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L’affaire Dumont, à l’endroit

Michel Dumont a été trouvé coupable le 25 juin 1991 par un juge seul (et non par un jury) de menaces de mort, d’enlèvement et d’agression sexuelle armée.  Il a été condamné à purger une peine d’incarcération de 52 mois .

Il a porté le verdict en appel, à été débouté en février 1994 par la Cour d’appel du Québec, et il est donc parti purger sa peine à l’ombre du pénitencier de Cowansville.

En 1995, grâce à un mécanisme prévu à l’article 690 du Code criminel* l’épouse de Michel Dumont écrit à la ministre de la Justice de l’époque lui enjoignant d’enquêter sur la condamnation de son mari pour un crime qu’il n’a jamais commis.

La ministre mandate alors Me Isabel Shurman qui remet un rapport le 15 juillet 1998.

Toute l’affaire reposait sur une question de crédibilité, comme c’est souvent le cas des dossiers d’agression sexuelle. La version de l’un contre la version de l’autre.

Or, conformément au principe sacré de présomption d’innocence et dans l’application du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable, le juge d’instance ne peut pas, devant deux versions contradictoires, se demander lequel des deux protagonistes est le plus crédibles.  Il existe un mécanisme de réflexion plus strict et le juge ou le jury est obligé de penser en suivant ce mécanisme :  1)  Si l’accusé est cru, il doit être acquitté, 2) si l’accusé n’est pas cru mais qu’il subsiste quand même un doute, il doit être acquitté, 3) s’il n’y a pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, il faut se demander si, devant l’ensemble de la preuve reçue (qui inclut le témoignage de la plaignante), on est convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

C’est ainsi que doit réfléchir le juge ou le jury devant une preuve qui repose sur des versions contradictoires.  Ce système a fait ses preuves et vise à éviter d’envoyer des innocents en prison.

L’affaire Dumont a ceci de particulier que la présumée victime a fait six déclarations après le procès, une fois l’accusé condamné, déclarations dans lesquelles elle remettait en question son témoignage sous serment.

La Cour d’appel a accepté cette nouvelle preuve que constituent les six déclarations de la plaignante et décidé que, compte tenu de cette preuve, aucun jury raisonnable, correctement instruit (c’est ça le critère, ça ne veut pas dire qu’il y a eu un jury ou qu’un deuxième procès aurait eu lieu devant jury) ne pourrait conclure en la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

La Cour d’appel a donc acquitté Michel Dumont.

Podz a fait un film sur cette histoire juridique.  Podz n’a pas la prétention d’avoir fait un film sur la vie de Michel Dumont, sa famille, son enfance, ses amours, et ses déboires.

C’est un film qui porte sur une saga judiciaire : Le personnage a été condamné, puis acquitté.  Point à la ligne.  Le cinéaste pose au passage des questions sur la justesse, et la justice, de la mécanique judiciaire.  C’est son droit, c’est son art.  Et c’est sain de questionner.

Que des confrères se pointent à LCN pour dire que Michel Dumont est peut-être coupable malgré son acquittement par la Cour d’appel me scie les jambes.  Avec tout le mal que nous avons, nous autres juristes, à faire comprendre à la population l’importance de la présomption d’innocence et du doute raisonnable dans une État de droit, ces déclarations à l’emporte-pièce m’apparaissent plus que dangereuses.

Maintenant, Michel Dumont demande à l’État de le dédommager pour cette condamnation injuste qu’il allègue.  C’est encore une autre histoire.  C’est du droit civil.  On change de registre, de dimension.

En droit criminel, preuve doit être faite hors de tout doute raisonnable de la culpabilité des accusés.  Et heureusement.  Il en va de la liberté des êtres.  En droit civil, on doit plutôt faire le preuve de la responsabilité suivant la balance des probabilités, vous savez, la fameuse balance de la justice.  De quel côté pèse-t-elle le plus lourdement?

Pour obtenir un dédommagement de l’État après une condamnation injuste, il faut faire la preuve de la mauvaise foi de la Couronne ou de la police, ou à tout le moins, d’une réelle négligence.  Il faut prouver que la poursuite a été abusive, sans fondement aucun.  On ne peut pas obtenir un dédommagement chaque fois qu’on est acquitté, qu’un arrêt des procédures est prononcé par la Cour ou que la Couronne finit par abandonner sa poursuite.  Le droit civil reposant sur les notions de faute et de dommage, il faut toujours bien que la Couronne ait commis une faute dans sa décision de poursuivre sans quoi ce serait une véritable mascarade de réclamations.

Les affaires Proulx, Marshall et Hinse sont parmi les rares cas où des dommages et intérêts ont été accordés à titre de remède pour des poursuites abusives soit à la suite d’un règlement avec le procureur Général, soit à la suite d’une décision judiciaire.

Dans le cas de Michel Dumont, il reviendra au tribunal de décider si la poursuite a été abusive, donc fautive, et s’il doit être conséquemment dédommagé pour le préjudice subi.

J’insiste.  Il reviendra au tribunal d’en décider.  Non pas à son ex, ou à sa sœur.  Ces gens toutefois, qui sont pris d’envies subites de passer à la télé, que ce soit en personne ou au téléphone, devront s’attendre à ce qu’on leur impose l’obligation corollaire d’aller témoigner, sous serment, devant le tribunal.  «Toute la vérité, rien que la vérité, dites je le jure».   Il y a des conséquences à s’exprimer publiquement sur des sujets aussi graves.  Il faudra les assumer.

Et on verra ce que le tribunal décidera.

* L’article 690 a été abrogé en 2002 et remplacé par les articles 696.1 et suivants.