Ludivine Sagnier/Crime d'amour : Pour une dernière fois
Cinéma

Ludivine Sagnier/Crime d’amour : Pour une dernière fois

Avec Crime d’amour, qui met en vedette Ludivine Sagnier, Alain Corneau, décédé plus tôt cette année, réalisait le dernier long métrage de son imposante oeuvre.

Ce n’est généralement pas un hasard lorsque le parcours d’une actrice croise avec autant de régularité ceux de grands metteurs en scène. Il suffit de jeter un bref regard à la filmographie de l’actrice Ludivine Sagnier pour se convaincre que ce chemin n’est pas simplement aléatoire, mais qu’il est plutôt la conséquence de choix réfléchis.

On ne collabore pas avec des cinéastes comme Alain Resnais, Claude Chabrol, Claude Miller, François Ozon, Olivier Assayas et Christophe Honoré si l’on ne partage pas avec eux ne serait-ce qu’une toute petite chose, au moins. C’est justement cette toute petite chose qui a poussé l’actrice à collaborer avec Alain Corneau dans ce qui deviendrait son ultime projet.

"Alain m’a contactée pour la première fois au moment où j’étais juré au festival asiatique de Deauville, raconte l’actrice rencontrée au Festival de films francophones Cinemania. Quand je lui ai dit où j’étais et pourquoi j’y étais, il a complètement oublié l’objet de son appel et s’est mis à me questionner sur les films que je voyais, sur mes films asiatiques préférés, etc. Et on a parlé comme ça pendant une heure et à la fin, sans même que nous ayons encore discuté du projet, je sentais que c’était réglé."

Ce projet, c’était celui d’un thriller psychologique intitulé Crime d’amour, dans lequel elle aurait à interpréter le rôle d’Isabelle, businesswoman manipulée et violentée psychologiquement par sa patronne (Kristin Scott Thomas), au point où elle en vient à décider de se faire justice.

"L’univers de Crime d’amour est extrêmement froid, explique Sagnier, que ce soit au plan de la lumière, des décors, de l’intériorité des personnages… Isabelle est glacée, elle est complètement introvertie, elle est paralysée affectivement et humainement, et c’est pour ça qu’elle tombe dans le piège de la vengeance. C’est quelqu’un qui a appris à réfléchir de façon très organisée, et du coup, le fait de catalyser toutes ses énergies dans un seul et même domaine la rend tout à fait démunie lorsque vient le temps de régler un problème humain."

L’actrice, qui doutait à la base de pouvoir interpréter un tel rôle, s’est finalement laissé guider par le maître: "Dans l’univers de Corneau, on était dans la maîtrise la plus totale. C’était quelque chose de très mécanique où rien, absolument rien, n’était laissé au hasard. Chaque mouvement venait toujours déterminer la suite avec une précision affolante."

Justement pour cela, l’actrice se souviendra longtemps de cette belle rencontre, rendue possible et nourrie par cet amour qu’ils avaient en commun du cinéma: "C’est lui qui m’a orientée vers Fritz Lang et Douglas Sirk, se souvient-elle. Il avait une connaissance encyclopédique complètement dingue du cinéma mondial. Il connaissait tout, des acteurs aux auteurs, en passant par les critiques! Même si je ne suis pas encore à la hauteur des connaissances qu’il avait, je pense que je partage au moins avec lui, et avec les autres réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé, cette idée qu’il ne suffit pas de faire du cinéma: il faut aussi en consommer beaucoup pour pouvoir aller plus loin."

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Ce n’est pas exactement la grande oeuvre que l’on aurait souhaitée d’Alain Corneau avant son grand départ, mais Crime d’amour est certainement là pour nous rappeler ce qu’une existence passée à réfléchir et à vivre de cinéma peut donner en matière de maîtrise. Crime d’amour, c’est exactement cela, soit la preuve irréfutable d’une connaissance aiguë d’un langage et de ses codes, la démonstration d’un contrôle émouvant puisque ultime, tant dans la réalisation que dans l’écriture du récit filmique. Au coeur de l’expérience, les performances des sublimes Ludivine Sagnier et Kristin Scott Thomas, pleinement engagées dans un duel psychologique enlevant, au coeur duquel éclatent les différentes perversions de leurs personnages. En bref, une oeuvre cohérente et assez bien ficelée, la dernière touche d’un auteur à l’imposante oeuvre qui lui survivra.