Debout! : Françoise David
Société

Debout! : Françoise David

Vous trouvez que le monde ne tourne pas rond? Participez à son redressement! Toutes les deux semaines, afin de vous inspirer, nous vous présentons un activiste qui remue ciel et terre pour changer les choses et améliorer la vie.

Françoise David, 52 ans, présidente de la Fédération des femmes du Québec, qui regroupe 140 associations de femmes

C’est le branle-bas de combat dans les locaux de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) dans le Vieux-Montréal. À l’approche des activités de la Marche mondiale des femmes, du 9 au 17 octobre, les militantes s’activent pour tout mettre en oeuvre. La présidente de la FFQ, Françoise David, ne ménage pas non plus les efforts. C’est qu’elle désire laisser sa marque avant de quitter son poste en juin prochain. En entrevue, la militante féministe rappelle les fondements de sa cause et sa vision du militantisme, tout en étant critique face aux orientations passées de la FFQ. Une sorte de post mortem avant de chausser ses espadrilles et de marcher durant ce qu’elle décrit comme le point culminant de ses activités de militante.

Sa cause:
l’égalité entre les hommes et les femmes
À la Fédération des femmes du Québec, les temps ont bien changé depuis l’époque de Thérèse Casgrain et de Simonne Monet-Chartrand. Toutefois, le fondement de la lutte de la FFQ et de sa présidente Françoise David demeure le même: faire en sorte que justice et égalité ne soient pas des noms féminins seulement en grammaire, mais aussi dans la vie quotidienne.

Ce combat est maintenant canalisé dans la Marche mondiale des femmes, l’événement phare du mouvement féministe (voir pages 5-6). Françoise David n’est d’ailleurs pas peu fière du rôle joué par la FFQ comme initiatrice de ce projet international. "Après le franc succès de la marche Du pain et des roses, en 1995, des militantes de la fédération ont pensé en organiser une autre à l’échelle mondiale. Je croyais qu’elles étaient tombées sur la tête. Nous n’avions pas les ressources pour un tel projet. Mais, peu à peu, nous avons créé des contacts internationaux. Maintenant, 157 pays et territoires et 6000 groupes de femmes participent au mouvement."

Françoise David avoue volontiers qu’elle ne soupçonnait pas d’emblée l’ampleur que cette aventure prendrait, puisque des instances importantes entendront la délégation internationale de la Marche formée de 200 femmes. Elle rencontrera le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, le directeur du Fonds monétaire international, Horst Köhler, et le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Les femmes ne s’adresseront alors… qu’à des hommes! "Ce fait illustre le manque de place faite aux femmes dans les lieux de décision. Il faut favoriser leur essor."

Ce souhait figure au chapitre des revendications de la Marche mondiale, qui tirent tous azimuts et s’avèrent bien ambitieuses: assurer une sécurité alimentaire à tous, condamner l’exploitation des femmes, établir des actions pour contrer la corruption, annuler la dette des pays du Tiers-Monde… Ouf! Cependant, on mettra l’accent sur deux thèmes principaux: la pauvreté et la violence. "Nous savons déjà que la pauvreté est un problème criant. La violence faite aux femmes, pas juste conjugale mais aussi à travers l’excision, le trafic et l’esclavage sexuel, est aussi vraiment inquiétante. Ce sont les droits fondamentaux qui sont en jeu."

Au Québec, le mouvement de la Marche mondiale possède ses revendications propres… et tout aussi ambitieuses: un ajout de ressources pour les femmes violentées, les travailleuses du sexe et les mères au travail, une discussion sur les droits des lesbiennes, un grand chantier de logement social (8000 habitations par année), une augmentation du salaire minimum, l’adoption d’une loi-cadre pour l’élimination de la pauvreté… Re-ouf! "Le gouvernement québécois est capable de répondre à nos demandes. Mon plaisir est de lui dire: "Vous nous avez imposé des coupures parce que vous vouliez atteindre le déficit zéro. Maintenant que c’est fait, vous en devez une aux plus pauvres…""

Étrangement, peu de recommandations touchent l’égalité des sexes. Est-ce à dire que le combat est gagné à ce chapitre? "En droit, nous sommes égaux. Mais les lois ne se transposent pas toujours dans la pratique. Il faut donc se battre pour y parvenir. Grâce à la Marche, nous nous préoccupons davantage des femmes les plus pauvres et les plus discriminées. Nous avons assez discuté autour de leurs problèmes. Il est temps d’agir."

