Omnivore: Rencontre avec la jeune cuisine québécoise
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Omnivore: Rencontre avec la jeune cuisine québécoise

Derek Damman et Marc-Alexandre Mercier sont chefs. Pas des chefs stars, pas des chefs en costume blanc immaculé, pas des chefs au fait des dernières tendances en vogue. Ils ont simplement cette flamme au fond des yeux, du talent à revendre et une vision personnelle de la cuisine qu’ont flairés les organisateurs du festival international Omnivore, un lieu de rencontre privilégié entre des créateurs culinaires de la relève et le grand public.

Pour la deuxième fois, la Société des arts technologiques (SAT, 1201, boulevard Saint-Laurent, Montréal, sat.qc.ca), bien connue pour son mandat culturel interdisciplinaire et son approche audacieuse de la création sous toutes ses formes, est l’hôtesse d’Omnivore, un festival culinaire qui sort du schéma traditionnel du type «accueil de grands chefs – menus spéciaux – bonnes tables à essayer – pays ou produit en vedette». Pendant l’espace de cinq jours, le public est plutôt convié à des démonstrations culinaires en direct explorant une technique, un ingrédient ou un concept. À la SAT, cette expérience de cuisine immersive se déroule sous un grand dôme, si bien que chaque présentation prend une dimension démesurée et artistique. Les festivaliers peuvent aussi participer à des Maudits Soupers dans des restaurants dont le chef accepte de partager sa cuisine et ses idées avec un autre, invité pour l’occasion. Enfin, un grand rassemblement festif mêlant création (et dégustation) culinaire et musicale en direct amène des centaines de foodies et, plus largement, de curieux à se presser aux portes de la SAT le samedi soir.

«La cuisine n’est pas un patrimoine frigorifié»

Quel est l’objectif premier d’un tel rendez-vous? Lutter contre l’immobilisme gastronomique, répond Luc Dubanchet, fondateur d’Omnivore, qui fête cette année ses 10 ans d’existence et a lieu à présent dans 10 villes à travers le monde. «Alors que je travaillais pour le Gault et Millau, je me suis rendu compte que la cuisine ne se renouvelait plus. Or, la cuisine, à l’instar des autres disciplines artistiques, ne doit pas être un patrimoine frigorifié. J’ai donc décidé de faire bouger les choses en créant une plateforme qui mettrait de l’avant de nouvelles personnalités, de nouvelles histoires, de nouveaux langages. Un magazine est ainsi né en France en 2003, puis en 2006 un festival de cuisine annuel qui permet depuis aux chefs qui ont quelque chose à dire de se rencontrer, d’échanger, de progresser, de vivre ensemble une expérience unique.»

Ce festival met aussi en avant des cuisiniers inconnus, mais bourrés de talent qui font par la suite leur marque dans le milieu. On peut par exemple penser à René Redzepi, chef iconique du restaurant Noma de Copenhague, dont le passage à Omnivore a servi de tremplin à une reconnaissance internationale. C’est aussi grâce à cet événement que nous avons la chance, ici même à Montréal, de rencontrer hors de leurs cuisines des créateurs de la relève comme Derek Damman et Marc-Alexandre Mercier, respectivement à la barre des restaurants Maison Publique (4720, rue Marquette, Montréal, 514 507-0555, maisonpublique.com) et Hôtel Herman (5171, boulevard Saint-Laurent, Montréal, 514 278-7000, hotelherman.com). Que signifie donc pour eux cette participation? «C’est un festival intéressant parce qu’il ne mise pas, pour assurer son succès, sur le nombre de chefs connus qu’il peut accueillir, mais sur une plateforme qui nous permet de véhiculer notre vision de la cuisine, avance Derek Damman. C’est très motivant de voir que des gens respectent suffisamment notre travail pour nous offrir une scène sur laquelle nous pouvons expliquer notre démarche et rencontrer d’autres chefs aussi passionnés que nous.»

