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Fumigène, terrorisme, Richard Bain et autres sophismes

Circulent sur le web ces jours-ci de nombreuses photos comparatives, accolées de légendes, où l’on oppose le traitement judiciaire réservés aux quatre accusés du métro en lien avec des engins fumigènes à celui réservé à Richard Henry Bain.

L’image frappe, évidemment.

Les quatre accusés pour les fumigènes, qui sont toujours présumés innocents et qui subiront leur enquête préliminaire en juin 2013, font face, entre autres, à un chef d’incitation à craindre le terrorisme.  Pas Richard Bain.

Les accusations liées au terrorisme ne sont pas souvent portées au Canada et les criminalistes potassent leur Code criminel chaque fois qu’il en est question.

On remarque d’emblée que la définition donnée dans notre Code criminel, tout comme l’interprétation jurisprudentielle qui en a été faite, ne donnent aucune indication quant à  une quelconque notion de complicité intrinsèque au crime, au contraire : en lisant le Code et l’arrêt Khawaja de la Cour d’appel de l’Ontario, on constate qu’une seule personne, agissant seul et pour son propre compte, pourrait être accusée de terrorisme.

C’est la définition juridique actuelle, qui n’est certes pas la définition usuelle des dictionnaires, mais elle constitue l’état de droit au Canada.  On pourrait donc, techniquement, porter contre Richard Bain des accusations de terrorisme.  On ne l’a pas fait.  Pas encore du moins.  Le fera-t-on, nous l’ignorons.  Serait-ce nécessaire, je suis loin d’en être certaine.

Bain fait déjà face à un chef d’accusation de meurtre au premier degré, qui implique obligatoirement une peine de prison à vie, avec un minimum de 25 ans à purger en détention. Mais la peine demeure perpétuelle au sens où la personne condamnée, si elle est libérée après 25 ans (on n’insistera jamais assez sur ce «si»), reste en libération conditionnelle jusqu’à la fin de ses jours.

Il fait aussi face à trois chefs de tentative de meurtre, un chef d’incendie criminel ayant causé des dommages, et d’une panoplie de chefs liés à l’usage illégal de dispositifs incendiaires et d’armes à feu.

Suivant les conclusions de l’enquête, il pourrait aussi être accusé d’intimidation d’un membre d’une législature provinciale en vertu de l’article 51 du Code criminel qui serait plus adaptée, selon moi, que l’accusation de terrorisme puisqu’il a agi seul.  Autre accusation qui pourrait être portée, toujours suivant les conclusions de l’enquête, le libelle séditieux qui condamne les paroles préconisant l’usage de la force ou de la violence l’encontre d’une institution de l’État.

L’accusation de terrorisme dans le contexte ou une seule personne a agi emporterait selon moi contestation par la défense de la définition actuelle qui prévoit un «terrorisme individuel». Mais c’est une autre question.

Est-ce donc vraiment nécessaire d’ajouter à l’arsenal une accusation de terrorisme?  Encore une fois,  je suis loin d’en être certaine.

Mais l’image frappe, évidemment.

Sauf qu’il faudrait cesser de dire n’importe quoi.

D’abord, il faut laisser les procureurs aux poursuites criminelles et pénales faire leur travail et l’enquête policière suivre son cours.

À lire les commentaires, tout un chacun est expert en armes à feu, expert en balistique, experts en projection de tir, expert en droit criminel, surtout; et tout un chacun semble avoir eu accès à la preuve communiquée à la défense dans l’affaire du métro Lionel-Groulx alors que cette preuve n’a pas encore été déposée à la Cour, sauf quelques éléments lors d’une enquête sur remise en liberté.  Étrangement, tout le monde sait tout, alors que personne ne sait rien.  On a même pu lire que les accusés du métro n’ont pas été condamnés à la prison, alors qu’ils n’ont même pas encore subi leur procès!

C’est lassant.

Je dois évidemment demeurer réservée dans mes commentaires, mais je crois pouvoir me permettre de dire que l’accusation d’avoir fait craindre une activité terroriste portée contre les quatre accusés du métro me choque, qu’elle me heurte tant sur le plan idéologique que juridique.

Ce n’est pas une raison pour faire des comparatifs boiteux et de grimper dans les rideaux.

Les images qui circulent, comprenez bien, doivent être conçues comme des blagues, sans quoi nous entrons en plein délire.  Oui, on a encore le droit de rire, de rire jaune, de sourire et de sourire amèrement.  L’humour noir est permis et n’est pas immoral s’il se fait dans le respect, je pense surtout au respect que l’on doit à la victime de l’attentat.  Je ne fais aucun reproche à ceux qui ont créé ces photomontages.  Ils ont bien le droit de se questionner ou d’ironiser.  Le droit de s’offusquer, même.

Mais de grâce morbleu, disait le poète, laissez travailler les autres.  Et, surtout, laissez les théories à la noix au vestiaire.  Ça n’aide personne.