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Aimer Césaire

Lu ce matin le beau texte de Dany Laferrière consacré à Aimé Césaire, dans l'édition électronique du Point: www.lepoint.fr/actualites-culture/colere-cesaire/249/0/240626.

Bien vrai que la mort d'un écrivain donne immédiatement un relief particulier à ses mots. Les place dans un écrin de silence, qui en un sens les avantage, les dégage du grouillement des mortels. Depuis sa mort il y a dix jours, on retourne aux mots de Césaire, avalés souvent à la hâte – mais sa poésie emportée ne commande-t-elle pas une certaine hâte? On retourne à ces mots donc, à cette source encore vive, elle, et on entend plus clairement que jamais l'immense voix disparue de la littérature contemporaine et de l'affirmation nègre, on entend comme jamais ses appels à la liberté et les saines colères du poète politicien – rappelons que Césaire a été député-maire de Martinique pendant un demi-siècle!

Il y en a des choses à entendre et réentendre dans l'héritage qu'il nous laisse. Ces mots par exemple, qui résument beaucoup:

«Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir.» (Cahier d'un retour au pays natal)

Ou ceux-là, cinglants et magnifiques:

«Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?»