Du haut de la King

Une bière avec mon député

J’ai des vieux amis avec qui aller prendre une bière est beaucoup plus compliqué. Il faut comparer les horaires, signer des décharges, s’agenouiller devant leurs blondes et jurer solennellement de ramener leurs chums en un seul morceau. Avec Pierre-Luc Dusseault, tout est facile. J’ai trouvé son numéro de téléphone sur Internet, composé, exposé mon projet à son assistante (j’ai stratégiquement omis le mot bière, seulement parlé d’une entrevue), et deux secondes plus tard, j’avais mon député, le plus jeune de toute l’histoire de ce beau pays, au bout du fil. «Et si on allait prendre un verre», que je lui dis du bout des lèvres, en fermant les yeux comme on les ferme devant l’imminence d’un accident. «Ah oui, c’est une bonne idée», qu’il me répond contre toute attente. «Attendez que je regarde mon horaire… Que diriez-vous de demain midi?»

J’arrive au Siboire pile-poil à l’heure. J’ai passé ma plus belle chemise. En polo et jeans, le député néo-démocrate de Sherbrooke adhère visiblement au concept de casual Friday. «Vous voulez toujours prendre une bière», que je lui lance, mal rassuré. «Ben oui.» Il consulte sa montre. «Il est midi. C’est parfait, non?» J’aurai vraiment de la difficulté à ne pas voter pour lui lors des prochaines élections.

Assis sur la terrasse, je feuillette les pages de mon carnet en égrenant les dossiers chauds de la dernière année: celui d’Alberto Castro, ce Colombien déporté malgré les menaces qui pèseraient sur lui dans son pays d’origine (Dusseault travaille actuellement à le ramener à Sherbrooke), celui de la démission de Miss Tropicana 2012, Bev Oda (dont il refuse de se réjouir), celui de l’aéroport dont Sherbrooke devrait se doter (un aimant pour les entreprises étrangères, jure-t-il). Nous nous vouvoyons sans déroger, ce qui ne serait pas aussi surréaliste si ce n’était de la serveuse qui nous donne du «ça va les boys?» gros comme le bras. Dusseault répond à mes questions posément, hésite parfois, mais retrouve toujours son chemin. Sa lèvre supérieure dessine constamment un petit sourire, comme s’il n’en revenait toujours pas lui-même d’avoir été élu.

En éternel ami de la trivialité, j’amadouais avec ces sujets sérieux mon invité afin qu’il s’épanche sur sa vie privée. Pouvez-vous prendre un verre de trop dans un bar (le passe-temps favori des gars de 21 ans), monsieur? «Un verre, oui. Un verre de trop, non. Il faut faire attention aux perceptions.» Et votre amoureuse, comment vit-elle son nouveau statut de blonde de député? «Au début, elle avait l’impression de me perdre. Quand on fait l’épicerie ou qu’on mange au resto, des gens viennent tout le temps me parler. Mais maintenant, ils la connaissent aussi. Ça s’est replacé.» Je sursaute quand il utilise le mot conjointe; il m’explique que c’est plus officiel et qu’après plus de quatre ans de vie commune, blonde sonne franchement réducteur.

Nous nous quittons en nous souhaitant de bonnes vacances. Il entreprend dans quelques semaines avec sa «conjointe» une traversée du Canada en train. Ça fera de bonnes histoires à me raconter lors de notre prochaine bière.

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Pierre-Luc Dusseault est coprésident d’honneur du Défi Félix Deslauriers-Hallée, du 20 au 22 juillet, un événement sportif et culturel commémorant la mémoire de ce jeune footballeur tragiquement disparu. Tous les détails au defifdh.org.