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Il n’y a pas de crime d’honneur

Ce matin, le juge devait commencer à donner ses directives au jury au procès de la famille Shafia à Kingston en Ontario.  C’est la dernière étape du procès et c’est une étape charnière. Le juge, qui est le maître du droit, y explique au jury les possibilités de verdicts en fonction de la preuve recueillie.

Illustration: Delf Berg.

Les Shafia, le père, le fils et la seconde épouse, sont accusés du meurtre au premier degré des trois adolescentes de la famille ainsi que de la première épouse.

Selon la thèse de la Couronne, le meurtre a été commis pour sauver l’honneur de la famille.  Selon la thèse de la défense, il s’agit d’un accident.

Le meurtre d’honneur n’existe pas en droit criminel canadien, et nulle part le Code criminel ne fait référence à l’honneur familial ou patriarcal.

Au procès Shafia, la Couronne doit seulement faire la preuve hors de tout doute raisonnable qu’il s’agit de quatre meurtres au premier degré.

Pour chacune des victimes, donc, la Couronne doit prouver 1)  qu’elle est morte, 2) que sa mort a été causée par un acte illégal, 3) que l’acte illégal a été commis par les accusés (ou par l’un d’entre eux avec la complicité des autres)  4) que les accusés, en posant ce geste illégal, avaient l’intention de causer la mort ou de causer des blessures qu’ils savaient susceptibles de causer la mort et 5) que le geste a été commis de façon préméditée et de propos délibéré.

Ce sont les cinq éléments essentiels du crime de meurtre au premier degré, qu’on soit au procès de la famille Shafia ou dans tout autre procès.  Le meurtre au deuxième degré, c’est exactement la même chose, mais sans la préméditation et le propos délibéré.

Il n’est donc pas nécessaire pour la Couronne de prouver que le mobile du meurtre fut de laver la famille de son honneur sali.  Il est tout à fait possible, juridiquement, de faire la preuve d’un meurtre sans mobile.

Le mobile est seulement un élément qui aide à prouver l’intention de tuer, ou à prouver le caractère prémédité et le propos délibéré.

Les verdicts possible

Selon ce que je sais de la preuve produite au dossier, les jurés auront le choix entre un verdict de meurtre au premier degré ou un verdict d’acquittement.  J’ignore si le juge ouvrira le verdict de meurtre au deuxième degré, mais ce n’est pas impossible.  Par exemple, si preuve est faite qu’une dispute a éclaté entre le frère et les quatre femmes peu avant le drame, il est possible de croire à un meurtre sans préméditation.

Toujours selon ce que je sais de la preuve, l’homicide involontaire ne sera pas présenté au jury comme verdict possible.

Il est évident que chaque accusé n’a pas à recevoir nécessairement le même verdict.

Encore une fois, il n’y a pas de meurtre d’honneur en droit criminel canadien.  Cette notion n’existe pas comme infraction ni comme principe de détermination de la peine.

La défense a déjà tenté d’invoquer l’honneur familial à titre de défense de provocation, de manière à réduire le meurtre à un homicide involontaire, dans des contextes d’infidélité.  Les tribunaux canadiens ont toujours refusé cette défense.

Est-ce que l’honneur pourrait alors avoir une incidence sur la sentence?  Oui et non.

Non parce que dans le cas d’un meurtre au premier degré, la sentence n’est pas malléable : c’est la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Oui dans le cas d’une condamnation sur un autre chef d’accusation.  Par exemple, dans le cas d’un meurtre au deuxième degré, la personne condamnée peut être déclarée admissible à une libération conditionnelle après  une période variant de 10 à 25 ans selon la gravité subjective et les circonstances entourant le meurtre.

Alors, facteur atténuant ou aggravant?

Le Code criminel prévoit que la haine fondée sur le sexe de la victime est un facteur aggravant la sentence.  Le code criminel prévoit aussi que les mauvais traitements infligés à un conjoint est un facteur aggravant.  Constituent aussi des facteurs aggravants l’abus d’autorité et les mauvais traitements infligés à des enfants.

C’est dire que l’état du droit qui nous gouverne ne permettrait pas de considérer comme un facteur atténuant le fait d’avoir blessé ou tuer pour l’honneur.  Au contraire, le crime haineux, le crime misogyne, participe à l’aggravation de la sentence.

L’honneur n’est donc certainement pas un moyen de défense, ni un facteur pouvant alléger la peine.  Ce serait plutôt le contraire.