La rééducation des hommes : Sauvez mon mâle
Société

La rééducation des hommes : Sauvez mon mâle

L’homme, le futur deuxième sexe? Voilà ce que craint Christina Hoff Sommers dans son livre The War Against Boys: How Misguided Feminism Is Harming Our Young Men. L’auteure s’attaque aux féministes radicales qui se tournent maintenant vers les écoles pour éduquer les garçons à devenir de «bons hommes». Voir a joint la philosophe controversée chez elle, à Washington D.C.

En septembre 1996, Jonathan Prevette prend sagement place derrière son pupitre de l’école élémentaire de Lexington, en Caroline du Nord. Du haut de ses six ans, ce blondinet semble déjà un élève exemplaire. Affectueux de nature, il exprime un beau jour son amitié à une camarade de classe. Smack! Il l’embrasse d’un baiser innocent sur la joue, geste que la petite fille apprécie. Impossible d’en dire autant de son enseignante. Furieuse et outrée, elle envoie illico le garçon au bureau du directeur. Jonathan est expulsé de l’école pour une semaine! Sa faute? Harcèlement sexuel! Le petit écolier n’y comprend rien.

L’auteure et philosophe Christina Hoff Sommers non plus. Dans son livre The War Against Boys: How Misguided Feminism Is Harming Our Young Men (Simon & Schuster), cette spécialiste en culture et en éducation à l’American Entreprise Institute de Washington (un des plus grands «think tanks» des États-Unis) élève l’exemple du petit Jonathan au rang de symbole pour démontrer que les jeunes garçons représentent aujourd’hui les plus grandes victimes de… sexisme. «Selon des féministes radicales, derrière chaque homme se cache un terroriste sexuel, affirme l’auteure, jointe à Washington. Être un garçon semble devenu une maladie à soigner.» D’après cette «féministe réaliste», expression tirée de son précédent ouvrage provocateur Who Stole Feminism? (1994), la discrimination ne se conjugue maintenant plus au féminin, mais bien au masculin. Sommers va même jusqu’à prédire que l’homme est le futur «deuxième sexe». Simone de Beauvoir doit se retourner dans sa tombe.

«C’est un bien mauvais moment pour être un garçon en Amérique», jette Sommers en guise d’introduction à son livre-choc. Et pour cause. Selon son analyse, et à son grand regret, un événement fait aujourd’hui office de figure emblématique de l’état des garçons en Amérique: la tuerie de Littleton. «Les jeunes tueurs de Columbine High ne sont que la pointe de l’iceberg, écrit le célèbre psychologue américain William Pollack dans Real Boy’s Voice. Et le reste de l’iceberg, ce sont TOUS les garçons.»

Cette remarque a tout pour horripiler Sommers. «À cause de deux dérangés, la société est en train d’attribuer des pathologies à des millions de jeunes hommes en santé. Au lieu d’attaquer les mâles adultes, les féministes utilisent des théories comme celles de Pollack pour se tourner vers les jeunes garçons afin de prévenir, à la source, d’après elles, la violence et la discrimination. À l’école, les hommes sont plus faciles à manipuler, semble-t-il. On veut ainsi transformer tous les garçons grâce au système scolaire, dominé par des femmes, pour en faire de futurs hommes exemplaires. Ce mouvement est déjà bien implanté aux États-Unis et débute au Canada.» Sommers dénonce à cor et à cri la voie empruntée: miser aveuglément sur le succès des filles, réprimer la masculinité et élever les garçons… comme des filles. Beau programme.

Go girls!
Girl Power! C’est sous ce slogan rassembleur (merci aux Spice Girls) que de multiples programmes ont été lancés par le gouvernement américain durant les cinq dernières années pour venir en aide aux jeunes filles. Rien de tel pour les garçons. Pour quelle raison? «Les filles sont toujours prises en pitié, soutient Sommers, souvent critiquée pour cette prise de position. On croit qu’elles sont désavantagées, démotivées et victimes de discrimination. C’était vrai dans le passé, mais plus maintenant.»

En 1994, la présumée détresse des filles a même fait bouger le Congrès américain. Le Gender Equity in Education Act catégorise les filles comme un groupe affaibli et discriminé au même titre que les minorités ethniques. Aux États-Unis, les filles bénéficient même d’une journée de congé spéciale, créée par le groupe féministe Ms. Foundation for Women. Pendant ce temps, les garçons, eux, doivent rester sur les bancs d’école…

«Ce malaise des filles est un mythe, car elles réussissent bien, indique Sommers. Ces efforts sont beaucoup trop importants. C’est même une forme de discrimination. Les filles ont toute l’attention, mais les garçons n’ont rien, car ils sont vus comme les responsables de l’iniquité historique entre les hommes et les femmes. C’est injuste. De jeunes garçons paient pour tout ça.» Le prix? Très élevé, selon l’auteure: l’avenir de la masculinité. Rien de moins.

