelle. Je sais maintenant que l’homosexualité n’est pas un choix. Tu ne le décides pas, si tu es attiré par une personne du sexe opposé comme tu ne décides pas que tu es attiré par une personne du même sexe. Tout ce que tu peux choisir, c’est d’ouvrir ton coeur et d’aimer tes enfants tels qu’ils sont.»

(Mathieu Chantelois)


JORGE FLORES , militant péruvien

Difficile, sortir du placard? En fait, tout peut dépendre de sa position sur le globe. Pour les homosexuels de toutes les contrées pieuses et conservatrices, cette révélation est rarement synonyme de délivrance. Au contraire, elle rime plutôt avec exclusion, abandon… voire prison. Jorge Flores, un jeune Péruvien, l’a pourtant fait. À 17 ans, il a affronté sa mère, son père et une société pour le moins machiste.
«Je viens d’une famille progressiste, j’ai eu de la chance», annonce d’entrée de jeu Jorge, aujourd’hui âgé de 24 ans. Dès l’adolescence, le jeune homme a découvert son attirance pour les garçons. Mais que faire lorsque la majorité des gens autour de soi pense que l’homosexualité est une maladie chronique? «Ma mère est une féministe militante et ne m’a jamais transmis de préjugés contre l’homosexualité; elle a même des amis gais. Je savais qu’elle ne serait pas choquée. Mais puisque, à cet âge, on n’est pas certain de qui l’on est vraiment et que je vivais dans une société très catholique, j’ai gardé cela secret pendant quelques années…»

Après des mois de tiraillements et une première révélation à deux amis, il fait le grand saut. «Ma mère a dit que j’étais libre, que je décidais de ce que je faisais», déclare-t-il. Par contre, le père, un homme macho et divorcé de la mère de Jorge, réagit plus froidement à son fils unique, et rechigne silencieusement. Le reste de la famille ne partage pas son idéologie, mais ne le juge pas.

Un fils de militants ne s’arrête toutefois pas là. Jorge n’a rien à cacher et, surtout, tout à prouver. «Ma mère m’a présenté des gais et m’a aidé à m’assumer. Je me suis aussi impliqué dans le Mouvement homosexuel de Lima, un groupe communautaire fréquenté par 2000 gais et lesbiennes. J’en suis devenu un des principaux porte-parole, je m’affichais publiquement. J’ai été la première personne ouvertement gaie à l’niversité.»

Au pays de Fujimori, vierge de toute manifestation homosexuelle, un tel manque de retenue engendre automatiquement de vives répliques : «Des étudiants et des profs ne me parlaient plus; d’autres me traitaient de tapette. Leurs comportements m’affectaient, mais je les trouvais ridicules, je savais qu’ils avaient tort.»
Malgré tout, Jorge poursuit sa croisade. «En 1996, nous avons organisé une première parade à Lima qui a réuni dix personnes!!! L’année suivante, nous étions cent…», se rappelle en rigolant le militant, tout en déplorant que le contexte politique actuel ne permette plus ce genre de manifestations. Après quelques années d’activisme, les menaces se multiplient. Jorge profite d’une opportunité de s’installer à Montréal et y vit peinard depuis décembre 1998 avec son copain, un Québécois rencontré au Pérou.
Peu importe aujourd’hui si sa hardiesse l’a forcé à émigrer et à quitter, momentanément du moins, ses études. Il ne regrette rien. «J’ai souvent hésité, j’ai toujours craint la riposte. Mais il y a quelque chose en moi qui me dictait de le faire pour aider les autres…»

À Montréal, il continue ce qu’il a commencé en tant que bénévole pour des groupes homosexuels ethnoculturels. Il travaille aussi comme technicien en immigration dans un bureau d’avocats. En songeant aux jeunes qui affrontent le même questionnement que lui, il n’a qu’un modeste conseil à leur donner: «La première chose, c’est d’essayer de s’assumer en tant que gai et d’être bien dans sa peau. Le reste vient tout seul…»

(Stéphanie Filion)