Fermeture du Marché du Vieux-Port : Une mauvaise idée selon les spécialistes
Société

Fermeture du Marché du Vieux-Port : Une mauvaise idée selon les spécialistes

Deux semaines après la publication de notre chronique à ce sujet, nous avons eu envie de sonder un urbaniste, deux restaurateurs et un hôtelier du Vieux-Port de Québec. Étions-nous dans les patates (locales, svp!) avec notre cri du cœur anti-fermeture? Pas tant que ça, finalement.

Serge Fillion, urbaniste à la retraite, a pratiqué son métier pendant quatre décennies. Il connait bien le secteur du Croissant du Vieux-Port, de Limoilou, Vanier et de l’arrondissement historique pour avoir travaillé à la Ville de Québec dans le passé. C’est lui qui commence la ronde d’entrevues, cet espèce d’échantillonnage d’opinions au sujet du déménagement du marché central vers le nouvel amphithéâtre Vidéotron. Le dossier a toutefois légèrement évolué depuis notre dernier article sur le sujet. « Je me réjouis qu’ils aient reporté la décision à dans deux ans parce que ça me laisse et ça nous laisse un pouvoir d’influence encore sur la décision éventuelle qui sera prise parce que c’est vraiment un dossier majeur. […] Le déplacement ce serait à mon avis une mauvaise idée parce que transplanter un marché comme ça, ça veut dire des années d’incertitude avant, pendant et après.»

Il se souvient d’ailleurs très bien des arguments en faveur de ce choix d’emplacement, au moment où le marché est passé du Parc Victoria au Bassin Louise. Ce déménagement-là, en 1987, visait à accommoder les gens de la banlieue, les habitants des quartiers défavorisés et les cinq millions de touristes qui visitent le Vieux-Québec annuellement.

Même si la dévitalisation de l’arrondissement historique l’inquiète, notamment à cause de l’absence d’une « vraie » épicerie entre les murs, M. Fillion ne voit pas la  création d’un nouveau centre névralgique d’un mauvais œil. «C’est pas très grave dans le sens que les meilleures villes actuellement en urbanisme c’est les villes qui ont plusieurs centres. Je dirais qu’il y a toujours un centre qui prime sur les autres parce qu’il y a comme une compétition entre les centres. On appelle ça la multipolarité ou la multicentralité parce que ça favorise les lieux d’emploi, les lieux de commerce et des lieux de résidence à des échelles plus humaines. »

ExpoCité via Google Street View
ExpoCité via Google Street View

L’ouverture, en soi, d’un marché à Limoilou et aux limites de Vanier n’est pas une mauvaise idée selon lui. La demande est là. Après tout, il estime la population du secteur à 60 000 citoyens. « On ne peut pas dire qu’ils [les promoteurs et marchants] seraient dépourvus de clientèle mais c’est très délicat parce que les habitudes de consommation sont très lentes à établir. […] Moi je souhaite que, si on fait quelque chose à ExpoCité, ce soit un succès. Mais faut pas déculotter Pierre pour reculotter Jacques. » Autrement écrit : faudrait pas le faire au profit des habitants des quartiers centraux.

 

Des restaurateurs inquiets

Avec ses chefs tous plus créatifs les uns que les autres, le Vieux-Port est indiscutablement un fleuron de la gastronomie à l’échelle nationale. Pensons notamment à L’Échaudé et à Légende mais aussi au Laurie Raphaël. La star du petit écran Daniel Vézina y opère son restaurant depuis 24 ans. Selon lui, le marché est un atout pour garder les hommes d’affaires gourmands dans le quartier. « Premièrement c’est sûr que c’est un outil pour nous les restaurateurs quand on a un marché à proximité. Comme ça, on peut y aller à tous les jours, à deux pas. Je m’y approvisionne jusqu’à trois fois par jour! […] Au-delà du fait que c’est pratique pour moi, et pour bien des chefs de la ville, au-delà de ça, ça reste quand même une fierté. Moi je suis fier d’être dans le Vieux-Port. »

CHristian
Christian Lemelin (Photo: Catherine Genest)

Christian Lemelin du Toast et du SSS pousse la critique plus loin. À ses yeux, ce déménagement-là est une aberration même s’il avoue que le manque de stationnements constitue un bémol présentement. «Je vois mal l’intérêt d’aller placer le marché dans un endroit qui est aucunement stratégique à aucun niveau selon moi. Non seulement on s’éloigne des touristes, on s’éloigne des hôtels qui attirent la clientèle de foodies, on s’éloigne des restaurants qui utilisent leurs produits, on s’éloigne de tout ce qui leur amène de l’eau au moulin finalement. Donc moi je comprends pas du tout la démarche.»

Le directeur général de l’Auberge Saint-Antoine Jean-Louis Souman se fait plus nuancé. « C’est sûr que si le marché déménage là-bas les touristes n’iront plus. C’est évident. Par contre pour les gens de Québec c’est peut-être l’inverse. » Il a aussi son opinion concernant l’étalement urbain et le déplacement du centre-ville au nord. «  Je pense que c’est un peu un phénomène mondial. Nécessairement les villes vont s’étendre et nécessairement la population va aller de plus en plus loin du centre-ville et puis ça crée des zones éloignées. On n’a qu’à regarder tout ce qu’il y a dans le coin des Galeries de la Capitale! Y’a beaucoup de restaurants qui ont ouvert, y’a beaucoup de commerces qui ont ouvert et je trouve que c’est normal parce que les gens aiment aller à proximité. » On devrait lui présenter M. Fillion. Sans doute qu’ils deviendraient de bons chums.

 

NDLR : Nous avons tenté de joindre Daniel Tremblay, directeur général du Marché du Vieux-Port, mais la coordonnatrice aux communications de l’endroit n’a pas été en mesure de rendre une entrevue possible.

 

// À lire aussi: Vers une « banlieusardisation » de Québec?