Restos / Bars

Claude Beausoleil : La chèvre de monsieur Beausoleil

Claude Beausoleil se passionne pour la cuisine autant que pour l’avenir. Toujours à inventer ce qui se fera – inévitablement – plutôt qu’à réfléchir sur ce qui s’est déjà fait, il tire vers l’avant son chariot d’innovations, d’idées et de projets.

Claude Beausoleil se passionne pour la cuisine autant que pour l’avenir. Toujours à inventer ce qui se fera – inévitablement – plutôt qu’à réfléchir sur ce qui s’est déjà fait, il tire vers l’avant son chariot d’innovations, d’idées et de projets. Citrus dans les années 80? C’était lui. Laprise, le chef de Toqué!, Daigneault, celui de L’Épicier? Lui qui les a lancés. En un sens, ce Diaghilev des restaurants est un explorateur et un découvreur de talents.

Les derniers sur la liste: Stelio Perombelon et Patrice Demers, respectivement chef et pâtissier du dernier projet Beausoleil, un tout nouveau restaurant outremontais baptisé Les Chèvres. Rien de moins qu’un resto à vocation végétale. Pas végétarien, concept trop souvent intégriste, mais orienté verdure et santé. Pas baba cool, mais chic et mode. Comme l’a fait Alain Passard à Paris, dans ce qui est certainement devenu le premier resto végétarien trois fois étoilé du monde. Les Chèvres personnifie le resto-concept – et, contrairement à la formule terrorisante, la cuisine y tient le haut du pavé. L’équipe en salle est donc inspirée par le goût, et non les courbes des serveuses. Les Chèvres, c’est aussi une ambiance apaisante, dans un cadre élégant et totalement moderne, net comme un ciseau. Les couleurs sont estivales et pétillantes – rose, vert lime, lilas -, le mobilier, inhabituellement "velu", le dossier des chaises étant censé évoquer une chèvre de dos broutant dans le pré, des détails pensés par Jean-Pierre Viau pour habiller de façon originale ces deux salles divisées par un cellier à vin bien rempli, une table à fromage et, tout au fond, des cuisines et un atelier de pâtisserie ouvert sur la salle. On se croirait dans un film d’Almodovar. Et le patron, irradiant de plaisir, le verbe haut, s’affaire à ce que tout tourne rondement. Nous sommes dans une maison bien tenue mais qui ne fait pas les choses comme tout le monde.

Au menu, il n’y a que deux plats de viande (si l’on compte le foie gras) et un poisson. Haro sur le carnassier. Dehors, fumeurs et fondamentalistes de la chair vivante. Toutes les entrées, tous les plats sont des variations sur le thème du feuillage, de la racine, du fruit et de la ramure. Mince! On imagine des saveurs translucides, des parfums herbacés, la brume des jardins matinaux, la rosée, l’humus. Pourtant, les compositions, tout en étant entièrement végétales, font parfois appel à la crème, au beurre, à l’huile de truffe, et au contrepoint du curry, du caramel ou du chocolat. Les associations sont rebelles et pourtant étonnamment disciplinées d’un point de vue technique. S’il y a spontanéité, il y a surtout un contrôle que l’on veut total dans le goût. Malgré quelques petits hoquets – une note de curcuma qui assaille et alourdit le goût d’un légume-feuille, une certaine lourdeur dans la pâte à ravioli, une crème d’avocat trop lâche -, nous en sommes encore à la phase initiale et ces anémies temporaires devraient s’éliminer d’elles-mêmes.

"D’abord", nous dit la carte, assemblée par un légume qui tient la vedette: une croustade d’artichauts à la compotée de tomates et d’olives noires, nappée d’une huile parfumée elle aussi de tomates et d’un jus de légumes. Le condiment est méditerranéen, le plat est une savante déconstruction de l’idée qu’on se fait de la ratatouille. Tout est juste, tant le parfum que la texture. La crème de topinambour soyeuse est une merveilleuse surprise, parfumée à la vanille et garnie d’oignons cippolini braisés, plutôt sucrés. Au fond du plat, on trouve des morceaux de pacanes rôtis.

"Ensuite": les raviolis de bettes et de mascarpone, que l’on assemble avec du fenouil grillé, des poivrons rouges, des pignons, du lait de coco et du curry, liés par une sauce qui fige trop vite. Mais la crêpe aux asperges – elles sont d’une cuisson et d’un goût à se jeter face contre terre et à se convertir pour l’éternité – et à l’oignon caramélisé, accompagnée d’un petit ragoût de trompettes-de-la-mort et de salsifis, sur un jus court et parfumé à la truffe, est un plat savant et travaillé minutieusement. Les desserts, est-il besoin de le préciser, pour ceux qui avaient déjà frayé avec les créations diaboliques de Demers, sont une splendeur. Et il y en a tout un choix. De la purée d’avocat (un peu doucereuse tout de même) servie dans une coquille d’oeuf et nappée d’écume de noix de coco au moelleux d’amandes fondant sur une sorte de marmelade d’oranges amères et de glace au thé, en passant par un financier épicé, une sorte de lait chocolaté à la truffe garni de bananes rôties et caramélisées. La finale reste dans le registre santé, des infusions digestives, des herbes magiques.

Parenthèse nature, ce resto est une fête pour qui cherche l’insolite. En tout cas, ces Chèvres laissent le sentiment à leurs clients qu’elles savent où elles habitent: dans le pré! Comptez environ 100 $ à deux, taxes, service et deux verres de vin compris.

Les Chèvres

1201, avenue Van Horne

270-1119