Gala de l'ADISQ : Une représentativité remise en doute
Société

Gala de l’ADISQ : Une représentativité remise en doute

Faute d’inscriptions suffisantes, la catégorie Album de l’année – Électronique a été retirée du Gala de l’ADISQ cette année. Or, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo a frôlé le même scénario pour les catégories Country, Alternatif et Rock.

Si Manon Bédard, Patrick Groulx, Daniel Léger et Johanne Provencher se retrouvent finalistes dans la catégorie Album de l’année – Country dans le cadre du prochain Gala de l’ADISQ, ce n’est pas nécessairement parce que leur dernière parution figure parmi les meilleurs disques du genre, mais bien parce qu’ils étaient les seuls artistes inscrits dans la catégorie cette année.

Quatre inscriptions, c’est moins que le nombre de disques recensés dans la catégorie Album de l’année – Électronique. Si bien que l’ADISQ a dû la retirer du gala. Le scénario n’est guère plus reluisant pour les catégories Alternatif (8 disques répertoriés pour 5 finalistes) ou Rock (7 disques).

1500 $ pour une nomination

Si la directrice générale de l’Association, Solange Drouin, explique que "la quantité de productions québécoises varie énormément d’une année à l’autre, et qu’il est normal de le ressentir dans le nombre de disques inscrits", plusieurs acteurs de l’industrie pointent les frais élevés d’inscription au gala. Rappelons que pour être en nomination lors de la cérémonie, il faut d’abord payer les frais d’adhésion à l’Association (1320 $), puis 85 $ par produit recensé.

Nouveauté cette année, les producteurs non membres pouvaient aussi y inscrire des albums, ce que la scène alternative a vu d’un bon oeil jusqu’à ce qu’elle réalise que ce type d’inscription demandait aussi des frais de 1320 $ plus 170 $ par produit recensé. Des coûts exorbitants selon Pierre Thibault de l’étiquette C4, qui a refusé d’y inscrire Fred Fortin, privant l’ADISQ de Plastrer la lune, une parution certes digne de mention. "Considérant qu’il faut aussi payer 200 $ par personne pour assister au gala, après en avoir discuté avec Fred, on a jugé qu’il serait plus profitable de mettre ce 2000 $ sur sa tournée québécoise."

Aussi critique vis-à-vis de l’Association, le guitariste-chanteur de GrimSkunk et cofondateur de l’étiquette Indica, Franz Schuller, s’est retrouvé au centre d’une histoire semblable en 2004, alors qu’il n’avait pas inscrit Les Trois Accords au Gala. "On est tous sortis de cette situation avec un oeil au beurre noir, autant l’ADISQ qu’Indica ou Les Trois Accords, mais ç’a eu le mérite de soulever le débat", explique celui qui soumet maintenant ses artistes au Gala selon leur bon vouloir. "Contrairement à la croyance populaire, le Gala de l’ADISQ n’est pas le gala de l’industrie musicale québécoise, mais bien celui d’une association de producteurs louable, mais à laquelle il faut payer le gros prix pour adhérer. Oui, l’ADISQ a ensuite instauré un tarif "relève" permettant à un jeune producteur d’être membre à prix spécial pendant trois ans, mais dans le contexte actuel, il est faux de croire qu’une compagnie de disques a plus de moyens après trois ans. C’est choquant, surtout lorsqu’on constate qu’il en coûte 50 $ pour s’inscrire aux Juno et 0 $ aux Grammy."

"Si au moins Fred avait des chances, peut-être aurions-nous reconsidéré la chose, mais année après année, le Gala me déçoit par ses choix douteux, ajoute Pierre Thibault. En 2005, nous avions inscrit Planter le décor de Fred dans la catégorie Alternatif. Il s’est fait battre par Les Cowboys Fringants. Je n’ai rien contre le groupe, mais comment l’ADISQ peut-elle encore classer Les Cowboys dans la catégorie Alternatif? Considérant que les ventes de disques comptaient pour 40 % dans l’attribution du Félix (l’autre 60 % étant la note d’un jury), c’est clair que Fred n’avait aucune chance. Et tant qu’à parler de paradoxe, le fait qu’un événement se voulant représentatif de la musique d’ici n’ait jamais mentionné Arcade Fire (autre non-membre) m’apparaît ridicule. Mais je sais que l’ADISQ souhaite changer des choses. D’ailleurs, la présence grandissante de gens issus du milieu alternatif au sein de son conseil d’administration me donne espoir."

Nouvelle garde

Tout comme Sandy Boutin (cofondateur du FME et gérant de Karkwa), Éli Bissonnette des disques Grosse Boîte appartient à cette nouvelle garde qui a infiltré le C.A. de l’ADISQ. S’il se défend d’être le seul responsable du changement, c’est depuis son arrivée à titre de directeur de scrutin que l’importance des ventes de disques a diminué dans l’attribution de Félix pour les catégories albums (de 40 % à 25 %). Un artiste de la trempe de Fred Fortin aurait ainsi plus de chances aujourd’hui contre les Cowboys Fringants. "C’est certain que lorsqu’un producteur a juste un album à recenser, 1320 $ de frais d’inscription peut paraître élevé, mais c’est le prix à payer pour adhérer à une association qui veille à tes intérêts 12 mois par année, explique Bissonnette. Les dépenses de l’ADISQ sont énormes. Lorsqu’on va en arbitrage pour faire avancer une cause profitable aux musiciens, il y a des frais d’avocat. Même chose lorsqu’on décide de partir en guerre contre Québec Torrent ou qu’on assigne des gens pour s’assurer des enveloppes budgétaires de Musicaction. Sans l’ADISQ, le financement public ne serait pas celui qu’il est présentement."

Voilà le noeud du problème. L’ADISQ a besoin de sous pour mener ses activités annuelles, parmi lesquelles figure le fameux Gala. Est-il utopique de croire qu’un jour, l’Association accepterait de détacher son Gala et de l’ouvrir à l’ensemble des artisans de la musique grâce à un coût d’inscription adapté à la réalité des petits producteurs? "On ne pourra jamais faire comme les Juno et les Grammy qui sont de simples galas, répond Solange Drouin. D’abord, nos droits de télédiffusion ne se comparent pas à ceux des Grammy ou des Juno. On ne pourrait pas non plus sortir le Gala de l’Association parce qu’il fait partie de la synergie de l’ADISQ. La notoriété du Gala bénéficie à l’Association qui, ainsi, jouit d’une plus grande crédibilité lorsque vient le temps de négocier des ententes à l’avantage de nos membres."

Vrai qu’en conservant son Gala, l’ADISQ crée une convergence qui lui assure plus de poids décisionnel. Reste que les laissés pour compte sont nombreux, et que le Gala ne sera jamais représentatif de toute la production musicale d’ici. Un mal pour un bien?