Hommage à la bière
Vie

Hommage à la bière

Depuis quelques années, je rencontre de plus en plus de vrais passionnés de la bière; des gens qui aiment en parler, mais surtout des gens qui aiment la boire, la savourer… la déguster. On peut les reconnaître sur la rue avec leur barbe ou leurs tresses (les deux attributs étant rarement sur la même personne). On les cerne facilement avec leurs yeux pétillants et leur sourire allumé. Comme ces gens qui errent, la chope fière dans la verve, j’ai parfois envie de laisser déborder mon enthousiasme. Et c’est pour ça que je désire, aujourd’hui plutôt que demain, rendre un hommage à la bière sous la forme d’un récit sans réel début et sans fin définie.

Sur le coin de mon bureau, je regarde le cerne du verre que j’ai bu hier, séché comme les quelques gouttes laissées au fond de ma coupe. Dès lors, mes cinq sens sont à nouveau interpellés dans un flashback commémoratif (mon esprit a la cérémonie facile!):

Mes oreilles se souviennent du «pssssht» officiel, du glouglou traditionnel et du soupir de satisfaction usuel. Mes yeux se souviennent de la robe rougeâtre de cette bière et de son col bien repassé. Mon nez, qui renifle encore en vain, se souvient des vapeurs de caramel, d’anis, d’alcool, de fleurs. Mes lèvres se souviennent de la mousse et de la texture soyeuse du liquide. Mes papilles pétillent encore à l’idée de retrouver ce sucre résiduel, ce houblon tropical, cette effervescence qui soudoie la langue.

Je me ressaisis aussitôt en constatant que je divague avec un rien. Je fixe à nouveau le cerne collant en grognant: bordel, j’aurais dû utiliser un sous-verre.

Il y a 10 ans, si on m’avait dit que j’écrirais de la poésie pour décrire une bière, j’aurais probablement éclaté de rire en disant «pourquoi ne pas écrire un roman sur une brique de fromage un coup parti?». Aujourd’hui, c’est devenu un réflexe naturel, un automatisme. En guise de conclusion, je laisserai traîner mes notes de dégustation, celles que j’ai prises pour me souvenir d’une bière que j’ai bue récemment et que j’ai particulièrement appréciée. Puissent ces quelques lignes vous donner la piqûre de la dégustation ou, pour le moins, une soif irrésistible.

Cette bière est noire, plus que noire; on n’y voit rien d’autre que son propre reflet. La mousse est absente, plus qu’absente; elle pétille dans le négatif. J’ai rarement vu une bière aussi inerte en surface. C’est beau de plusieurs façons! Le nez vacille entre le café doux, le chocolat fin et le bois mouillé — une ballade matinale en forêt pour mes narines nerveuses. Il n’y a désormais rien qui pourrait m’empêcher de goûter à cette bière. Ni la crainte de la déception, ni la peur du déjà-vu. Ça y’est, je me suis laissé prendre dans ses filets. Ma bouche est assiégée par le contraste puissance / subtilité: comme un coup de poing plein de rage qu’on retient à la dernière minute par compassion. Que l’élan soit retenu ou non, j’en ai pris plein la gueule: un café froid qu’on aurait alcoolisé sans compter les onces. Un bloc de chocolat avec une cochonne ganache au whisky. Un bonbon dur à l’érable qu’on aurait fait cuire par simple plaisir. Divin!

Ah et puis tiens! Puisque j’ai l’humeur ludique, j’ai envie de vous faire deviner ce que j’ai bu. Si quelqu’un se sent inspiré, je vous donne un indice. Il s’agit d’une bière québécoise, un brassin spécial très limité, qui est apparu sur les tablettes à la fin du mois de mai et qui a probablement déjà déserté la plupart des points de vente. Il n’y a rien à gagner à part peut-être une bonne dose de fierté. Vos réponses sont les bienvenues via les commentaires ci-bas.

Revenez-moi jeudi prochain pour découvrir 10 suggestions de bières houblonnées à adopter juste à temps pour faire passer un été magique à votre dedans de bouche (!).