L'architecture à Montréal : Béton armé
Société

L’architecture à Montréal : Béton armé

La semaine dernière, l’urbaniste Gérard Baudet dénonçait les aberrations de plusieurs projets d’urbanisme réalisés à travers la province. Nous avons demandé à trois architectes montréalais de faire un «tour du propriétaire», et de critiquer leur ville en identifiant les meilleures et les pires réalisations de la Métropole… État des lieux.

En juillet dernier, le quotidien Le Monde a publié un long papier sur Montréal. Ce qu’on pouvait y lire? Des clichés ronflants (le parc La Fontaine est «le théâtre d’un virevoltant ballet d’écureuils gris»…), mais aussi une critique acerbe de l’architecture montréalaise. «Ville en friche où l’on rase et où l’on reconstruit sans états d’âme. D’où un développement urbain assez anarchique. […] Rien qui, à l’exception du Vieux-Montréal et du Vieux-Port, la distingue du classique schéma urbain nord-américain: succession de banlieues monotones, flots d’automobiles saturant, à heures fixes, ponts et autoroutes irriguant un centre-ville en damier dominé par le traditionnel bouquet de gratte-ciel.» Et ça divague à nouveau quand le journaliste conclut que, finalement, «il n’y a pas là de quoi casser trois pattes à un caribou»… (En passant, si vous vous demandiez encore si le Printemps du Québec, qui a eu lieu l’an dernier à Paris, a eu des effets à long terme du sur la façon dont les Français perçoivent la Belle Province, vous pouvez continuer de tricoter vos ceintures fléchées en paix…)

Histoire tour à tour de se flageller et de s’encenser en famille, nous avons demandé à trois architectes montréalais de porter un regard critique sur leur ville, et de nous dire quels sont, selon eux, les réussites et les navets de Montréal. Suivez les guides…

Claude Cormier
Architecte-paysagiste. Professeur à l’Université de Montréal, il a notamment travaillé au nouvel aménagement de la place d’Youville, et à la réalisation de la place publique du pavillon J. A. De Sève de l’UQAM.

Le bon coup: «Ce n’est pas très nouveau, mais ça me fait triper chaque fois que je le vois: Habitat 67, de Moshe Safdie. Comme machine à habiter, c’est quelque chose!

Habituellement, les tours d’habitation sont des endroits tristes et massifs, alors qu’Habitat 67 est tout le contraire… En plus, on y jouit d’une vue imprenable sur le centre-ville, et sur les ponts, la brise du fleuve, les couches de soleil: c’est Montréal dans toute sa splendeur. J’irais habiter là demain matin.»

Le mauvais coup: «Le nouveau Bureau en Gros construit l’an dernier dans le Vieux-Montréal rue Notre-Dame, au coin de University… Je ne comprends toujours pas: une grosse façade en tôle rouge, avec un mur de briques grises, c’est la banlieue en ville, en plein dans les plates-bandes de la Cité du multimédia! La Ville de Montréal n’aurait jamais dû laisser faire ça. En ville, les chaînes de magasins doivent s’insérer à l’intérieur d’un cadre plus réglementé qu’en banlieue. Mais dans ce cas-là, on a l’impression qu’il y a eu comme eu un glissement… Je ne sais pas comment Bureau en Gros a réussi à faire approuver le projet, parce qu’habituellement, quand on bâtit dans le Vieux-Montréal, on est très surveillé. Je n’ai pas suivi l’affaire de près, donc ma critique vaut ce qu’elle vaut, mais ils sont bons en maudit pour être parvenu à faire passer ce projet…»

Gilles Saucier
Architecte. Il a été finaliste pour le projet de la Grande Bibliothèque et a, entre autres, travaillé à la rénovation du Théâtre d’Aujourd’hui, et de la Cinémathèque québécoise.

Le bon coup: «La variété en général: c’est une des grandes forces de Montréal. Les architectes étrangers qui viennent chez nous sont impressionnés par la variété de la ville, autant sur le plan des espaces verts que sur celui des maisons unifamiliales et multifamiliales, des commerces, etc. Et la variété se retrouve à plusieurs niveaux, autant dans la langue que dans l’environnement, dans les espaces verts, que dans l’ouverture d’esprit des gens. Les choses se développent dans beaucoup de directions, et ça fait une ville très vivante. Je crois que c’est cette variété qui va faire en sorte qu’internationalement, Montréal va reprendre l’importance qu’elle a déjà eue durant les années soixante.»

Le mauvais coup: «Le Palais des congrès: ç’a toujours été un coup de poing sur la gueule quand on passe devant, et je me demande si les travaux en cour vont remédier à la situation. À l’origine, je trouve que l’idée de remplir l’espace vacant qui se trouve au-dessus de l’autoroute Ville Marie, qui est situé entre le centre-ville et le Vieux-Montréal, est excellente. Mais je ne crois pas que le Palais des congrès et le futur bâtiment de la Caisse de Dépôt arrivent à tisser un lien entre ces deux quartiers de la ville. Quand l’échelle des bâtiments est adéquate, un lien naturel se crée avec les gens qui passent dans la rue, et je me demande si ce sera le cas quand le projet sera terminé. Cela n’a rien à voir avec la qualité de l’architecture, mais avec l’échelle de ce que l’on est en train de bâtir.

Le développement autour des grands axes urbains a toujours été un drame en Amérique du Nord. Aucune grande ville n’y échappe. Maintenant, on essaie de réparer les erreurs commises dans le passé, et c’est très bien. L’autoroute Ville-Marie sépare carrément la ville, et il est important de tisser des liens entre le nord et le sud. Mais ce n’est pas nécessairement parce que l’on construit quelque chose que l’on vient automatiquement de faire un lien.»

Georges Adamczyk
Directeur de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, ancien directeur du Centre de Design de l’Université du Québec à Montréal.

Le bon coup: «J’en vois plusieurs: il y a eu d’excellentes réalisations à Montréal au cours des dernières années. Le Musée d’archéologie de Pointe-à-Callière, par exemple. Ce bâtiment réussit à conserver la mémoire du lieu, tout en présentant une facture très contemporaine: chaque fois qu’on le voit, on en découvre toujours une nouvelle facette. J’aime également, et pour les mêmes raisons, le Centre Canadien d’Architecture, très moderne et en même temps très équilibré. Même chose pour la Cinémathèque québécoise, qui prouve que l’on peut conserver un bâtiment existant, tout en y ajoutant une touche contemporaine, et en jouant avec l’image et les nouveaux médias en tant que partie prenante de l’architecture de l’édifice.»

Le mauvais oup: «L’Institut d’Hôtellerie, rue Saint-Denis, en face du carré Saint-Louis. Cet édifice massif en béton, construit il y a une vingtaine d’année, n’est carrément pas adapté au quartier dans lequel il est situé. Il évoque davantage les banlieues industrielles de Montréal que l’architecture du Plateau, le carré Saint-Louis, la rue Sherbrooke… En plus, il ne cherche pas du tout à composer avec l’idée que l’on se fait de l’hôtellerie: l’accueil, la gastronomie, le plaisir des yeux. À vrai dire, il en est plutôt l’antithèse… Quand on sait que Montréal regorge d’architectes inventifs et talentueux, c’est un peu dommage de croiser des erreurs comme celle-là…»

À quels bâtiments décerneriez-vous vos prix Orange et Citron?