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Garder la paix et avoir une bonne conduite

 

 – Dédales des «feuilles d’engagements» des arrêtés du printemps

 

Je suis en train de m’arracher les cheveux de sur la tête.

Alors imaginons ce que c’est pour elles et pour eux (même si je sais que je ne vous ferai pas pleurer).

Oui, je m’arrache les cheveux de sur la tête à tenter de gérer les conditions de mise en liberté de toutes les accusées et de tous les accusés du printemps dernier.

 

Je parle ici de mon petit stress personnel, de mes difficultés d’agenda et conflits d’horaires, des obligations que ça m’impose comme présences à la Cour pour des peccadilles, présences à la Cour qui se préparent, évidemment, par une demande de mise au rôle, devant souvent être faite préalablement dans le bureau du juge coordonnateur avec son adorable assistante, après avoir quémander son consentement à mon sympathique confrère ou à mon attachante consœur. Non, ce n’est pas la faute des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, ils sont chouettes, et ils s’arrachent  les cheveux de sur la tête eux aussi, j’en suis certaine.  Ce n’est la faute de personne, mais c’est vraiment la faute d’un système qui a dérapé le temps d’une saison, une saison qui va encore durer des années.

Je parle ici seulement de mon inconfort, mais je ne parlerai pas de l’aide juridique qui semble ne pas vouloir octroyer d’attestation d’admissibilité aux carrés rouges.  Non, je ne parlerai pas de mon bénévolat, le mien ni celui de mes collègues qui s’occupent, encore plus que moi, des arrêtés du printemps.  On en a marre, mais on garde ça pour nous.

Imaginons plutôt ce que c’est pour elles et pour eux.  (Et ceux qui ont trop peur de pleurer peuvent arrêter ici la lecture).

Imaginons ce que c’est que de toujours avoir au ventre l’angoisse d’être en train de commettre un nouveau crime, car oui, c’est un crime.  Ne pas respecter un engagement, une promesse, ou une condition de remise en liberté imposée par la Cour est une infraction criminelle.

Suis-je trop près du métro?  Suis-je à moins de 100 mètres d’une école?  Suis-je en retard à la maison?  Ce camarade de classe qui m’adresse la parole, a-t-il un casier judiciaire?  A-t-il été arrêté au printemps? Puis-je continuer à payer cet appartement idéal si je n’ai pas le droit de m’y trouver pour encore un an?  Comment trouver des nouveaux co-locs, tous mes amis ont été arrêtés au printemps?  Comment me déplacer de chez ma mère à Montréal sans prendre le métro?  Comment aller témoigner pour ce copain si je n’ai pas le droit d’approcher de son frère?  Comment être certaine de ne pas me trouver à moins de 50 mètres d’un policier?  Si je vais faire un travail d’équipe chez Roméo, y’a-t-il des risques que Juliette se pointe? 

Une marche, est-ce une manif? 

Une réunion, est-ce permis? 

Une assemblée, est-ce radical?

 

 

Ils ont été arrêtés au printemps 2012 et ils ont des conditions de remise en liberté semblables à celles que l’on impose à des trafiquants de stupéfiants dans un contexte de criminalité organisée.  Ils ont été arrêtés au printemps 2012 et ils sont traités comme s’ils avaient été arrêtés au printemps 2001.  Comme des gangsters présumés.

Ils ont tellement de conditions à respecter que je ne me comprends plus moi-même.  Et je ne parle pas des pères qui m’appellent pour être certains qu’ils peuvent amener Iseult chez grand-mère ce week-end, ou des mères qui m’écrivent pour être certaines que Tristan peut partir travailler plus tôt ce matin-là.

Tous les jours je me rends compte, en parlant avec l’un d’eux, avec l’une d’elles, qu’une exception a été oubliée dans la longue liste, ou qu’une interdiction est impossible à respecter dans les méandres de l’énumération.

Juste là, maintenant, je tiens le téléphone avec mon épaule et je parle à un client concernant une chose qu’il a l’obligation légale d’accomplir, mais qu’il n’a pas de droit de faire selon sa «feuille d’engagements».  On s’entend pour régler le problème d’une telle manière, en attendant que je fasse modifier ses conditions pour la éniène fois.  Un problème de réglé je peux aller préparer le souper. Avant de raccrocher, je lui annonce que j’envisage de le rencontrer pour préparer son dossier avec un de ses camarades.

Lui :  «On n’a pas le droit d’être ensemble».

Son avocate :  «Mais oui, lis ta feuille, il est inscrit «sauf en présence de son avocat pour la préparation du dossier»»

Lui :  «Non, c’est marqué «Sauf à l’université»»

L’avocat :  «Ah ben oui, c’est ben trop vrai, un oubli, on va faire changer ça».

Et voilà, une autre date de Cour à prévoir pour une autre modification de conditions  C’est comme ça tous les jours.

Et on trouve que les palais de justice sont encombrés.