Vie

Chez Lévêque : Ouvert comme une huître

Tous les ans, Pierre et Patricia font des mois en "r" un événement. En effet, ces jours-ci, les aphrodisiaques mollusques sont bien charnus et bien juteux Chez Lévêque.

"Monsieur Lévêque, vous en pensez quoi, vous, de cette règle des mois en "r", selon laquelle on ne peut manger des huîtres que de septembre à mars?" Notre interlocuteur, formidable gaillard, nous entraîne dans les dédales du resto, derrière la cuisine du deuxième étage, entre la chambre froide et le congélo. Il ouvre une porte, se dirige vers son bureau et prend le téléphone. "Monsieur Dugas! Je prendrai quatre caisses de Gourmet, six de Connaisseurs et quatre d’Acadie royal. Je vous passe une journaliste du Voir qui a quelques questions pour vous."

Avec son plus bel accent du Nouveau-Brunswick, monsieur Dugas, l’ostréiculteur, explique que ce sont les Acadiens qui ont fait connaître les huîtres au Québécois après la déportation en 1755. En ces temps, le transport par voie maritime et l’impossibilité de réfrigérer la cargaison empêchaient toute huître d’embrasser la langue des amateurs en dehors des mois en "r", soit les mois froids. "Mais depuis que nous en faisons l’élevage et que la température est contrôlée lors du transport, il est possible de manger des huîtres à l’année", soutient monsieur Dugas.

LE GOÛT DE LA MER

"Pourquoi alors sortir votre meilleur muscadet, vos affiches rigolotes, vos tambours et trempettes seulement au mois de septembre, monsieur Lévêque?" Sans mot dire, le restaurateur se lève et fait signe de le suivre. Il nous fait repasser entre les frigos, descendre au premier, puis nous entraîne jusqu’à une banquette où il nous sert un verre de blanc, avant de sommer l’un des serveurs d’aller ouvrir les coquilles sans quoi il le fera lui-même. "Pourquoi?, reprend-t-il après s’être enfin assis. Parce que je constate d’expérience qu’elles sont plus pleines, plus charnues, plus juteuses l’automne et l’hiver." Chez Lévêque, c’est donc l’expérience qui parle, mais c’est aussi Patricia, la femme du patron, qui nous explique plus en profondeur l’histoire d’amour entre ces bijoux de mer et son mari.

"Pierre est de la Vendée. Il a grandi au bord de la mer avec les coquillages", confie madame Lévêque alors que le principal intéressé est parti en cuisine employer ses immenses mains à ouvrir les fins écrins. ("Personne ne sait les ouvrir correctement!" a grogné le patron avant de se lever.) "Il prend un malin plaisir à les tester et à en contrôler la qualité, reprend doucement Patricia. C’est aussi pour cela qu’il évite les intermédiaires et préfère le contact direct avec les fournisseurs."

DÉGUSTATION

Pierre est de retour avec une assiette tapissée de glaçons sur laquelle trônent les trois sous-espèces de mollusque que cultive monsieur Dugas, à Caraquet. La différence entre les Connaisseurs, les Gourmets et l’Acadie Royal? La grosseur d’abord. Et pour qui a la papille alerte, le goût légèrement plus iodé des petites Connaisseurs.

Suit un plateau de coquilles tout droit venues de l’Île-du-Prince-Édouard. Plus grosses, les Raspberry Point, Malpèque et Salt Lake nous semblent légèrement moins goûteuses. Peut-être est-ce là l’effet des lampées d’un superbe muscadet d’importation privée. Comment savoir? Sur les coquilles princières comme sur les acadiennes, on échappe quelques gouttes de citron, de vinaigre de vin rouge infusé à l’échalote française ou de sauce cocktail. "Je les mange aussi avec quelques grains de caviar, du foie gras, du scotch ou du raifort, pourquoi pas?", conseille le patron en encourageant la gourmandise des convives. "Lorsque je suis arrivé ici, au début des années 60, les Québécois achetaient les huîtres au litre et en versaient une douzaine dans la bière, qu’ils buvaient à grandes gorgées", lance Pierre en réprimant une grimace. Rien à voir avec les dimanches vendéens des mois en "r" chez les Lévêque, nous fait-on comprendre.

C’est un peu pour cela que l’on fait tout un plat des huîtres Chez Lévêque qui célèbre, cette année, ses 35 ans, pour donner le vrai goût de la mer aux Montréalais. "Et un peu aussi parce que, pour nous, toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête", chuchote la patronne.

Chez Lévêque
1030, avenue Laurier Ouest
Tél.: 514 279-7355
Info: www.chezleveque.ca

RECETTE

LA SAUCE COCKTAIL DE CHEZ LÉVÊQUE

Ingrédients /
Une cuillère à table de raifort
Trois cuillères à table de sauce chili
Trois cuillères à table de ketchup
Déposer une touche sur une huître crue et aspirer!