Élections américaines : Le complot
Société

Élections américaines : Le complot

Chez nos voisins du Sud, ce ne sont pas les citoyens qui vont élire le prochain président, mais les grosses corporations comme GM, Microsoft et AT&T. Au plus fort la poche !

Le 6 août dernier, le Parti républicain organisait un tournoi de golf à Philadelphie, strictement réservé aux patrons de l’industrie des télécommunications. Prix de chaque inscription: vingt cinq mille dollars. L’enjeu? Un tête à tête avec Billy Tauzin, responsable du comité sénatorial sur le commerce et la protection du consommateur dans les télécommunications.

Le sénateur Joe Barton, président du comité sur l’énergie, présidait au début du mois un immense barbecue organisé à son intention par l’Association pétrolière américaine et l’Institut national de l’énergie nucléaire. Au même moment, Sony, Disney, l’industrie du disque américaine et Seagram/Universal organisaient un party pour le républicain Marc Foley, responsable du groupe de réflexion sur l’industrie du divertissement au sénat.

Devant l’adoption au sénat, en janvier, d’une loi permettant l’exemption illimitée de taxes pour les donateurs aux caisses électorales, le sénateur Ross Feingold du Wisconsin s’est exclamé: «Il s’agit ni plus ni moins d’une mesure servant à légaliser la corruption.» Le débat qu’il voulait provoquer a trouvé peu d’écho dans des médias souvent contrôlés par des conglomérats qui gèrent de demi-monopoles et possèdent une foule d’intérêts diversifiés. Une situation répandue dans toute l’Amérique de l’an 2000, celle du capital victorieux.

Pieds et mains liés
La politique ne peut plus y être définie, comme le voulait Hegel, par le traditionnel affrontement des doctrines de gauche ou de droite, mais bien plutôt par la confrontation très peu idéologique entre les intérêts financiers corporatifs et ceux du simple citoyen.

Théoriquement arbitré par les pouvoirs politiques qui oscillent entre l’interventionnisme et le laisser-faire, cette confrontation tend à devenir de plus en plus inégale.
Observateur de la scène politique nord-américaine en cette période pré-électorale, le nouvelliste E. L. Doctrow (Ragtime) a écrit la semaine dernière dans la publication de gauche The Nation que tous les enjeux sociaux importants sont littéralement pervertis, et leur substance distordue par les pressions de grandes corporations qui lient les mains des politiciens en contribuant aux caisses des candidats et des partis.
Banques, pétrole, industrie forestière, armement, communications, électronique, chimie, alimentation : les agents des grandes corporations font le pied de grue dans les corridors du pouvoir. «En empêchant l’adoption de législations qui seraient dans l’intérêt du simple citoyen, elles font ni plus ni moins que du sabotage social et déprécient le pouvoir de l’électeur ordinaire», dit Doctrow. De quoi expliquer toutes ces décisions et ces lois insensées adoptées à l’encontre du bon sens et de l’intérêt public par nos élus, serait-on tenté d’ajouter.

Nos politiciens deviennent en fait les débiteurs des grands intérêts dès qu’ils acceptent une contribution.

Et plus que n’importe quoi, la campagne électorale américaine permet de colliger des faits proprement hallucinants sur ce compagnonnage malsain fait de perpétuels allers et retours d’ascenceur.

Tenues au milieu du mois, les conventions des partis républicain et démocrate ont coûté respectivement cinquante et trente-cinq millions de dollars. D’où venait tout cet argent?

De trois géants: AT&T, Microsoft et GM. Trois entreprises impliquées dans de dispendieux procès les opposant au gouvernement central ou à des groupes de citoyens. GM pousse la politesse jusqu’à assurer cordialement le transport de tous les délégués des deux partis.

Aux É.-U., les conventions ne sont pas tant l’occasion de brasser des idées que de s’assurer une précieuse visibilité sur les télés nationales et, surtout, d’amorcer de gigantesques opérations de collecte de fonds.

Les Pionniers
Un groupe un peu particulier opère derrière les lignes républicaines: Les Pionniers. Il est constitué d’individus ayant contribué pour plus de cent mille dollars à la campagne présidentielle.

Les Pionniers comptent parmi ex de singuliers personnages dont:

-Charles Hurvitz, spécialiste des Junkbonds. Selon le ministère de la Justice américain, ses opérations boursières, au bord de la fraude, ont coûté 1,6 milliards de dollars aux contribuables.

-Raymond Hemmings, président de Acer Express, la plus grande entreprise de pré encaissement de chèques d’Amérique dont les ramifications s’étendent jusqu’au Québec. Acer pratique des prêts usuraires légaux qui exploitent la misère financière des pauvres en chargeant jusqu’à 500 % d’intérêts. Hemmings combat actuellement l’éventuel durcissement des lois sur le blanchiment d’argent auquel son entreprise semble souvent servir de façade, selon le gouvernement fédéral.

Parmi les plus importants lobbyistes occupés à recueillir des fonds pour Bush et Gore, on compte encore:

-Haley Barbour, représentant des assureurs et des fournisseurs de cartes de crédit qui réclament une nouvelle loi afin de restreindre l’accès à la faillite.

-Henson Moore, ex-sénateur de la Louisiane employé de l’Association des pâtes et papier, qui réclame un assouplissement de la législation environnementale et la diminution des espaces réservés aux parcs naturels.

-Charlie Blank, qui représente les intérêts des compagnies de jeu américaines qui militent pour la levée du contrôle gouvernemental sur les loteries.

-David Metzner, représentant de l’industrie pharmaceutique et des biotechnologies qui réclame, entre autres, la prolongation de la durée des brevets sur le médicament d’origine.

-Boyden Gray, représentant de Citigroup, une banque sous enquête du congrès pour blanchiment d’argent.

-Karl Rove, bras droit de Bush, qui supporte une réforme qui limiterait le droit de poursuite des États à l’endroit de l’industrie du tabac. Ils ont conseillé à George Bush Jr de s’opposer à une poursuite de l’État du Texas contre le cigarettier Philp Morris.
Mieux: treize juristes de la firme Kirkland & Ellis ont versé conjointement cette année cent dix mille dollars au Prti républicain. Kirkland & Ellis a pour principal client le cigarettier Brown & Willianson. L’avocat le plus réputé de cette firme se nomme Kenneth Star, celui-là même qui a poursuivi Bill Clinton dans l’affaire Lewinsky.

Dictionnaire Le Petit Robert, page 351: Complot. Nom masculin, rassemblement de personnes, projet concerté contre la sécurité ou la vie de quelqu’un ou d’une institution…