Droit de cité : Les poules auront des dents
Société

Droit de cité : Les poules auront des dents

Eh ben, dis donc, ce n’est plus des farces! Ce sacripant de Pierrot le fou est en train de relever son défi, au départ, insurmontable.
Il y a deux ans, quand on vous posait la question à savoir si Pierre Bourque réussirait son "île, une ville", c’était l’hilarité générale. Ce jour-là, disiez-vous, nous pourrons nous télétransporter pour aller nourrir nos poules qui auront des dents. Viens, ma petite pondeuse, j’ai un beau nonosse, juste pour toi. Voir si celui qui raisonne comme des petits biscuits chinois parviendrait là où les plus rusés des politicailleux ont échoué!
Si vous avez un poulailler à la maison, à votre place, je me méfierais avant d’y entrer. Parce que Pierre Bourque est sur la voie de réussir son pari.
Oh! rien n’est tout à fait joué; mais, à moins d’un revirement spectaculaire, on s’en va tout droit vers la fusion des villes de l’île de Montréal. Quant aux détails, à savoir qui dorénavant rendra tel ou tel service, qui décidera du sort du voisin et à quel prix doit briller le soleil: on verra plus tard. Mais le principe, lui, est maintenant établi: ce sera entre la proposition du comité de Louis Bernard (une ville qui chapeaute des petites mairies de quartiers) et la totale de Pierre Bourque.
Comment une idée jugée à l’époque farfelue, portée par un maire incapable de faire deux pas sans piler sur un râteau, en est-elle rendue à quelques lunes de la consécration et du méchoui de la victoire? Cet homme est-il capable de plier des cuillères à distance? Bien sûr que non.
C’est que, pendant que les adversaires à "une île, une ville" s’emmêlaient les pinceaux dans un picossage partisan contre le maire Bourque, celui-ci sortait de ses boiseries. De porte en porte, de poignée de main en poignée de main, de souper-spaghetti en souper-spaghetti, il a réédité le coup de sa réélection de 1998. Il a abandonné ses adversaires à leurs solutions Frankenstein, sans répliquer. Il a plutôt usé ses talons dans une campagne publique et de coulisses redoutable.
Il y a du Mr. Fix-it là-dessous. Guy Coulombe, affectueusement surnommé ainsi par les anglos pour son expertise dans la réparation d’appareils d’État défectueux (Hydro-Québec, SQ), avait été parachuté par Québec pour réparer la mécanique de Montréal. Depuis son arrivée à la direction générale de la Ville, on a senti sans arrêt sa main de fer dans un gant d’acier. Les dépenses ont été contrôlées, l’ordre a été remis dans les finances, la Ville s’engage vers un assainissement de sa politique de consultations publiques, et… le projet d’ "une île, une ville" a sérieusement pris du galon, passant d’un rêve impérial à un projet concret qui, jusqu’à maintenant, a le mérite d’être le seul à tenir seul debout.

La rédemption
C’est inévitable: chaque fois que l’un des nôtres voyage de par le vaste monde, il découvre l’objet de notre rédemption collective par excellence: les "stades olympiques" des autres.
Seulement de savoir qu’il y a d’autres nonos que nous, ça nous aide à panser nos plaies. "Y’ont un gros machin qui leur a coûté dix fois plus cher, ça a pris dix ans de plus que nous pour le finir… Non, mais que ça me rappelle notre Stade !"
À Sydney, leur machin "dollargivore" a été l’Opéra, le fameux symbole de la ville olympique.
À la fin d’un topo sur la chose, le journaliste de Radio-Canada, Guy Daoust, a demandé, tout de go: "Ça vous rappelle quelque chose?" En effet: les yeux plus gros que la panse pour un projet grandiose; les bétonnières plus grosses que l’édifice; un architecte étranger fou, qui a eu l’ambition de faire des autochtones le banc d’essai de ses réflexions sur les limites de la physique; des administrateurs véreux qui en profitent au passage pour racler plus large que la charrue… On a une impression de déjà-vu.
Il faudrait peut-être en revenir de notre psychodrame d’acier et de béton. À l’occasion, des romantiques laissent entendre que c’est la Conquête, ou la Crise d’octobre qui ont le plus marqué notre petite nation.
Non, c’est l’aventure ratée du Stade olympique. Après des siècles à vivre pour de petits pains, on a voulu démontrer au monde qu’on était capables de projets grandioses, nous aussi. Les yeux de la planète étaient sur nous, au moment où tout ça a foiré.
Pour un peuple à la peau courte – un simple commentaire sur des ondes radio américaines nous a fait monter aux barricades -, c’en était trop.
Depuis, tout projet qui dépasse le milliard n’est plus analysé froidement pour ses vertus. On évoque plutôt le spectre du Stade, au cas où… Au cas où l’entreprise de Mosel Vitellic ne marcherait pas, au cas où le financement du Technodôme aurait été bâti sur du vent, que le stade des Expos aurait été une lubie… Peut-être, peut-être, mais tous ces projets ont été jetés (ou sur le point de l’être) juste par peur de répéter l’erreur olympique.
La Conquête nous a donné l’audace de résister. La Crise d’octobre, celle de s’affirmer. Et le Stade nous a coupé les ailes.