Droit de cité : Trudeau et Montréal: A Love Story
Société

Droit de cité : Trudeau et Montréal: A Love Story

Trudeau a vécu à Montréal. Il y est né, et il y est mort. Quand on s’appelle Pierre Trudeau, les choix ne sont pas innocents, ils sont tout à fait volontaires.
En entrevue à Radio-Canada, le maire Bourque osait avancer que Trudeau avait choisi Montréal parce qu’il y trouvait son idéal canadien: multiculturel et bilingue. Un idéal pour lequel il s’est battu bec et ongles, causant au passage de considérables "dommages collatéraux".

Je dis "dommages collatéraux", parce que les minauderies électorales pour rallier la majorité, ce n’était pas la tasse de thé de PET. Trudeau était un torpilleur. D’un point de vue balistique, il était l’arme ultime. Rappelez-vous, en 1988, lors de la commission parlementaire sur Meech, quand il a dit, pour dénoncer l’accord constitutionnel: "Je me dis (à la vue de Meech) que le Canada n’est peut-être pas éternel." On pouvait dès lors présumer que Meech serait mort à l’arrivée. La cible avait été atteinte. Mais comme il n’existe pas de guerre propre, forcément, il y a toujours des innocents qui paient la note. En l’occurrence, ceux qui avaient cru en toute bonne foi à l’accord et à ses promesses de réconciliation.

Enfin, revenons à la filiation entre Trudeau et Montréal.

Alors, Montréal, ville multiculturelle?

Pourtant, le multiculturalisme tel que conçu par Trudeau n’a guère franchi les murs des institutions fédérales: au Parlement, dans ses lois, aux Fêtes du Canada. Mais pour le reste, la culture canadienne hors Québec est une machine à aplanir les différences. En termes un peu moins polis, on pourrait dire une machine à assimiler.

Le multiculturalisme canadien est un échec. Et c’est tant mieux. Car, sous des atours tissés de générosité et d’objectifs nobles, le multiculturalisme a la fâcheuse habitude d’exacerber les différences plutôt que de les brancher les unes sur les autres. Il nous menace du ghetto. L’écrivain Neil Bissoondath disait du multiculturalisme qu’il "abaisse la culture d’origine des immigrants au rang de festival ethnique: on la rend superficielle et folklorique".

C’est ça, le multiculturalisme tel que conçu par Trudeau: le Festival International de folklore de Drummondville. Le 20 juin, on va manger de la banique chez les Hurons et on fait la danse du Grand Manitou; le 24, on va chez le Canadien français, on mange de la soupe aux pois, et on se fait une p’tite danse à Saint-Dilon et ainsi de suite; le tout sous les bons offices maternels de Sheila Copps.

Mais Montréal, ce n’est pas ça. Le Montréal que chacun, de Pierre Bourque à la Gazette, présume que Trudeau aimait n’est pas multiculturel: il est interculturel. Le multiculturalisme canadien, c’est du tourisme ethnoculturel, et une fois le voyage terminé, chacun s’en retourne chez soi se fondre dans un grand tout ectoplasmique sans trop de définition et rempli de vies parallèles qui ne se rejoignent jamais. Ce n’est pas Montréal, et si Trudeau aimait tant Montréal pour ce qu’elle était, ce n’était pas pour son multiculturalisme. C’était pour son caractère interculturel.

L’interculturel, tel que vécu à Montréal, c’est Bran Van 3000: des Québécois de souche, des fils d’immigrants italiens anglophones, des Haïtiennes, des descendants d’Europe de l’Est et des Jamaïcains, ensemble pour créer un son entendu nulle part ailleurs. Où, lorsqu’on l’entendra ailleurs, on dira: "Tiens, ça vient de Montréal."

L’interculturel implique inévitablement la réciprocité, de la complicité. Il y a de "l’interpénétration". Aucun groupe ne vit dans une bulle de verre remplie de formol.

Or, si Trudeau a trouvé sa pierre philosophale à Montréal, et non pas à Toronto, à Calgary ou à Vancouver, c’est que par un curieux effet de contradiction, il n’y a pas eu de loi 101 à Toronto, à Calgary ou à Vancouver. Si Montréal est plus bilingue que jamais (et plus que n’importe quelle autre ville dans ce pays), comme Trudeau l’a tant rêvé pour le Canada, c’est aussi grâce à la loi 101. Effet de contradiction, que je dis.

Montréal n’est devenue réellement bilingue qu’après la loi 101. La législation linguistique tant honnie par Trudeau a forcé tout un pan de la société montréalaise, qui vivait jusqu’alors adossé à la majorité francophone de la ville, à parler français, à vivre en français, sans pour autant trahir ses origines. Avec la loi de Camille Laurin, jamais Anglo-Montréalais et Franco-Montréalais de toutes origines ne se sont autant côtoyés.

La loi 101 a créé un équilibre des forces entre le monde anglo-saxon du reste de l’Amérique, qui avalait tout et ne laissait rien aux autres, et la majorité francophone de cette ville. Aujourd’hui, l’Amérique anglo-saxonne continue d’user ici de son influence par son poids démographique, culturel et économique à l’échelle du continent, et la loi 101 crée la réciproque localement. Une concurrence salvatrice.

Trudeau a traversé les Grandes Plaines jusqu’au Pacifique pour chercher son idéal mystique pendant vingt ans de vie politique. C’est de retour chez lui, au Québec, qu’il l’aurait trouvé, avec Montréal comme épicentre. Finalement, l’idéal canadien, c’est peut-être le Québec.