BloguesÀ la gonzo

Occuper Montréal à la Gonzo!

Journalisme Gonzo (n. m.) : récit subjectif où fiction et actualité se rentrent dedans.

Le papa du style, Hunter S. Thompson, a couru après le rêve américain. Résultat? Fear and Loathing in Las Vegas. Moi, je cherche à comprendre comment on change le monde. Voici ce qu’aurait pu être ce blogue si la Ville de Montréal n’avait pas évincé les occupants du Square Victoria:

(demain, je vous propose comment on occupe autrement)

Je suis rentrée dans Occupy Montréal comme on passe la porte en avion; à toute vitesse, sans parachute. Puis, j’ai barré mon vélo en bas de la côte. Assise sous la statue, histoire d’occuper, j’ai feuilleté la presse clandestine du campement et tout de suite, on m’a démasquée :

-Salut!

Je lisais leur journal Wall-Street-Occupy-sous-le-manteau,  je sais plus trop.

-Eille, mais je te connais!

C’est qui lui?

-Oui, c’est toi la journaliste, la journaliste du Journal de Montréal!

Même pas le temps d’arriver que j’ai la trouille. Est-ce qu’il va me tabasser? Dans les nouvelles hier, des occupants se sont fait battre par des clochards. C’est mon tour? Maman… Je lui certifie que j’ai rien à voir avec le Journal de Montréal.

J’attends le cours d’économie. À 16h00, y a un cours d’économie, c’est même écrit sur le Facebook d’OccupyMTL. 16h30, pas de cours d’économie. D’ici là, j’ai découvert le plus mauvais café froid jamais torréfié. Ça goûte sucré, j’en suis à me demander si c’est drogué de sédatifs. Walter en bois avec moi, il en boit depuis un mois. Semble en bonne santé. On retourne pour un autre verre, le nez aussi gelé que les orteils. Avant le café, j’ai joué la traductrice pour Walter. Y avaient des étudiantes avec des jupes bleues en tweed et des collants aussi blancs que la chemise; elles voulaient une entrevue d’occupant pour un projet étudiant.

J’occupais depuis à peine une heure, j’ai donc laissé Walter parler. Although, Walter don’t speak french. J’ai résumé son anglais en français,  je parlais avec conviction à la petite caméra, me suis sentie utile, j’avais l’impression de faire ma part. Walter était impressionné, « Damn girl! I like the way you talk at the camera! » Ça lui a bien plu, on a convenu que je deviendrais une actrice.

Ça, s’était avant qu’on fume du hash dans sa tente. Mais avant ça, Walt m’a présenté Paco, un agent de sécurité. J’étais contente, j’allais pouvoir lui tirer les vers du nez sur les batailles qu’il a dû gérer. C’est lui qui avait le hash, fil conducteur qui nous guida jusqu’à la tente de Walter. C’était chaud à l’intérieur, même si le zipper ne fermait pas complètement. J’avais jamais fumé de hash. C’est ce que je leur ai dit. Complètement gelée, je m’en viens à me demander si c’était vraiment ma première fois. En tout cas, la première fois dans une tente, avec deux gars que je ne connais pas. L’air refusait de circuler, malgré la fente qui servait d’ouverture à la tente. La boucane restait coincée, dans un brouillard de fumé bercé par le folk de Neil Young qui grichait un peu à la radio.

Je me suis dit, tant qu’à occuper, on va s’occuper comme les indignés. On va fumer. On baragouinait mi-anglais, mi-français, pour que Walter suive un peu, mais on switchait au français tout le temps. Vous avez déjà remarqué comment la langue naturelle, ça lit deux personnes? Le français revenait au galop à chaque hésitation. J’expliquais à Walter que Paco travaille dans un magasin de fourrures, d’où son chapeau si chaud. Paco m’a donné sa tuque; j’étais nu-tête. C’est toujours ceux qui en ont le moins qui donne le plus.

J’ai même pas eu l’opportunité de lui redonner, je devais quitter. Stoned sur mon vélo, dans le froid de la nuit, c’était compliqué. Chaque voiture me faisait badtripper, j’en perdais la notion de la réalité. J’avais peur de tous ce qui pouvait m’arriver, les devoirs que je devais terminer, la manière de me rendre à la maison en vie, les devoirs que j’avais pas fini, la caféine qui me réchauffait le sang et l’esprit, je devais rentrer chez moi, même si le souper sentait meilleur là-bas. Pâtes à la sauce aux fromages et brocolis, salade de pois chiches et pomme au caramel pour dessert, do you imagine? Ils sont bien nourris, mieux que ce que je vais ingurgiter en vitesse chez moi.

Avant d’aller flâner dans l’air du souper, Walter m’a pointé du doigt un petit homme en manteau orange fluo qui avait un drôle de tic nerveux. Ces yeux fuyaient à droite, puis à gauche à une vitesse effarante! On aurait dit qu’il était parano ou très, très, très vif d’esprit. Walter s’est rapproché, puis a chuchoté : « Look! Look at him; that’s the candle cop. » D’un air grave, Walt raconte qu’il fait le tour des tentes, à la recherche d’une flamme qui vacille dans les abris. The candle cop… Il est tout sérieux ; j’ai explosé de rire. Cette petite chose nerveuse et orange se la joue police de la chandelle? Décidément, pas besoin d’inventer de personnages pour cette histoire, le square en recèle!

La place du peuple est recouverte de punks et de leurs chiens en laisse, de leurs gros backpacks et de leurs cheveux sales. Les barbes sont tressées, les visages tatoués. Ça déambule sans trop savoir où aller. Un peu comme quand je suis arrivée. On fait le tour des tentes comme on magasine, sur le mode lèche-vitrine. C’est dur à expliquer, mais l’instinct te dicte où aller. C’est pas facile d’intégrer une communauté! Le temps que j’observe pour comprendre leurs codes, le temps qu’ils m’observent à lire les journaux d’Occupés et la conversation peut s’installer.

Ma conversation a commencé avec Walter, un vieil américain. Il a 21 ans parce qu’on a bien l’âge qu’on se donne qu’il me dit, même si je doute que ces rides et les cicatrices d’électricien aux creux de ses mains lui permettent une telle jeunesse. Pendant l’entrevue, Walt a dit aux étudiantes que c’était pas normal que les citoyens qui gaspillent leur vie à travailler 84 heures/semaine n’atteignent jamais le train de vie des cadres supérieurs qui encaissent des millions. Il leur a dit aux petites filles que c’était notre argent, la leur et la sienne, qui s’accumulait dans les poches de ceux qui n’en ont pas besoin. Je m’en souviens et c’était compliqué de se souvenir de tout, tout de suite, parce que Walter n’arrêtait pas de parler et moi je me répétais des mots-clés pour pas oublier et traduire pour la caméra. C’était sérieux. Très.

Walter veut pas passer à la télé, mais dans la petite caméra d’une étudiante, pourquoi pas. Même que les petites filles sont reparties sans nous demander nos noms, mais en nous rassurant que ça n’irait pas sur YouTube sans notre permission.