Sa vision du militantisme

Devant la fin imminente de son passage à la tête de la FFQ, qui aura duré six ans, l’heure du bilan se fait sentir dans les propos de Françoise David, qui a passé sa vie (et la passera encore) à militer dans les milieux étudiants, syndicaux et communautaires. "Je n’ai pas la nostalgie des années 70, cette époque qui est devenue un mythe bien trompeur. J’essaie maintenant d’avoir le militantisme plus joyeux. Si le militantisme, c’est passer sa vie à faire des sacrifices et à penser négativement, c’est terrible. Militer en ayant du plaisir garde en santé. Des fois, c’est dur, mais il faut persévérer."

Sa façon de persister, à Françoise David, c’est d’inscrire le militantisme féministe dans la protestation antimondialisation. Depuis peu, la FFQ propose une analyse féministe du tout-économique. "La mondialisation est injuste, raciste… et même sexiste, car elle affecte les femmes durement. C’est pourquoi nous questionnons le désordre mondial et les idées patriarcales. Être féministe en l’an 2000, c’est d’ailleurs prendre part aux mouvements sociaux qui luttent pour la justice sociale. Nous ne sommes plus dans les batailles pour que les femmes puissent emprunter de l’argent à la banque sans l’autorisation de leur mari. Aujourd’hui, la tâche est plus large, les dossiers, plus complexes."

Pour accomplir ce travail toujours plus ardu, le militantisme doit être un mouvement rassembleur, estime David. "Nous le faisons en rassemblant des groupes de femmes immigrantes, lesbiennes, handicapées, autochtones et même des travailleuses du sexe." En ce sens, la FFQ opère un changement de cap. "Nous avons décidé de ne plus être un gros lobby politique comme avant, quand nous essayions d’imiter la démarche des grands syndicats. Ce qui est le plus important pour nous aujourd’hui, c’est la mobilisation. Nous voulons sortir dans les rues, plutôt que d’aller toujours dans les commissions parlementaires à Québec. Nous nous adressons d’ailleurs aux personnes que nous avons trop longtemps laissées en rade, les femmes pauvres et battues."

Qui dit mobilisation dit aussi implication. Selon David, les femmes s’engagent activement dans le combat féministe. "Après tout, quelque 75 % du personnel des groupes communautaires sont des femmes. En plus, nous en attendons au moins 30 000 à la Marche. Je ne demande pas à toutes les femmes de sortir dans la rue avec des pancartes. Par contre, je leur demande au moins de réfléchir et de s’affirmer comme citoyennes."

Plusieurs femmes, dont Denise Bombardier, ont affirmé publiquement que le féminisme se dirigeait dans un cul-de-sac avec son militantisme affaibli. Une opinion qui est loin d’être partagée. "La preuve est que nous militons contre les méfaits de la mondialisation. Le mouvement s’épanouit par l’internationalisation de la lutte. Cette nouvelle orientation attire les jeunes." D’ailleurs, côté relève, elle ne s’inquiète pas outre mesure. "Les jeunes sont présents, et s’activent dans nos bureaux. Et il faut les encourager."

Toutefois, le féminisme n’est pas totalement à l’abri des critiques. Au-delà de ses réussites indéniables, certains l’accusent d’engendrer la victimisation des hommes et la dégradation de la masculinité. "Certains hommes peuvent être dérangés par le féminisme; c’est normal. Mais le militantisme féministe est égalitaire et inclusif, car nous avons besoin de l’appui des hommes. Avant, nous étions peut-être moins invitantes, nous étions méfiantes. Mais là, c’est fini les guéguerres! Effectivement, il y a eu des excès au sein du féminisme, principalement aux États-Unis. Mais il ne faut pas trop généraliser…"

Depuis la jeune vingtaine, François David se bat ouvertement du côté de la gauche. Selon elle, cette idéologie a encore des défis à relever. "La gauche a la vie dure, mais au moins elle se remet en question. Je crois que s’il y avait plus d’unité, le mouvement avancerait davantage. Pourquoi toute la gauche ne viendrait-elle pas marcher avec nous?" L’invitation est lancée. Avis aux intéressé(e)s.

Pour tous les détails sur les activités de la Marche mondiale des femmes, visitez le site Internet www.ffq.qc.ca