Montréal Roller Derby : Rouler ensemble
Société

Montréal Roller Derby : Rouler ensemble

Elles ont trouvé dans ce sport bien plus qu’une simple occasion de lâcher leur fou et de donner leur 110%. Elles se sont rejointes et (re)trouvées. Elles ont développé un sens accru de la communauté par le sport. Ce sont les filles du Montréal Roller Derby.

Exit les tutus, le fort dans les gourdes et les batailles sur le ring. Exit les clichés véhiculés par les Whip It de ce monde. Le roller derby, c’est du sérieux. C’est un sport à part entière qui requiert temps, énergie, stratégie et pratique. Elles vous le diront toutes, l’une après l’autre: le roller derby, c’est du travail, mais aussi, beaucoup de plaisir entre collègues et amies.

Du punk au sport 

De sa fondation, en 2006, à aujourd’hui, la ligue montréalaise de roller derby s’est métamorphosée et maintient son rôle de précurseure et sa supériorité au Canada. On y retrouve aujourd’hui la Smash Squad où se font voir les recrues de Montréal Roller Derby, ainsi que trois équipes maison: Les Contrabanditas, Les Filles du Roi et La Racaille. S’ajoutent à celles-ci l’équipe inter-ligues B Les Sexpos et les New Skids On The Block, l’équipe de voyage représentant Montréal sur la scène internationale, dans la WFTDA (Women’s Flat Track Derby Association) qui compte 243 équipes homologuées, en provenance autant de l’Europe, des États-Unis, du Canada et même d’Asie. Et c’est la ligue montréalaise qui fut la première à déléguer une équipe hors des États-Unis, dans la WFTDA. Précurseure, vous dites?

«C’est beaucoup de travail mais c’est le fun. C’est très DIY», admet la présidente actuelle – qui change chaque année – de la ligue montréalaise, Gabe Astard (Merv Robitaille). «Et ça a tellement changé dans les dernières années. Au début, c’était assez punk-rock. L’esprit est encore là, mais c’est vraiment rendu un sport. C’est vraiment des athlètes.» Même son de cloche chez Smack Daddy (Val Desjardins, # 3X) qui fait partie des Skids et d’Équipe Canada et qui se consacre aujourd’hui uniquement au roller derby: «Moi, j’ai tout vu. Je suis rentrée vers la fin des premières années plus rock’n’roll. J’ai fait partie de la transition vers l’athlétisme et moins party. Mais j’aime beaucoup les deux! Alors j’ai trouvé un équilibre.»

L’annonceur et animateur des matchs Plastik Patrik (Patrik Therrien) – qui est aussi DJ, au quotidien – est du même avis, lui qui a joint la ligue en 2007, alors qu’il animait le concours de costumes du Rocky Horror Picture Show, à Montréal. «Ce qui me garde le plus intéressé, c’est que ça a vraiment évolué. On est parti, justement, d’une espèce de show où “on joue au derby”, mais à travers ça, y’avait des jokes de lesbiennes, c’était plus loufoque, pis là, on s’en va vers un vrai sport, et nous, en tant qu’annonceurs, on a vraiment évolué aussi. Et on ne s’est pas nécessairement basés sur des modèles pré-établis, comme le football, le hockey ou le basketball.»

Vrai que le roller derby, ses joueuses et annonceurs n’ont pas les mêmes moyens que les sports traditionnellement masculins qui disposent de structures et modèles établis. Cela dit, c’est ce qui maintient une certaine force au sein de l’organisation, montréalaise ou internationale. «Toute la communauté très artistique, très ouverte, c’est vraiment resté, par contre. Pour moi, pour les joueuses aussi, c’est un gros attrait. C’est très artistique, féministe, gauchiste, progressiste. C’est une communauté super inclusive. Ça, c’est là depuis le début et c’est définitivement resté», renchérit Plastik Patrik qui est maintenant engagé par la WFTDA pour animer et annoncer des matchs. «Pour moi, ça a été un beau défi. Comme la production est de plus en plus grande et que la qualité est de mieux en mieux, il fallait qu’on soit meilleurs. On a commencé à établir des rôles: celui qui décrit le jeu, puis l’analyste. Maintenant, notre travail est beaucoup plus axé sur le sport, sur les stratégies, les règles, des portraits de joueuses, etc. Comme le sport à la télé, mais on a gardé l’esprit un peu indie, artistique. Une autre affaire que j’aime vraiment beaucoup, c’est que la WFTDA est consciente que le roller derby se répand un peu partout dans le monde et elle veut suivre cette tendance-là, donc on m’a demandé d’annoncer des matchs en français sur le réseau.» Un réseau de diffusion web d’une association majoritairement anglophone, faut-il le mentionner.