Les efforts investis pour aider les filles ont peu à peu relégué aux oubliettes le sort des garçons, explique Sommers. Le hic, clame-t-elle, c’est que les filles surpassent les garçons à l’école. Et de très loin. «Selon des études gouvernementales américaines, un garçon de 17 ans a les mêmes capacités de lecture et d’écriture qu’une fille de… 13! Aussi, à l’université, les filles représentent 55 % des inscriptions et les garçons, 45 %, un pourcentage qui continue de diminuer.»

Toutefois, les garçons éclipsent outrageusement les filles dans certaines catégories. Ils se classent bons premiers (!) dans les statistiques sur… la criminalité, la délinquance et le suicide (selon le US Health and Human Services, 3792 des 4493 suicides de mineurs survenus en 1997 étaient commis par des garçons). C’est aussi sans compter leur domination écrasante au premier rang des listes d’échecs, de décrochage scolaire et de suspensions. Rien de très reluisant.

Devant un tel constat, applicable aussi bien aux États-Unis qu’au Canada, les féministes n’ont pu que changer leurs perceptions. D’après Sommers, «elles ont diagnostiqué une crise grave chez les garçons». Les symptômes: l’échec scolaire et la violence. La maladie: trouble existentiel aigu. La cause du bobo: une surdose de masculinité engendrée par une société machiste et une culture patriarcale. Le remède: non pas changer l’école, mais bien changer les garçons. En quoi? En filles!

Contre nature
Save-the-males. Voilà le nom du nouveau mouvement mené par des féministes «pures et dures», précise Sommers. Ce courant envahit le système scolaire américain (et canadien depuis peu, selon l’auteure) avec une hypothèse controversée: les garçons croulent sous le poids de la masculinité et des stéréotypes mâles, le fameux «Boy Code» (son leitmotiv bien connu: un garçon ne pleure pas). En fait, tout ce qui est traditionnellement mâle paraît mal. «Les féministes pensent que les garçons sont violents et échouent à l’école parce qu’ils se sentent mal à l’aise avec le fait d’être non émotifs, combatifs et compétitifs. C’est encore plus mauvais de les forcer à être comme les filles, car c’est contre leur nature.»

Élever les garçons comme des filles fait pourtant partie d’une nouvelle pédagogie naissante aux États-Unis. Cette éducation nouveau genre veut renverser les stéréotypes: les garçons doivent pleurer, exprimer leurs émotions, rester assis, prendre part aux activités des filles, etc. Par exemple, en 1998, des chercheurs du Wellesley College Center for Research on Women ont fait porter des robes et entouré de poupées des garçons de cinq ans. Le but? Rendre ces bambins plus calmes, plus attentionnés et moins agressifs. «Les chercheurs pensent ainsi pouvoir réprimer le côté violent des hommes, note Sommers. Car le côté féminin est, à leurs yeux, meilleur. Quelle erreur!»

Dans la pratique, cependant, l’éducation des garçons est influencée par ce nouveau courant. Dans plusieurs divisions des scouts, par exemple, il existe une nouvelle médaille, décernée à celui qui exprime à un compère un sentiment ou une expérience troublante. De plus, plusieurs écoles mettent à sac leurs cours de récréation, terreau fertile, semble-t-il, de la violence. «Les garçons n’ont plus le droit de jouer, un acte qui est pourtant bénéfique pour eux, affirme l’auteure. Des écoles bannissent même les boîtes à lunch et les vêtements qui montrent des superhéros masculins!»

Le processus de féminisation des garçons est déjà bien amorcé, se désole Sommers. «C’est contre nature de les transformer en zombies androgynes. Le problème, c’est qu’on confond égalité des sexes et similarité. Il y a des différences entre les sexes et il faut les accepter. Mais le côté masculin de l’humanité est devenu l’ennemi à abattre.»

