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Défendre l’indéfendable

J’ai demandé récemment ce qui intéressait, questionnait, intriguait ou titillait en droit criminel, ou dans l’actualité judiciaire, afin de m’inspirer des idées de billets pour ce nouveau blogue.  Les seules réponses reçues concernaient le boulot même d’avocat de la défense, c’est-à-dire le litige moral,  la dualité raison/passion, la coexistence entre la recherche de la vérité et le fait de défendre une personne qui, possiblement, a commis un crime.

Il y a tellement de choses à dire, parce qu’il y a tellement de variables, mais nous ne le réalisons plus lorsqu’on fait ce métier.  Pour nous, ça va de soi : on défend des principes, on ne défend pas un crime.  On représente un individu, les droits d’un individu, face à la machine étatique.  On représente l’État de droit, la démocratie, et on milite contre les erreurs et les excès qui pourraient nous faire traverser la frontière de l’État policier.

Hormis les tenants de la décriminalisation des drogues douces ou de la prostitution, dont je suis, je ne connais aucun avocat de la défense qui cautionne la criminalité.  C’est la même chose pour tous les intervenants du processus judiciaire pénal ou carcéral, d’ailleurs.  Je pense entre autres aux criminologues, qui ne travaillent pas avec des accusés mais avec des personnes condamnées, donc des criminels reconnus.  Sur son blogue, la Criminologue y est même allée d’un billet en 4 tomes pour l’expliquer : Travailler avec des criminels ne signifie pas qu’on approuve leur crime.

Thémis

Représenter un innocent

Évidemment, tout le monde est d’accord la-dessus :  défendre un innocent, c’est-à-dire une personne faussement accusée, ne pose aucun dilemme moral, même chez le plus opposés aux droits des accusés.

Mais il faut le dire, ils sont rares les cas d’erreurs judiciaires, heureusement, et ils sont donc rares les dossiers où notre client est arrêté, et accusé, alors qu’il se trouvait à Tombouctou pendant que le crime était commis à Métabetchouan.

Toutefois, c’est aussi pour prévenir les erreurs judiciaires qu’il existe des garanties juridiques enchâssées dans toutes les constitutions des pays civilisés, et dans tous les documents de protection des droits humains et c’est pour prévenir ces erreurs judiciaires que le métier d’avocat de la défense existe, et qu’il est un beau métier.

Représenter la personne accusée en vertu d’une loi inconstitutionnelle

Encore une fois, c’est assez facile à comprendre et ça ne fait vivre aucune tracasserie morale à l’avocat.

Si ma cliente est accusée d’avoir vendu du cannabis à des fins thérapeutiques, et que je considère flou donc inconstitutionnel le  Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, je n’aurai aucun scrupule à travailler corps et âme pour faire déclarer invalide cette loi mal accoutrée.

J’ai envie de sauter sur l’occasion pour raconter un truc surréaliste:  les accusés du Club Compassion et du Centre Compassion font face à la justice actuellement :  ils sont accusés de trafic de stupéfiants et subiront bientôt leur procès. 

Eh bien vous savez quoi?  Santé-Canada les consulte, les invite à des tables de réflexion, afin de remanier la rédaction du Règlement misérablement conçu et rédigé.

Vous réalisez?  L’État les accuse d’une main tout en réclamant leur aide de l’autre main afin d’éviter que dans l’avenir d’autres gens comme eux soient accusés…    Inutile de vous dire que je ferai tout pour que ma cliente soit acquittée.

J’y reviendrai dans un autre billet.

 

Représenter un coupable excusable

Certaines personnes ont posé un geste répréhensible, mais qui nécessite explication, excuse, justification.  On parle alors de moyens de défense.

Parmi les moyens de défense qu’on peut soulever à l’égard d’un crime :  l’alibi, la légitime défense, la provocation la maladie mentale, la nécessité, la contrainte, l’automatisme, l’intoxication volontaire ou involontaire, l’erreur de fait, l’accident, la valeur artistique ou la défense du bien public,  j’en passe et j’en oublie, pour n’assommer personne avec un cours de droit criminel 101.

