Gestion des forêts : Pas sorti du bois
Société

Gestion des forêts : Pas sorti du bois

Tout le monde le sait: le Québec gère mal ses forêts. Afin de ne pas répéter nos vieilles erreurs (boréales), le gouvernement songe à réviser le régime forestier afin de privilégier le développement durable. Tout cela est bien beau sur papier. Mais dans la réalité, c’est toujours la même vieille rengaine: on ne gère qu’à court terme…

"On a mis en place un système favorable à l’industrie. On a besoin d’un véritable coup de barre, d’une sorte de Révolution tranquille."
Ingénieur forestier et porte-parole de la Coalition sur les forêts nordiques, Pierre Dubois trouve que le gouvernement est beaucoup trop à l’écoute des demandes de l’industrie. La population devrait reprendre ses droits sur la forêt avant qu’il ne soit trop tard.
Exemple de mauvaise gestion: en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, on a tellement rasé d’arbres que les réserves de matière ligneuse sont en baisse. Résultat: on devra restreindre l’exploitation et diminuer les droits de coupe de 10 % à 30 %, ce qui entraînera ne nombreuses pertes d’emplois. Pourtant, le ministère des Ressources naturelles (MRN) avait tout calculé avant de permettre aux forestières d’exploiter ce territoire…
"Il faudrait une enquête publique indépendante pour mettre de l’ordre dans tout ça", exhorte Pierre Dubois. Une commission parlementaire ne sera pas assez transparente, dit-il. L’industrie serait trop influente pour que l’État pilote le dossier. "Les compagnies se permettent d’intervenir directement auprès du cabinet. Ils ont un lobby extrêmement puissant."
Monsieur Dubois se console néanmoins. Depuis la diffusion de L’Erreur boréale, le film de Richard Desjardins, les citoyens appuieraient son combat. "On n’a pas les mêmes ressources, mais au moins, on a la faveur populaire de notre côté."
Joint en Abitibi-Témiscamingue, le président du Réseau québécois des groupes écologistes, Henri Jacob, est tout aussi tourmenté. Le projet du MRN, qui sera étudié sous peu, propose une exploitation à rendement accru. Selon lui, ça veut dire qu’on va délimiter des zones précises, où tout ce qui importera sera le volume de bois à couper. Tant pis si on y plante des arbres modifiés génétiquement sans égard pour les impacts environnementaux: l’important est de compenser le manque de bois… "C’est carrément rendre la forêt au service de l’industrie", prétend-il.
Tout comme son confrère, Henri Jacob affirme que le MRN est infiltré par l’entreprise privée. "L’objectif du MRN secteur forêts est de fournir de la matière ligneuse aux entreprises, point."
L’une des principales pierres d’achoppement, au dire de l’écologiste, réside dans le mode d’octroi des droits de coupe. "Les calculs sont faits par les compagnies, s’insurge-t-il. De plus, il y a de moins en moins d’inspecteurs sur le terrain."
Et ce n’est pas tout. Monsieur Jacob frissonne à l’idée que le ministre Brassard remette sur la table son projet de création de Forêts-Québec, un organisme de type Hydro-Québec au sein duquel les forestières auraient… 50 % des sièges ! L’idée aurait été subitement laissée de côté après la diffusion de L’Erreur boréale. "Mais je crois que ce n’est que partie remise."

Un échec complet
Pour Louis Bélanger, vice-président forêts de l’Union québécoise pour la conservation de la nature et professeur en aménagement forestier à l’Université Laval, le gouvernement abdique ses responsabilités. "Regardez ce qui se passe dans les régions de l’Est, dit-il. On appelle ça une rupture de stock… L’échec est complet."
Monsieur Bélanger invite le ministre Brassard à se rendre dans les territoires touchés pour expliquer aux travailleurs qui vont perdre leur emploi que le gouvernement pratiquait du développement durable dans cette région. On va voir comment ils vont réagir…
Au fait: Louis Bélanger est un universitaire. Est-ce que les forestières contrôlent la recherche et les fonds octroyés? Il rit. "Il n’y a aucune subvention!" Puis, il se ressaisit. Il y a le Fonds forestier auquel les compagnies sont obligées de contribuer (une sorte de taxe pour financer les études). Et il y a le programme de mise en valeur, volet recherche. De l’argent public sur lequel, lance-t-il, l’industrie a un droit de veto. "Si vous n’avez pas l’appui d’un industriel, vous n’avez pas de financement pour effectuer vos recherches."
Résidante de Chicoutimi, directrice régionale et porte-parole pour ce dossier de l’Association des biologistes du Québec, Nathalie Perron tient pour sa part à éclaircir le débat. "Il faut poursuivre l’exploitation forestière, mais de façon intelligente. Il faut être conscient qu’une forêt, c’est un écosystème. Ce n’est pas seulement des arbres qui servent faire du bois et à créer des jobs."
Participant au comité forêts des Amis de la terre, Guillaume Rousseau est perplexe. "Je pense que le principal objectif du gouvernement est d’arriver à faire croire et à se faire croire qu’on change les choses… Il faudrait adopter une approche écologique afin de s’assurer qu’on aura du bois dans les siècles à venir. Sinon, on risque de perdre beaucoup d’emplois."
Monsieur Rousseau admet que de changer les façons de faire coûterait une beurrée. Délaisser des territoires pour préserver les écosystèmes ou ne couper que les arbres matures: des frais astronomiques en perspective. "Ça représente un investissement important à court et moyen terme mais, à long terme, ça sera rentable", évalue-t-il. Est-ce réaliste? Au moins, il faut y réfléchir, fait-il valoir.
Justement, les Amis de la terre convie tous les intervenants qui oeuvrent dans le domaine forestier à une grande rencontre le 18 novembre dans la capitale. On veut dégager des objectifs communs à présenter au gouvernement.

Légende urbaine?
L’attachée de presse du ministre Jacques Brassard, Louise Accolas, respecte le point de vue des écologistes. Mais elle certifie que l’objectif du MRN est d’assurer la pérennité de la ressource. "Ce but est poursuivi depuis l’adoption de la Loi sur les forêts en 1987 Notre forêt est naturelle et se régénère à 80 %."
Quant aux allégations de promiscuité entre les forestières et le MRN? "Ce n’est pas tout noir ou tout blanc… La promiscuité, nous l’avons avec toutes les personnes qui travaillent dans le domaine des forêts. Cette rumeur de collision entre le gouvernement et l’industrie est une légende urbaine qui circule depuis des années. Il faut étudier les faits. C’est bien beau, regarder des films (entendre: L’Erreur boréale), mais il faut aussi prendre le temps de lire."
Certes, l’industrie finance la recherche, mais on voit le même phénomène en culture, par exemple. Personne ne s’en plaint, continue-t-elle.
"Je ne dis pas que c’est le modèle idéal. Le modèle est toujours à parfaire, admet-elle. Mais, c’est le meilleur que l’on ait trouvé jusqu’à maintenant pour préserver la ressource."