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Le cri primal de l’Univers

 

Carte de polarisation de la galaxie
Carte de polarisation de la galaxie

Il y a de ces expériences scientifiques qui laissent pantois par la précision des résultats, mais aussi par la beauté des données présentées. C’est le cas des derniers résultats de la mission Planck qui viennent d’être publiés lors d’une conférence scientifique en Italie.

La mission Planck a étudié le rayonnement de fond cosmologique. Datant de 380 000 ans après le Big Bang, c’est l’image du rayonnement qui s’est échappé de la matière lorsque la température descend sous la barre de 3000 °C, ce qui a permis aux atomes de se former et, du même coup, à l’Univers de devenir transparent. Aujourd’hui, 13,8 milliards d’années plus tard, refroidit par l’expansion de l’Univers, la température de ce rayonnement n’atteint plus que 2,7255 K.  Prédit dans les années 40 par Ralph Alpher, Robert Herman et George Gamow, il a été découvert fortuitement en 1964, par Arno Allan Penzias et Robert Woodrow Wilson, deux chercheurs en télécommunication de Bell Lab.

Pour les cosmologistes, c’est un trésor d’information sur les propriétés de l’Univers à ses tout débuts. En effet, dans le rayonnement de fond cosmologique, on retrouve la signature du cri primal de l’Univers, l’image du son de la naissance de l’Univers. En effet, les fluctuations de densité originales, qui donneront naissance aux galaxies, ont laissé leur marque sur le rayonnement de fond cosmologique sous la forme de fluctuations de température.

Le problème est que ce signal est infime. Il correspond à des fluctuations de l’ordre de 75 millionièmes de degrés K. De plus, ce signal est contaminé par les objets qui se trouvent entre nous et le fond de rayonnement cosmologique, particulièrement les émissions des gaz et de la poussière de notre propre galaxie.

Il faut séparer chaque source en fonction de ses propriétés spectrales afin d’isoler uniquement le signal du rayonnement cosmologique. Une tâche tout à fait dantesque qui explique le délai important entre la prise de données et la publication des résultats scientifiques.

En avril 2013, des résultats préliminaires, déjà extraordinaires,  avaient été publiés. Ces derniers ne portaient que sur deux cycles d’observation du ciel, alors que les nouveaux résultats portent sur 5 et 8 couvertures du ciel en fonction des instruments et bénéficient d’amélioration dans les algorithmes d’analyse. Qui plus est les données publiées couvrent maintenant les résultats en polarisation.

En effet, la lumière étant une onde, elle peut présenter des plans d’oscillation privilégiés. On dit alors qu’elle est polarisée. La polarisation offre une information complémentaire à la simple mesure d’intensité et fournit, entre autres, des informations sur la géométrie des objets. Par exemple, la densité non uniforme de l’atmosphère terrestre polarise la lumière du ciel. Une propriété qui est utilisée par les insectes et les fabricants de lunettes de Soleil.

Dans le cas du rayonnement de fond cosmologique, ce signal est au bas mot dix fois plus faible que le signal dû aux fluctuations de température. Là encore, l’effet des poussières doit être éliminé, ce qui est une opération extrêmement délicate qui demande une cartographie très précise du ciel en polarisation (voir les magnifiques images liées). Je note que ces dernières sont le fruit du travail d’un ancien collègue de classe, Marc-Antoine Miville-Deschênes, travaillant maintenant en France.

Carte en polarisation de la galaxie
Carte en polarisation de la galaxie

Si les résultats principaux présentés l’an dernier n’ont guère changé (l’âge de l’Univers est de 13,8 milliards d’années, il est composé de 4,9 % de matière ordinaire, 26,6 % de matière sombre et de 68,5 % d’énergie sombre), la précision s’est améliorée un peu, confirmant un peu plus le modèle cosmologique de concordance (ΛCDM). Même si l’on ne connait pas encore, la nature de la matière sombre, les résultats de Planck élimine la possibilité qu’elle soit constituée de particules massives comme certains résultats récents le laissaient supposer. De plus, on sait maintenant qu’il n’y a pas plus de 3 familles de neutrinos, ces insaisissables particules élémentaires, ce qui correspond exactement aux prédictions du modèle standard de la physique des particules.

Comparaison des données avec le modèle cosmologique standard
Comparaison des données avec le modèle cosmologique standard. La courbe TT correspond aux fluctuations de température, EE à la polarisation en TE au terme croisé.

On attend toujours les résultats sur le mode de polarisation B, qui est une signature des ondes gravitationnelles originelles remontant encore plus loin dans le temps. Ce signal est encore plus difficile que les autres à refaire sortir et les résultats ne sont pas attendus avant le début de l’an prochain.