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Le secret d’une bonne poutine : Touche pas à ma poutine!

Du chic Plateau-Mont-Royal aux profondeurs de la Gaspésie, les Québécois saliveront toujours devant cette union parfaite entre la pomme de terre, le fromage en grains et la sauce brune. Mais à travers les moeurs, quel est le secret d’une bonne poutine et quelle en est son âme?

Dans un plat en aluminium ou en styromousse? Avec du mozzarella râpé ou du fromage en grains? Sauce classique ou BBQ? Dorées frites juliennes ou grosses patates brunes? Chaque Québécois a sa propre conception de la poutine idéale. La plupart sont d’ailleurs des experts en la matière. Se souviennent du moment, des émotions vécues lors de la découverte de ce mets consacré "national". Cette fierté, elle s’étend jusqu’aux poutiniers de la province, tous convaincus de servir la meilleure poutine en ville.

Si l’équilibre parfait entre les frites (croustillantes), la sauce brune (juste assez généreuse pour ne pas noyer la patate) et le fromage (abondant, chambré) est souvent évoqué pour distinguer une bonne poutine d’une mauvaise, la fraîcheur des ingrédients demeure la priorité des restaurateurs qui partent d’un principe vieux comme la saucisse Hygrade: plus de gens en mangent car elles sont plus fraîches, elles sont plus fraîches car plus de gens en mangent.

Chacun sa recette (secrète)

Ouverte depuis 50 ans à Sainte-Madeleine, la Cantine Bernard sert 3 tonnes de patates par semaine et son fromage arrive chaque matin directement d’une fromagerie située près du lac Mégantic. "Si on sert autant de poutine, c’est à cause de ces ingrédients et de notre sauce secrète qui ne provient ni de sachets de poudre, ni de cannes de sauce commerciale", explique la propriétaire Sylvie Lacombe. "Et dire que l’ancien propriétaire, monsieur Bernard, a longtemps refusé d’inclure la recette au menu, sous prétexte que la sauce et le fromage ruinaient le goût de ses frites. Aujourd’hui, la poutine est notre plus gros vendeur. Des gens font deux heures de route pour venir la déguster."

Le secret est dans la sauce, oui, mais il peut aussi résider dans la cuisson de la viande dans le cas des poutines plus costaudes. "C’est l’assaisonnement de notre porc qui fait de notre poutine au doner l’une des meilleures en ville", lance Emmanuel Tsontakis, copropriétaire de La Ligne rouge rue Jean-Talon Est, à l’angle de Saint-Denis. Dessiné couteau à la main sur les vitrines de son restaurant, avec un sourire plus blanc que blanc, Tsontakis souligne que la réussite de sa poutine au doner résulte également d’une quantité de fromage suffisante. "Faut pas lésiner sur le fromage sous prétexte qu’il y a de la viande par-dessus. Il n’y a pas de compromis à faire à ce niveau."

Pour Kosta Kariotakis, Camillo Fresco et le cuisinier Tony Rea, les trois associés derrière le nouveau restaurant montréalais Poutineville (en photos), c’est le client qui fait qu’une poutine est réussie ou non. En plus des quelques spécialités maison, dont une poutine au boeuf braisé, Poutineville propose de concevoir sa propre poutine en choisissant parmi trois types de frites, dont une surprenante patate explosée, une sélection de neuf fromages allant du féta au bleu, plusieurs options de viande et trois possibilités de sauce (classique, trois poivres, au vin rouge).

"L’idée d’offrir une poutine sur mesure m’est venue parce que, avec ma femme, nous n’arrivions jamais à nous entendre sur la meilleure poutine, confie Kosta Kariotakis. Tout le monde a ses préférences, et c’est pour ça qu’ici, chaque client devient son propre chef cuisinier." Dans ce menu ultradiversifié, une ligne fait frissonner les médecins de famille, celle consacrée à La Crise cardiaque, "la plus grosse poutine à Montréal": 5 livres de frites, poulet, bacon, saucisse fumée, viande hachée, jambon, oignons, poivrons, tomates, champignons, fromage mozzarella et en grains. "On conseille d’être huit pour la manger", prévient Camillo Fresco.

L’âme de la poutine

Si le but de Poutineville est de décloisonner le mets, d’en faire autant un plat gastronomique qu’un ultime péché graisseux, le batteur de la formation Les Trois Accords, Charles Dubreuil, estime que les Québécois ne doivent pas avoir honte de la simplicité de leur mets national. "Aucun mets proclamé "national" n’est associé à la haute gastronomie. Le fameux cassoulet français? Des bines, de la viande et du gras. La mitraillette belge? Une saucisse et des frites dans un pain baguette. Le steak Philly? Du fromage, du steak et du pain… Pour devenir national, un mets doit être accessible, tant sur le plan financier que géographique. Ce n’est pas la recette raffinée d’un grand chef disponible dans un restaurant 5 étoiles qui deviendra nationale, mais celle que l’on sert à la grandeur d’un pays pour 7$."

Cofondateur avec les autres membres des Trois Accords du Festival de la poutine, présenté à Drummondville les 26 et 27 août prochain, Charles Dubreuil estime que la poutine incarne la tricherie, ce qui lui confère une âme rebelle. "Tout le monde est maintenant sensibilisé aux effets néfastes de la malbouffe. On calcule nos portions quotidiennes de fruits et de légumes, on lit les informations nutritives sur les aliments… Manger une poutine, c’est tricher sur son régime. Envoyer promener les conseils des diététiciens pour se faire plaisir. Pas étonnant que la poutine soit si populaire à deux heures du matin, la consommation d’alcool fait toujours tomber quelques barrières!"

À La Ligne rouge, les clients nocturnes se moquent du décor défraîchi de l’endroit. Pour ces fêtards, la priorité n’est pas la satisfaction des yeux, mais le réconfort des papilles gustatives. "C’est aux petites heures de la nuit que notre poutine au doner connaît ses moments de gloire, révèle Emmanuel Tsontakis. Elle aide à refaire le plein, à recréer un équilibre dans un estomac rempli d’alcool." Même constat à Poutineville, ouvert jusqu’à quatre heures du matin les vendredis et samedis.

Mais prenez garde, ce n’est pas tant le nombre de poutines que vous mangerez par mois qui fera de vous un fin connaisseur, selon Charles Dubreuil. "Je ne crois pas que les vrais amateurs de poutine soient ceux qui en mangent trois ou quatre fois par semaine. Ces gens s’alimentent mal, c’est tout. Les vrais amoureux de la poutine sont ceux qui en mangent quelques fois par année et qui choisissent le moment et le restaurant. Il n’y a rien de pire qu’être déçu après s’être envoyé une mauvaise poutte."

Carnet d’adresses /

Cantine Bernard: 1400, boulevard Laurier, Sainte-Madeleine, 450 795-3200

La Ligne rouge: 414, rue Jean-Talon Est, Montréal, 514 277-2222

Poutineville: 1348, rue Beaubien Est, Montréal, 514 544-8800

Festival de la poutine de Drummondville: les 26 et 27 août, www.festivaldelapoutine.com