Financement et rayonnement

Les atouts de tous les membres et bénévoles de l’organisation sont mis à profit. Gabe Astard est propriétaire du Cagibi, resto bien connu du boulevard Saint-Laurent où les après-matchs ont bien souvent lieu, tandis que Georgia W Tush – l’une des fondatrices de la ligue montréalaise – possède la boutique Neon Skates, rue Bernard, qui fournit l’équipement aux filles. Chaque fille ou garçon (entraîneurs, animateurs, annonceurs, DJ, etc.) met la main à la pâte pour contribuer au succès de la ligue et à son maintien.

Outre les commanditaires importants tel que Pabst Blue Ribbon – impossible de passer à côté d’une gorgée de PBR lors des matchs! -, le financement de la ligue montréalaise se fait simplement par la vente de billets, lors des matchs. Le tout contribue à l’organisation des parties, location des lieux de diffusion et voyages des équipes internationales. Cependant, la Montréal Roller Derby n’a encore aucune association avec la Ville de Montréal, bien qu’elle la représente à l’étranger depuis huit ans et compte parmi sa ligue quelque 130 membres.

Dossier complexe, s’il en est un, une telle entente pourrait cependant permettre à la MTLRD de trouver un lieu fixe pour entraînements et parties, «un espace qui est accessible en métro», précise la présidente. «On joue dans le Mile-End [ndlr: à l’Aréna Saint-Louis] en ce moment et on est assez chanceux d’avoir ce lieu-là, donc on ne veut pas s’en aller non plus. Ben oui, il y a des beaux entrepôts à Dorval, mais tsé, c’est pas accessible!» Bien ancrée dans le Mile-End, la ligue se déplace aussi parfois au TAZ, dans le quartier Ahuntsic, comme ce fut le cas lors du Round Robin, le 8 mars dernier.

La ligue a aussi sollicité l’aide du public, lors d’une campagne Aviva, l’an dernier, visant l’acquisition d’un tapis d’entraînement de qualité et du matériel nécessaire pour le rendre sécuritaire et pratique (mur de protection, matériel d’entretien et entreposage) afin de sécuriser la surface de jeu et de la rendre conforme à celle utilisée par les autres organisations de même niveau à travers le monde. «Vu qu’on ne joue pas là-dessus, c’est toujours un peu le bordel quand on arrive dans des tournois», précise la présidente, avant d’ajouter que «mais souvent, tu t’aperçois qu’on va bien, à Montréal, que c’est pas si pire qu’on pense! On est bien organisé, aussi!»

Assez généreuse avec ses joueuses, la ligue permet de payer chambres d’hôtel, essence et une part de l’achat des billets d’avion si les Skids, par exemple, doivent se rendre sur la côte ouest pour affronter quelques équipes – comme ce sera le cas à la mi-mai: «C’était important pour nous, explique la présidente de la ligue. Tu veux avoir les meilleures joueuses sur l’équipe et pas nécessairement celles qui ont de l’argent.»

À chacune son atout

L’une des meilleures joueuses de la ligue, précisons-le, est Smack Daddy. «Je suis quand même connue pour mon style de jeu plutôt agressif, lance Val Desjardins. Je suis une des filles qui s’entraîne le plus, qui a pris vraiment ça d’un angle d’athlète», affirme la joueuse qui s’entraîne avec Jonathan Chaimberg qui a, entre autres, chapeauté l’entraînement de Georges St-Pierre, par le passé. Le numéro 3X ne peut se passer du sport – elle était d’ailleurs capitaine de l’équipe de soccer à l’Université Concordia – et cet entraînement de Mix Martial Arts lui permet d’accomplir sa mission de pivot au sein des Skids avec brio. «Je trouve qu’on est comme des fighters. En ce sens, Smack Daddy, ça veut dire “je frappe fort”. J’ai donc mélangé le côté macho de mon nom avec mon intention d’envoyer les gens au tapis, en dehors de la piste (“smack people around”) et impressionner les fans!» C’est avec cet humour que Desjardins explique tout le sérieux qui entoure tout de même son entraînement qui fait d’elle un «triple threat» au sein des Skids, alors qu’elle peut, en tant que pivot, exercer autant le rôle de bloqueuse que de jammeuse.

La position à adopter laisse donc place au développement de chaque joueuse. Du côté de Bikini Skills (Chloé Sinotte, # 6), qui possède aussi les trois chapeaux, ce sont ses six pieds deux pouces (lorsqu’elle chausse ses patins) qui font d’elle une adversaire redoutable et expérimentée: «Puisque je suis grande, je n’ai pas besoin de faire beaucoup de coups de patin pour me rendre d’un point A au point B, mais le désavantage, c’est que tout le monde me voit! Si je tombe, je tombe de haut!»