Plus qu’un métier

La passion. Un mot qui revient souvent à la bouche de ces deux chefs copropriétaires de leur restaurant et qui travaillent fort en coulisses pour proposer un menu créatif tout en se soumettant aux contraintes inhérentes à la gestion d’un établissement. Qu’est-ce qui les allume au quotidien, qui fait en sorte qu’ils passent le plus clair de leur temps derrière des fourneaux? «J’adore la dynamique d’une cuisine en action, l’énergie qui bouillonne pendant un rush. C’est ce qui m’a fait choisir ce métier. Et une fois qu’on plonge dedans, il est difficile d’en sortir», avoue Marc-Alexandre Mercier. Du côté de Derek Damman, il faut remonter à son enfance, alors qu’il vivait au sein d’une famille très soudée dans la région de Vancouver, pour comprendre son choix professionnel et, par extension, la manière dont il conçoit sa cuisine. «Nous avions de belles valeurs familiales et aimions prendre nos repas ensemble, dit-il. J’ai retenu de cette époque la notion de partage de la bouffe, le moment d’interaction incroyable que l’on vit lors d’un repas.»

Les deux chefs sont aussi sensibles, comme de plus en plus de leurs pairs, à la relation privilégiée qu’ils peuvent tisser avec des fermiers, des pêcheurs et des artisans. Marc-Alexandre Mercier s’explique: «J’essaie d’utiliser le plus possible des produits d’ici et de suivre les saisons, dans un but écologique, mais aussi pour le défi que ça représente. Ça me force à me renouveler et ça me donne la chance de rencontrer des producteurs qui travaillent dans le même sens que moi. Ceux qui mettent de l’amour dans leurs produits, ça se ressent dans l’assiette.» Derek Damman, lui, avoue qu’il adore travailler avec des fermes familiales et qu’il préfère avoir le sentiment de travailler avec les bonnes personnes plutôt que de chercher à tout prix un tampon de certification organique.

La cuisine, un ferment culturel et identitaire?

Ces produits du terroir servent-ils de ferment à leur cuisine? «Ma cuisine n’est ni italienne, ni française, ni espagnole. Je la définis comme canadienne. Elle n’a selon moi pas une identité propre, mais elle est réalisée avec des produits d’ici ou des provinces alentour», répond le chef de Maison Publique. Qu’en pense son collègue? «Je ne me base pas non plus sur le caractère identitaire de ma province ou sur celui, multiethnique, de Montréal pour travailler. Je crois plutôt que je me fraie mon propre chemin sur la base de mes expériences personnelles et de mes inspirations», avance-t-il.

Si leur cuisine est avant tout personnelle, les deux chefs s’accordent à dire que le foisonnement multiculturel montréalais est un bassin propice aux initiatives et aux nouvelles idées. «C’est ce que je préfère de cette ville, avoue Derek Damman. Ici, on ne s’attend pas à ce qu’il y ait juste un style de bouffe comme dans certains pays. On vit plutôt quotidiennement une expérience alimentaire culturelle. Il existe une influence culinaire franco-canadienne, mais aussi une autre des Premières Nations, et d’autres encore amenées par les vagues successives d’immigration. Cette multiplicité est vraiment excitante et nous permet d’être créatifs, car il n’y a pas une identité culinaire arrêtée.» «Je crois aussi que la culture culinaire est jeune ici, si bien que les gens ont moins d’attentes préétablies et sont ouverts à essayer des choses», renchérit Marc-Alexandre Mercier.

Alors, finalement, est-ce que ces deux chefs, au même titre que ceux qui font partie de la programmation du festival Omnivore, sont les vecteurs d’une jeune cuisine? D’une cuisine qui a l’ambition de se réinventer ou, du moins, à l’échelle du Québec, de s’inventer tout court? «Montréal n’a pas été choisie au hasard, soutient Luc Dubanchet. Certaines villes faisant partie d’Omnivore ont un contenu culinaire manifeste, tandis que d’autres connaissent un frémissement qui nous porte à croire que de belles choses s’en viennent sur place. C’est le cas de Montréal.» Voici un pari que nos chefs ont envie de relever, nous en sommes certains.

Festival Omnivore à Montréal

Jusqu’au 19 août 2013

omnivore.com

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