De la main gauche

Moi aussi j’aime Hydro

J’ai reçu un courriel il y a quelques mois d’une certaine Christine Beaulieu, comédienne. Elle voulait me rencontrer pour discuter de ma perspective par rapport à Hydro-Québec. Quelques personnes lui avaient alors suggéré de me rencontrer, sûrement en raison de mes positions concernant l’électrification du transport.

Christine s’est présentée à l’heure dite. Alors que je réserve habituellement 30 minutes pour ce genre de rencontre, après plus d’une heure, j’avais griffonné une dizaine de pages de schémas; elle me relançait, m’impressionnait par sa connaissance de la matière, me reprenait sur le dernier tarif du solaire. Au bout de 90 minutes, je devais vraiment passer à la prochaine rencontre à mon horaire. Je l’ai invitée à compléter la discussion en fin de journée. On s’est quittés après avoir passé un autre quatre heures ensemble.

Je vous avoue que je ne savais pas trop à quoi m’attendre pour la suite, je n’avais pas vu les premiers épisodes de J’aime Hydro, cette pièce de théâtre documentaire en constante évolution qu’elle porte depuis 2015. C’est une expérience théâtrale que j’appréhendais un peu quand j’ai accepté l’invitation d’Annabel Soutar, la directrice de Porte-Parole, une compagnie de théâtre documentaire, d’assister à la première. Ça dure quatre heures, m’a-t-on averti… Quatre heures pendant lesquelles Christine nous présente cinq épisodes bien recherchés et bien remplis.

Debbie et moi avons tellement aimé que nous sommes retournés trois fois à l’Usine C en dix jours.

Je suis passionné par les questions énergétiques et considère que je connais ça un peu plus que la moyenne. Ça m’a pris quelques années à comprendre la différence entre la production et la puissance, entre un kilowatt et un kilowatt-heure. J’aime tellement ça que je suis même allé visiter LG2 avec ma fille l’été dernier.

Bien sûr, Hydro-Québec touche tout le monde parce que tout le monde doit payer la facture qu’elle nous envoie mensuellement. Mais jamais je n’aurais cru que cette pièce puisse soulever un tel enthousiasme, un enthousiasme unanime. Ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir pourront se reprendre en achetant des billets pour les supplémentaires qui seront présentées cet été et vont alors découvrir une artiste d’une grande humilité qui part à la découverte de la grande Hydro. Et qui soulèvera toutes les roches pour comprendre comment ça fonctionne.

Une vidéo brillamment intégrée à la pièce présente un extrait d’un cours magistral que René Lévesque a donné sur les ondes de la télévision d’État à des millions de Québécois en septembre 1962. Alors ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement de Jean Lesage, le formidable pédagogue qu’il était explique dans cette émission, pendant 28 longues minutes, le raisonnement derrière la stratégie de nationalisation de l’électricité. Les libéraux ont tout misé sur ce programme et ont déclenché des élections qualifiées de référendaires. Tout y passe: la dette, les taux d’intérêt, les rendements attendus, la production, la puissance… Bref, un cours de Production et financement de l’électricité 101 et 201 en accéléré.

C’est en réfléchissant à la pièce le lendemain que ça m’a frappé et que j’ai compris quelque chose de fondamental: René Lévesque ne prenait pas les gens pour des cons. Il ne sous-estimait pas la capacité de comprendre des Québécois. Il leur a servi ses arguments, les a expliqués et a compté sur leur capacité à analyser puis à faire un choix éclairé (sans mauvais jeu de mots).

Et c’est exactement au même genre de rendez-vous que Christine Beaulieu, Annabel Soutar (qui a instauré le projet) et toute l’équipe de Porte-Parole nous ont conviés.

Hydro a le dos large et s’attire les foudres de nombreux détracteurs. On l’accuse de ne pas être productive, d’avoir trop d’employés, de ne pas être connectée avec sa communauté, d’avoir eu un impact environnemental trop important. Un peu de tout ça est peut-être vrai. Mais nous avons entre les mains un joyau bâti par des visionnaires et qui demeure un formidable actif qui fait l’envie de tous. Comment s’impliquer pour l’améliorer versus le pourfendre?

Les dix prochaines années seront déterminantes. Jamais le monde de l’énergie n’a connu pareils soubresauts. Le statu quo énergétique n’existe plus, il n’y a jamais eu de changements aussi rapides. La pièce a le mérite de mettre la table et de poser de bonnes questions. C’est fou toutes les idées qui peuvent germer et se raffiner quand on aime.

Mais sortons de l’électricité maintenant et réfléchissons à ce qui nous rendrait globalement meilleurs comme société. Christine Beaulieu n’aime pas la confrontation, elle le mentionne d’ailleurs quelques fois dans la pièce. N’est-il pas temps que l’on remette au goût du jour la culture du débat de toutes les manières possibles? Avec ses partis-pris (car il en restera toujours), mais sans ses dogmes ni ses attaques personnelles.

Nous vivons dans un monde hautement polarisé qui cède de plus en plus au populisme, influencé par la dangereuse culture du clip. Il est là, le problème: l’élite n’a plus de respect pour l’opinion publique. On élimine les référendums municipaux parce qu’on redoute que vox populi soit vox stupide en titi. À nous de faire mentir l’adage qui dit que le peuple se satisfait du pain et des jeux. Je suis certain que la vaste majorité des citoyens ne demande qu’à être mieux renseignée pour mieux comprendre les tenants et aboutissants des situations complexes que doivent gérer les politiciens ainsi que les solutions qu’ils proposent. Sans doute, en comprenant mieux, nous deviendrons moins cyniques. À ce titre, les artistes ont un rôle à jouer. Certes, ils nous divertissent, mais ils nous aident aussi à mieux comprendre notre société.

Le travail d’Annabel Soutar et de Christine Beaulieu nous permet justement de nous convaincre que tous ensemble, en nous posant des questions, chacun avec ses compétences, en nous faisant confiance, nous sommes plus forts. Je me permets humblement d’imaginer une suite à leur création… Nous pourrions commencer l’écriture du premier épisode de J’aime le Québec.