Du côté des entraîneurs, Gabe Astard ne tarit pas d’éloges non plus à l’endroit des joueuses, bien sûr, mais aussi de ses collègues qu’elle côtoit dans l’une ou l’autre des trois équipes d’entraîneurs dont elle fait partie, en tant que chef de lignes. En discutant avec les membres de la ligue, on s’aperçoit rapidement que chacune y trouve sa place, développe ses forces et son potentiel. «Je suis quelqu’un de très calme et je pense que c’est super important sur un banc, lance la chef de lignes. Je pense que c’est quelque chose que j’amène beaucoup aux équipes. Je suis aussi bien organisée comme personne. C’est donc une position qui me convient pas mal», poursuit-elle, en rappelant du même coup que le niveau d’intensité est, bien entendu, différent d’une équipe à l’autre, d’une équipe maison aux équipes internationales.

La nouvelle capitaine des Contrabanditas, Bikini Skills, penche du même côté: «C’est le fun aussi de voir les nouvelles joueuses se développer, s’améliorer, voir aussi comment le sport les change». Sinotte ouvre un peu plus la porte, par la suite: «En quatre saisons, je suis plus forte, j’ai dépassé mes limites plusieurs fois… tous les jours, dans le fond! Je suis plus confiante, mieux dans ma peau, c’est quelque chose qui revient assez souvent. Sortir du pack, c’est un high assez intense. Je suis grande, mais je ne suis pas super costaude. Mettre du monde de deux fois mon poids par terre, c’est un assez bon high!», s’exclame la vétérante.

Smack Daddy, elle, entame cette année sa sixième saison au sein de la Montréal Roller Derby et est maintenant l’une des joueuses les plus convoitées de la ligue. En 2011, elle se joignait même à l’Équipe Canada de roller derby pour participer au premier championnat du monde de ce sport. Elle y a récolté le titre de MVP («Most valuable player», la joueuse la plus utile à son équipe). «Dans chaque carrière d’athlète, dans un sport, tu te dis “ok, dans ma carrière, ça c’était LE moment”. Pour moi, je pense que tout a connecté à ce moment-là. Et trois mois plus tard, je me suis cassée la jambe.» Smack Daddy s’est méritée une fracture au tibia et au péronné, et 13 vis dans la jambe. Impossible, cependant, d’arrêter et de mettre un terme à sa carrière. «En dedans de quatre mois, je repatinais. Ça frappe, quand même. On est tellement amoureuse du sport que la plupart des filles reviennent de leurs blessures, même si c’est super grave.» Ce qui lui permettra, cette année, de faire à nouveau partie d’Équipe Canada lors du championnat du monde qui se tiendra en décembre prochain, mais aussi, de participer au RollerCon, grand événement de roller derby qui se déroulera en juillet, à Las Vegas, rassemblant des joueuses de différents horizons, entraîneurs, membres de l’industrie, etc. Smack Daddy – ainsi que Georgia W Tush – ont été choisies pour faire partie du tournoi «East vs West», une première lors du RollerCon. Et un défi de taille.

Communauté et solidarité

Outre le dépassement physique et la beauté du sport et de l’entraînement dont Smack Daddy et Bikini Skills relatent les détails, elles s’entendent aussi sur l’importance de la communauté du derby, des rencontres qu’elles y ont faites et de ce qu’elles en ont retiré. «La gang qu’il y avait autour de ça avait l’air vraiment inspirante et gentille. L’aspect communauté m’a beaucoup attirée, confirme Chloé Sinotte. Le sport est le fun, les entraînements sont super le fun, mais l’aspect groupe, famille, équipe, c’est ton monde.»

Et cet aspect prend tellement d’importance, pour certaines, que les répercussions se font voir assez loin, comme dans le cas de Val Desjardins: «Si tu me demandes ce que ça m’a apporté le derby, ben ça m’a apporté une épouse et un bébé!» C’est sans doute ce qui permet à Merv Robitaille de conclure que: «Le derby, ça apporte une communauté incroyable. Je suis certaine que tout le monde te l’a dit! Ça devient tellement un mode de vie et tu ne te tannes jamais!»

Prochains événements

Le grand week-end du Beast of the East aura lieu le samedi 26 avril et le dimanche 27 avril à l’Aréna Saint-Louis, 5633 St-Dominique, Montréal, avec un match d’ouverture le vendredi 25 avril à ne pas manquer entre les New Skids On The Block de Montréal et le CN Power de Toronto.

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