Tolérance zéro
En 1997, un jeune élève de neuf ans de Virginie a tout de l’agresseur sexuel, selon son professeure: un jour, il dessine une fille nue lors d’un cours d’arts plastiques (après une visite au National Gallery of Art…). Lorsque le garçon bouscule une camarade de classe qui le devance dans la file d’attente de la cafétéria, le directeur alerte les policiers. Le jeune garçon est alors transporté au poste. Son crime? Agression sexuelle, accusation qui tombe après de multiples plaintes de parents et amis. La même année, une jeune fille de quatorze ans et ses parents poursuivent l’organisation des Boy Scouts of America. La raison? Exclure les filles de 15 et moins, un acte d’apartheid sexuel (!), selon les plaignants. Toujours la même année, un garçon de sept ans, du New Jersey, accusé de sexisme, est puni par le directeur de l’école. Son offense? N’avoir invité que des garçons à son party d’anniversaire…

D’après Sommers, ces exemples (extrêmes, certes) démontrent que le moindre geste interprété comme sexiste devient répréhensible, au détriment du bien-être des garçons. Selon les groupes de femmes, avance l’auteure, toute attention portée aux garçons (comme les scouts) constitue une injustice à combattre. Par contre, toute attention portée aux filles (telle une journée de congé exclusive) représente un triomphe de l’égalité des sexes. Deux poids, deux mesures, selon Sommers.

«La rééducation des hommes va trop loin, souligne-t-elle. Les garçons qui taquinent les filles sont devenus des agresseurs sexuels potentiels. Les féministes pensent que les garçons le font pour s’assurer que les femmes soient toujours subordonnées aux hommes. C’est ridicule! Depuis plusieurs années, moins de 1 % des garçons de moins de 18 ans sont arrêtés pour crime violent.» Malgré tout, la National Organisation for Women l’a réaffirmé l’année dernière: «Les écoles sont le terrain d’entraînement du harcèlement sexuel».

Ainsi, les «programmes de rééducation» pullulent aux États-Unis et apparaissent au Canada, tous plus aussi originaux les uns que les autres. À tel point que les classes se transforment en réunions des AA (pour Anor-mâles Anonymes). Par exemple, l’activité «Gender violence/Gender Justice» est destinée aux garçons de six ans. Elle les invite à parler de viol et à confier leurs sentiments en tant qu’homme, l’«abuseur naturel». «Les enfants sont traumatisés, estime Sommers, dont les deux fils ont subi des examens du genre. Aux filles, on envoie le message que les garçons sont des cons. Aux garçons, on envoie le message qu’ils sont naturellement mauvais. Ils vivent dans un état constant de culpabilité et se sentent attaqués pour ce qu’ils sont. C’est du lavage de cerveau!»

Sortie de secours
D’après Sommers, la féminisation des garçons est une erreur. Idem pour les programmes de prévention de la violence faite aux femmes. La solution? «Pour contrôler la violence de certains garçons et améliorer leur dossier scolaire, il faut plus de discipline dans les écoles.» Par «discipline», l’auteure entend un contrôle strict des actes excessifs des garçons dans le respect de leur masculinité. «Ce n’est pas parce qu’un garçon est allé trop loin en jouant au ballon qu’il faut bannir ce jeu, un exutoire pour tous les garçons normaux.»

Sommers est une fervente militante en faveur des écoles et des classes non mixtes. Pour les garçons, elle prône l’emploi de professeurs mâles, «une espèce en voie de disparition avec les féministes qui croient à la supériorité du modèle féminin». «Mais les femmes n’aiment pas les hommes en groupes, indique-t-elle. Aux États-Unis, des associations de femmes ont réussi à obtenir la fermeture d’écoles pour garçons seulement. En fait, les écoles non mixtes sont vues comme de la ségrégation sexuelle.»

Sommers croit qu’il faut au contraire stimuler les caractéristiques masculines des garçons à l’école. «Il faut leur faire lire des histoires sur le sport, réaliser des activités avec des sujets qui les concernent et des compétitions pour encourager leur combativité. C’est ainsi qu’ils n’exploseront pas dans la violence en voyant leur côté masculin réprimé.»

Sommers avoue toutefois prêcher dans le désert. Car dans le système scolaire, comme dans la société, «plus personne ne vante les mérites de la masculinité». «Pourtant, les hommes ont de bons côtés: le sens de l’honneur, l’énergie, la compétitivité, la créativité, le courage. Mais on démonise tout ça. Un père qui joue à lutter légèrement avec son enfant est maintenant vu comme un militant pour une société machiste! Si les femmes continuent à condamner la masculinité, comment alors vivront-elles en relation avec les hommes?»

Voir aussi sur ce sujet la réaction de Geneviève Saint-Germain et les textes sur La discrimination contre les hommes et sur Le Premier sexe dans la section Actualité.