Tous ces moyens de défense n’ont pas la même portée, n’entrent pas dans la même catégorie et n’auront pas le même effet juridique.  Par exemple, la défense de provocation n’est opposable qu’à une accusation de meurtre et sa réussite entrainera une condamnation pour homicide involontaire plutôt que pour un meurtre.  La défense de troubles mentaux entraîne un verdict de non responsabilité criminelle.  L’alibi, la légitime défense, l’intoxication involontaire, le bien public, l’automatisme, l’accident, sont autant de moyens de défense qui entraînent un acquittement.

Notre travail est de représenter devant le tribunal l’accusé qui a un moyen de défense à faire valoir afin qu’il donne son explication et qu’il soit effectivement excusé, ou encore que sa responsabilité soit diminuée.

Je ne peux pas parler pour tous mes collègues, mais en ce qui me concerne, je dois y croire.  Je suis aussi d’avis qu’on ne peut pas invoquer une défense futile, absurde, dilatoire, sans perdre sa crédibilité.  Autrement dit, on ne défend pas n’importe qui n’importe comment.

Représenter un accusé dont les droits ont été violés

C’est peut-être ici que se pose le plus souvent le dilemme éthique.

L’accusé a commis le crime, mais ses droits ont été violés :  Le narcotrafiquant dont les conversations privées ont été épiées illégalement.  Le meurtrier dont les aveux ont été soutirés illégalement.  Le fraudeur dont la maison a été fouillée illégalement.

Comme avocat, notre devoir est de représenter les intérêts de notre client.  On a prêté serment, et on a un Code de déontologie à respecter.

Toutefois, on a le droit, et même le devoir, de refuser le mandat d’un client qui nous répugne.  Chaque avocat a ses limites.  Certains avocats ne représentent jamais d’accusés d’agression sexuelle.  D’autres avocats n’ont aucune envie de représenter des membres d’organisation criminelle.  (Ça tombe bien, car les membres d’organisation criminelle, bien souvent, ne supportent pas que leurs avocats représentent des accusés de crimes sexuels!)

Personnellement, si je refuse tous les dossiers de pornographie juvénile, sans égard à mon impression quant à la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, c’est simplement parce que je n’ai pas le cœur à passer des mois devant des photos d’enfants violentés.  Il demeure qu’il faut des avocats qui ont plus de cœur que moi!

Il m’arrive souvent de travailler dans des dossiers ou plusieurs personnes sont accusées de trafic de stupéfiants.  L’écoute électronique et l’utilisation de délateurs est souvent la pierre angulaire de ces causes.

J’ai une sainte horreur de l’écoute électronique.  Dans l’arrêt Duarte de la Cour suprême, le juge Laforest disait que «La surveillance électronique et le pire destructeur de vie privée».   J’ai aussi en horreur la délation.  J’en ai d’ailleurs déjà parlé vertement [ici].  Malheureusement, l’écoute électronique est un mal nécessaire, bien souvent, et les policiers n’ont d’autres choix que d’y recourir afin d’enquêter adéquatement.  Mais il faut que le processus soit fait dans les règles, ces règles sont nombreuses, et nous faisons souvent face, en défense, au non respect de ces règles.

Dans un tel contexte, je n’ai aucune difficulté à représenter un accusé, qu’il soit coupable ou non, et de tenter de faire déclarer illégale l’écoute électronique.  Si je réussis à convaincre le tribunal que cette violation de la vie privée a été faite illégalement, et que la preuve, toute la preuve d’écoute électronique doit être exclue, on se retrouvera bien souvent avec aucune preuve supplémentaire contre le client.  Résultat?  Le client sera acquitté, faute de preuve.

Je ne me sens pas le moindrement du monde immorale de veiller à la préservation des droits garantis par la Charte et ça n’implique pas que je sois en faveur du trafic de méthamphétamine.

 

Savoir ou ne pas savoir

On nous demande aussi souvent comment on fait pour représenter une personne coupable.

