Le Plan Colombie : Good Morning Colombia
Société

Le Plan Colombie : Good Morning Colombia

Les États-Unis ont octroyé une aide de 1,3 milliard de dollars US à la Colombie pour la lutte antidrogue dans ce pays; les deux tiers de cette somme sont destinés à des fins militaires. Ce programme, appelé le Plan Colombie, risque d’engendrer une escalade des conflits en cours dans ce pays d’Amérique latine. Un deuxième Viêt Nam?

La guerre antidrogue prend un nouveau tournant. Le 30 août dernier, les États-Unis ont octroyé une aide de 1,319 milliard de dollars US au gouvernement colombien afin de renforcer la lutte contre la drogue dans ce pays. Dans le cadre d’un programme appelé le Plan Colombie, le gouvernement américain s’engage à fournir à cette contrée d’Amérique latine dix-huit hélicoptères Black Hawk et quarante-deux Huey II pour aider à la défoliation et à la destruction des plantations de coca, matière première de la cocaïne. De plus, les États-Unis assureront la présence de cinq cents «conseillers américains» (des instructeurs militaires et de renseignements) qui épauleront les soldats du président Andrés Pastrana dans leur combat contre les stupéfiants. Les narcotrafiquants n’ont qu’à bien se tenir..
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Le Département d’État américain justifie cette action par une tonne de chiffres et de statistiques. Aux États-Unis, la drogue tue cinquante-deux mille personnes et coûte cent dix milliards de dollars US annuellement en «santé, accidents et pertes de productivité». Principal fournisseur des États-Unis en cocaïne (90 %) avec plus de quatre cents tonnes par an et en héroïne (66 %) avec six tonnes, la Colombie est devenue le pays paria des États-Unis en matière de drogues. D’ailleurs, pas moins de cent vingt mille hectares de coca y sont cultivés. C’est ainsi que le gouvernement américain a conclu à l’urgence d’agir.

Toutefois, le Plan Colombie pourrait engendrer des conséquences désastreuses. C’est que les plantations de coca à détruire se retrouvent… sur les terres des guérillas colombiennes, en lutte contre l’armée du pays.

En fait, la Colombie est confrontée depuis trente-six ans à une violente guerre civile qui a fait plus de cent vingt mille morts, deux millions de déplacés et trois mille enlèvements par an en moyenne. Elle oppose l’armée, les paramilitaires, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, guérilla marxiste) et l’Armée de libération nationale (ELN, guérilla d’extrême gauch). Selon l’armée, les guérillas tirent une bonne part de leurs revenus du trafic de la drogue. «Les États-Unis et l’armée colombienne visent indirectement à éliminer l’opposition des guérillas, affirme Hector Poblété, coordonnateur du Comité chrétien pour les droits humains en Amérique latine. Cela va dégénérer surtout parce que les guérillas sont de plus en plus fortes.»

«Notre initiative représente un combat contre la drogue et une lutte en faveur de la paix», a assuré dans un discours télévisé le président américain Bill Clinton lors de l’annonce de l’engagement américain. Selon Hector Poblété, rien n’est moins sûr: les deux tiers du budget prévu sont destinés à des fins militaires… D’ailleurs, quelque deux cents personnes ont été tuées, dont cent cinquante guérilleros, depuis le vote par le Sénat, le 29 juin, du Plan de Colombie. Une initiative de paix, ce plan? «Non, tranche Poblété. D’autant plus que les manifestations de citoyens se multiplient en Colombie et ailleurs dans le monde.»

Plan de guerre
En exil au Québec depuis mai dernier, le journaliste d’origine colombienne Martin Movilla s’inquiète lui aussi. «Au lieu d’être un plan pour la paix, le Plan Colombie en devient un pour la guerre, se désole-t-il. Ce que les États-Unis considèrent comme une lutte à la drogue pourrait engendrer une escalade du conflit et un niveau incontrôlable de violations des droits de la personne.»

De récents événements semblent lui donner raison. Dans un communiqué publié la semaine dernière, les FARC ont admis considérer le plan comme une «déclaration de guerre» camouflée. D’un autre côté, estime Martin Movilla, l’occasion est trop belle pour l’armée, nouvellement «appuyée» par un renfort américain, d’éliminer leurs opposants. «Les militaires n’osent pas trop s’aventurer sur les territoires des guérillas, affirme le journaliste. Avec cette aide, ils le feront, attaqueront les guérillas en même temps que les plantations de coca.» Il craint alors une «vietnamisation» du conflit, c’est-à-dire qu l’appui des Américains à l’un des camps en confrontation risque de mettre carrément le feu aux poudres.

Pour plusieurs analystes, le Plan Colombie représente une ingérence américaine dans les affaires internes de l’État colombien. «Les États-Unis agissent dans leur propre intérêt, souligne Ernesto Ramirez, coordonnateur du Comité pour les droits humains en Colombie. Au lieu de s’occuper du phénomène de la drogue dans leur pays, ils le règlent sur le dos de la population colombienne.» Sans être un anti-yankee, il avoue cependant que l’aide américaine cache d’importants intérêts. «Il y a du pétrole dans les territoires où se fait la culture du coca, note-t-il. Les multinationales américaines ne peuvent s’y implanter à cause de la présence des guérillas. On peut supposer que les États-Unis agissent aussi par intérêt économique.»
Des organisations non gouvernementales (ONG), comme Human Rights Watch et Amnistie internationale, accusent en plus les États-Unis d’investir, à tort, davantage d’efforts dans la lutte contre la drogue que dans la protection des droits humains. «La Colombie est l’un des pires pays en la matière, estime Antonio Artuso, membre du Réseau international pour les droits humains. Donner un appui militaire à l’armée, c’est cautionner les violations des droits de l’homme.» D’ailleurs, pour approuver son investissement dans le Plan Colombie, Clinton a dû signer une dérogation à une règle du Congrès américain qui stipule qu’une aide militaire ne peut être octroyée à un pays possédant un dossier négatif en matière de droits de l’homme, comme la Colombie…

Massacres en vue?
En Amérique latine, une levée de bouclier s’opère en vue de l’application du Plan. Le Brésil et le Venezuela augmentent la présence militaire aux frontières de la Colombie. La crainte d’une vague de migration de la population, comme dans le cas du Kosovo, fait craindre le pire. «Les États-Unis aident même les pays voisins à prévenir les conséquences néfastes du Plan Colombie, affirme Ernesto Ramirez. Donc,le pays pense qu’il y a vraiment des risques de massacres. Quel manque de responsabilité!»
Selon Martin Movilla, ce manque de responsabilité s’exprime également dans le fait que rien n’est encore clairement déterminé dans le Plan concernant les civils qui se livrent à la culture du coca. «Pour sept cent mille familles du pays, souligne-t-il, c’est une façon de survivre. Ils ne connaissent même pas bien l’illégalité de leur geste. Ce ne sont pas des criminels! C’est simplement qu’aucune autre culture ne leur rapporte autant de profits, même si ces derniers sont assez maigres en réalité.»

La solution proposée par les personnes interrogées repose sur une conversion des cultures de coca en cultures alternatives, accompagnée évidemment par une aide de l’État afin que le changement soit, au bout du compte, profitable aux cultivateurs. «Il faudrait un investissement social, affirme Martin Movilla. Toutefois, le Plan Colombie s’en prend aux paysans. Ils vont se sentir abandonnés, prendront les armes et seront aidés par les guérillas. La solution à la drogue en Colombie n’est donc pas militaire. Qu’adviendra-t-il des négociations de paix entre l’armée et les guérillas entamées depuis peu? La situation ne fera que s’envenimer.»