Desjardins

La banalisation

C’est vrai, j’ai écrit au moins 4327 fois que je maudis les semaines thématiques. Toutes? Oui, toutes. Et ajoutez-y donc les lundis sans viande et la Saint-Valentin tant qu’à faire. Faut que je vous répète pourquoi? Parce que ce sont des prescriptions pour ne réfléchir que pendant une semaine, voire une journée. Hop une pilule, et tout ira bien.

Vous ne me suivez pas? En gros, je vous dis que la Saint-Valentin, c’est pour les cons et ceux qui ne baisent pas. Si tu te contentes de déclarer à ta blonde que tu l’aimes uniquement à la Saint-Valentin, tu ne mérites certainement pas la pipe qu’elle te fera ce soir-là. Même si c’est la seule de l’année. Et encore moins si ça tombe un lundi.

Anyway, tout cela sent toujours le gros effort de déculpabilisation, personnel ou sociétal. C’est ce qui m’agace dans ces événements qui figurent au calendrier de la bonne conscience collective.

Alors, sérieusement, pourquoi parler de la Semaine de prévention du suicide quand même? Because deux choses.

D’abord, les très nombreuses réactions à ma chronique du début de décembre sur le suicide de Marjorie Raymond. Oublions les plus favorables. Ce qui m’intéresse, c’est une réplique lue et entendue plusieurs fois de la part d’enseignantes, ou même d’élèves qui connaissaient de près ou de loin la jeune Gaspésienne. En gros, elles disent (parce qu’il n’y a que des femmes qui m’ont écrit cela): vous n’avez pas le droit, monsieur le chroniqueur. Pas le droit de banaliser sa souffrance, pas le droit de banaliser son geste non plus.

Et pourtant, s’il y a une chose qu’on devrait banaliser, c’est bien cette souffrance. S’il y a une phrase qu’on devrait répéter cette semaine, c’est que souffrir est NORMAL. Pas qu’on devrait l’endurer en silence, ce n’est pas ce que j’affirme.

Ce que je prétends, c’est simplement que ça arrive à tout le monde. En fait, c’est à ce point normal qu’il s’agit d’une des rares choses que nous partagerons tous dans l’existence: naître, aimer, souffrir, mourir. Pour le reste, ça dépend d’un million de trucs pour lesquels nous avons un certain contrôle, ou pas.

À ce sujet, j’ai rencontré un psy la semaine dernière, et il m’a parlé comme aucun psy ne le fait à la télé quand un jeune se suicide. Il m’a raconté tout un tas de choses qui vous défriseraient les directeurs d’école et plusieurs parents d’ados. Comme l’absurdité de cette minute de silence ou de cette marche à la mémoire du défunt, et le danger de dire: il ou elle souffrait trop, pour donner du sens à son geste.

Tout cela part évidemment des meilleures intentions. Mais il y a, me disait ce psy, dans cette tentative d’expliquer l’inexplicable, l’idée que la personne qui s’est suicidée souffrait plus que les autres.

Or, c’est pas vrai. Enfin pas nécessairement.

Ce qu’il faudrait plutôt dire, c’est que vous avez le droit d’avoir mal. Vous n’êtes pas obligé d’être toujours heureux, de respirer le bonheur, d’arriver au boulot avec le sourire. Vous avez le droit de vous rouler en boule dans un coin, le droit de crier et même de vous dire, parfois, que vous aimeriez peut-être disparaître. Comme on voudrait se faire couper la main quand on se brûle sur un chaudron. Même si on sait bien qu’on ne le souhaite pas vraiment.

Vous n’avez jamais, dans un accès de détresse, songé qu’un léger coup de volant vers la gauche, vers le gros truck qui s’en vient, vous exempterait de votre douleur? Si non, vous êtes bien fort, et chanceux. Pour les autres, qui constituent probablement la majorité, nous savons que la douleur est ordinaire, que la vie est ponctuée de combats, les pires étant parfois livrés contre soi-même.

Tout le monde souffre, donc. Et il faut le dire, le répéter: nous ne sommes pas seuls. C’est l’autre raison pour laquelle je parle de la Semaine de prévention du suicide.

Parce qu’il faut se donner les moyens d’évacuer la souffrance, de la vivre. Et pour commencer, il faut accepter de parfois perdre une manche. Que l’échec est acceptable, mais que le suicide, lui, ne l’est jamais.

SORTIR DE LÀ – Tant qu’à parler de lecteurs mécontents, soulignons l’apport inestimable de tous ceux qui sont venus me rappeler que le libre arbitre existe, qu’il ne faut pas déresponsabiliser les gens, et j’en passe. Bien sûr, j’ai écrit que nous ne naissons pas tous égaux. Que certains ont besoin d’aide et d’autres pas pour avoir une chance égale dans la course au bonheur qu’est la vie. Cela m’a valu de me faire traiter de fasciste, d’eugéniste, tandis que j’exposais justement que la gauche tente d’égaliser les chances. Pas d’envoyer les plus dépourvus aux chambres à gaz.

Il existe plusieurs types d’indigences. Culturelle, économique, intellectuelle. Mais de toutes, on peut s’extraire. Des fois, ça prend de l’aide, d’autres fois pas.

Ce que je sais avec certitude, par contre, c’est qu’on n’a que soi-même pour se sortir la tête du cul. Surtout si on a décidé de se l’enfoncer là de son propre gré.