Jean Désy : La médecine des lettres
Société

Jean Désy : La médecine des lettres

Médecin, auteur, grand voyageur, Jean Désy signe une collection de nouvelles qui traitent de l’angoisse que connaissent certains docteurs et du rôle civilisateur de la littérature. Pour lui, un médecin qui lit est un meilleur médecin.

Voir: Le titre de votre recueil, Entre le chaos et l’insignifiance, est dur. Trouvez-vous que la médecine moderne oscille entre ces deux extrêmes?

Jean Désy: "Ce livre est un prétexte pour parler de la médecine mais surtout du rapport entre les médecins et les gens. On rencontre en médecine des situations chaotiques, c’est certain. Surtout, il y a comme une perte de sens qui découle de l’hyper-spécialisation des médecins. On donne beaucoup d’importance à la technoscience et de moins en moins au facteur humain. C’est pour ça que je donne des cours de littérature aux étudiants de médecine. Pour qu’ils s’approprient l’art du questionnement."

On sent, dans certains de vos textes, un certain énervement par rapport aux gens qui abusent de notre système de santé. Les abonnés des urgences qui s’y pointent pour le moindre petit bobo.

"Non, je ne sais pas si on peut parler d’abus. Le problème est autre en Occident. Il faut faire attention avant de lancer la pierre aux gens qui fréquentent trop les salles d’urgence. Cette dépendance de certains par rapport au système de santé témoigne de la solitude et de l’isolement qui sont une plaie dans nos sociétés."

Pourtant, c’est dans des communautés pauvres dans le Grand Nord ou ailleurs au tiers monde que vous avez le sentiment de vraiment pratiquer votre métier.

"Il faut faire attention. Je ne veux pas dire que la souffrance des gens d’une banlieue tranquille est insignifiante par rapport à ce que vit un malade au tiers monde. Les maux ne sont pas du même ordre. On sent que les maux de l’âme sont plus nombreux dans les lieux protégés."

Vous faites état d’une crise de conscience chez certains de vos collègues.

"Après la médecine, j’ai fait des études en littérature pour sauver une partie de mon âme. En médecine, les avancées technoscientifiques sont considérables. Le bagage de connaissances des étudiants en médecine est énorme. Notre médecine est une médecine de spécialistes, une médecine qui ignore certaines zones grises qui sont du domaine de l’impalpable. On ne peut pas aborder les problèmes éthiques par la science uniquement. D’où l’importance d’une ouverture sur les arts et la littérature."

N’est-ce pas beaucoup demander à des étudiants en médecine que de s’intéresser à la littérature?

"Je viens de donner un cours de littérature à sept étudiants en médecine. Je leur ai fait lire Crime et Châtiment au moment de la sortie du film Polytechnique. Je voulais leur faire comprendre qu’entre Raskolnikov et Marc Lépine, il y a une similitude d’esprit. Le simple fait de plonger dans l’univers de Crime et Châtiment leur a permis d’avoir une prise sur un être particulier, quelqu’un qui a vraiment existé. La littérature offre un moyen d’augmenter notre capacité à faire face à une réalité complexe. S’intéresser aux arts est plus qu’un luxe, c’est une nécessité pour garder l’équilibre dans un monde technoscientifique qui ne tient pas compte des maux de l’âme."

Les médecins seraient mal préparés à reconnaître ces maux de l’âme dont vous parlez?

"Bien des médecins suivent un parcours linéaire. Ils sont généralement assez choyés par la société, leurs familles qui font tout pour les aider à réussir leurs études. Et si, sans doute, la plupart d’entre eux arrivent là pour les bonnes raisons, cette absence de contact avec la souffrance fait qu’ils sont souvent mal préparés. Ils ne savent pas faire face à quelqu’un qui est borderline, par exemple. Et ce n’est pas un cours sur l’éthique cartésienne qui va les aider."

Entre le chaos et l’insignifiance
de Jean Désy
Éd. XYZ, collection Étoiles variables, 2009, 108 p.