Les puristes vous diraient qu’on n’a même pas à savoir si le client est coupable : la Couronne doit faire sa preuve, hors de tout doute raisonnable, et si elle échoue le système aura réussi à protéger l’État de droit, peu importe que l’accusé ait mal agi ou non.

Sauf qu’ on ne peut pas faire témoigner un client qui ment, évidemment.  On est des officiers de justice, et le parjure est un crime.  Si donc le client me ment, j’ai un problème, surtout s’il veut témoigner, ou que la preuve au dossier exige qu’il témoigne.

Personnellement, je préfère savoir.  Je me sens mieux à même de bien faire mon travail, et j’ai l’impression de m’éviter ainsi d’éventuelles surprises désagréables.

 

Plaider coupable ou pas

Notre serment nous empêche de laisser un client plaider coupable s’il ne l’est pas.  Cependant, ce serment ne nous oblige pas à faire plaider coupable un client coupable puisque le principe est celui de l’innocence jusqu’à preuve hors de tout doute raisonnable du contraire.

La Couronne doit faire sa preuve dans le cadre d’un processus contradictoire.  Ceci dit, en Common Law, le plaidoyer de culpabilité sert grandement la justice, et les avocats de la défense hésiteront à faire en sorte qu’un procès se tienne s’ils sont convaincus que l’accusé n’a aucune défense valable, que ses droits ont été respectés et qu’il sera condamné.

Là où il m’arrive de vivre un tiraillement moral, c’est lorsqu’un client non coupable veut plaider coupable.  En principe, je devrais refuser.  Parce que le juge refusera, de toute manière, le plaidoyer de culpabilité.

Mais c’est souvent tellement complexe.  Le client peut être non coupable de l’infraction telle que rédigée sans être blanc comme neige;  le client peut avoir posé le geste, avoir une défense valable, mais ne pas vouloir vivre un procès parce qu’il lui reste lui-même peu de temps à vivre;  il peut aussi ne pas vouloir faire vivre au plaignant un procès, même s’il ne reconnaît pas avoir posé les gestes que la Couronne lui reproche.

Allez passer une seule journée dans une salle d’audience, et vous assisterez à la scène suivante : L’accusé plaide coupable.  La Couronne raconte l’histoire.  Le juge demande à l’accusé s’il reconnaît les faits et la réponse est non.  C’est une situation embarrassante, surtout pour l’avocat de la défense qui semble avoir mal fait son travail de conseil auprès du client.

 

S’engager à garder la paix et à ne pas troubler l’ordre public

J’ai une cliente qui était récemment accusée de menace de mort sur son ex conjoint.  Vous savez, une dispute énorme lors de laquelle l’un des protagonistes hurle « J’vas t’tuer».  Si je pouvais penser que ses chances d’acquittement étaient bonnes, je ne pouvais certes pas le lui garantir. On ne peut jamais rien garantir, en droit, et surtout ne jamais rien promettre. Surtout en droit criminel.  Le seul vœu de ma cliente dans ce cas-ci : s’éviter un procès et un casier judiciaire.

Nous avons donc convenu qu’elle signerait une ordonnance de garder la paix.  Ce qu’on appelle un 810 dans le jargon.  Au moment de signer son fameux 810, la juge s’assure auprès de ma client qu’elle admet avoir fait peur à son ex.  Je savais qu’elle était morte de rire, et qu’elle n’a jamais cru une seconde que ce type avait eu peur d’elle.  Alors elle répond «non», candidement.  «Il n’a pas peur et a porté plainte pour me faire du mal».  Évidemment, la juge ne peut pas accepter l’engagement de garder la paix si la paix n’a jamais été troublée.  Mais nous nous retrouvons devant l’obligation de subir un procès, ce que ma cliente ne veut pas…  Dilemme.  Et je ne vous raconte pas la suite, car je serais forcée de violer le secret professionnel.

C’est dommage que la population, depuis quelques années, ait tellement de hargne, et peut-être même de haine, envers ce métier que j’aime et qui est un des piliers de la démocratie.

J’espère avoir l’occasion de le réhabiliter, un temps soit peu, dans l’opinion publique.