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Affaire Jonathan Duhamel : Liberté pour un, détention pour les deux autres.

On attendait avec curiosité la décision du juge Belisle de la Cour du Québec sur la remise en liberté, ou la détention, de trois des accusés dans l’affaire de Jonathan Duhamel.

On entendait dire qu’ils allaient être gardés détenus parce qu’ils n’étaient pas crédibles, que le juge avait levé les yeux au ciel pendant leur témoignage et donc qu’il leur refuserait la liberté pendant l’instance.

Si la crédibilité d’un accusé peut, à l’étape du procès, décider de son sort quant à sa culpabilité ou son acquittement, sa non-crédibilité à l’étape de l’enquête sur cautionnement n’est pas un critère pour le garder détenu.

Il faut savoir qu’au Canada, et partout en Common Law, la règle est qu’un accusé devrait être libre pendant les procédures engagées contre lui, en conformité avec le principe cardinal de présomption d’innocence.

La détention est l’exception.

Le Code criminel prévoit trois causes de détention pendant les procédures[1], plus clairement, le Code criminel énonce que la détention d’un prévenu est justifiée uniquement si l’une des trois causes suivantes la rend nécessaire:  la protection et la sécurité du public, le retour devant le tribunal aux dates ultérieures, la confiance du public envers l’administration de la justice.

Concernant le troisième critère, celui de la confiance du public envers l’administration de la justice, il réfère à un public bien informé, raisonnable, et non à une foule tapageuse et vengeresse, sans quoi nous assisterions à un renversement du processus décisionnel et verrions tous les accusés gardés en détention.

Aussi, ce critère de la confiance du public peut reposer sur quatre éléments, toujours prévus par le Code criminel : le sérieux apparent de l’accusation, la gravité du crime allégué, les circonstances du crime allégué, la peine encourue.

Force est de conclure que, malgré la règle,  on ne remettra pas en liberté facilement un accusé de meurtre.  Mais, encore une fois, ceci a très peu à voir avec sa crédibilité au moment de l’audition.

Là où l’absence de crédibilité peut jouer en défaveur d’un accusé à l’étape de l’enquête sur remise en liberté, c’est surtout dans le contexte de la garantie de présence devant la Cour.  Le deuxième critère.  L’accusé détenteur d’un casier judiciaire de dix pages qui ment sur ses antécédents, l’accusé sans travail qui feint d’en avoir un, l’accusé qui, à de nombreuses reprises dans le passé, a violé ses conditions de remise en liberté ou autres engagements judiciaires tout en le niant, peut devenir si peu crédible, donnant ainsi au juge des motifs de craindre qu’il s’esquive.

Je n’ai ni entendu, ni lu la décision du juge Belisle dans ce dossier.  On sait qu’il a détenu Bianca Rojas-Latraverse, détenu John Stephen Clark Lemay,  et remis en liberté Anthony Bourque.

Il peut très bien avoir détenu Bianca Rojas-Latraverse pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice en raison de son rôle d’instigatrice alléguée dans cette affaire (3e élément du 3e motif, c’est-à-dire les circonstances entourant l’infraction alléguée qui est assez grave en soi), et détenu John Stephen Clark Lemay  pour garantir sa présence devant le tribunal (2e critère).

S’il a remise Anthony Bourque en liberté, c’est qu’il a considéré qu’aucun des critères n’était rempli, qu’aucun motif prévu au Code criminel ne le justifiait, aussi menteur peut-il avoir semblé être.

Voilà pour les motifs justificatifs d’une détention pendant l’instance.  Un billet légèrement académique et froid par lequel j’avais surtout envie d’expliquer que les hauts cris populaires ne sont pas, en soi, un facteur que le juge peut considérer en décidant de la détention d’un accusé pendant l’instance, ni à aucune autre étape de la procédure judiciaire.

Illustration: Delf Berg