Grandes gueules

Grandes gueules

Réponse de Denis Lessard à la chronique Ondes de choc de Richard Martineau du 17 novembre.

Cher monsieur,

Je comprends que vous me faites grief de ne pas avoir identifié mes sources dans un texte publié dans La Presse, le 23 octobre. En passant, La Presse se présente comme "le plus grand quotidien français d’Amérique" et non "le plus grand quotidien d’Amérique", comme vous l’écrivez. Ce n’est pas grave, vous n’en êtes pas à votre première approximation.

Je suis arrivé à l’Assemblée nationale à l’automne 1979, simplement pour vous rappeler que je n’en suis pas à mes premières armes. J’ai connu des gens qui ont fait partie de tous les cabinets d’André Boisclair depuis son accession au Conseil des ministres, en janvier 1996.

Quand je cite dans mon texte quelqu’un qui dit: "je n’étais pas de la gang, parce que je n’étais pas gai", croyez bien que je sais à qui j’ai parlé, quand je lui ai parlé: je sais quelles fonctions il a occupées au sein du cabinet de M. Boisclair et je sais ce qu’il a fait par la suite.

Je n’ai cité qu’une personne, mais d’autres anciens employés ont aussi eu la même lecture, que ce soit au cabinet du leader parlementaire ou à celui de l’Environnement. Certains avaient des allégations bien plus percutantes, qui n’ont jamais été rapportées faute d’une double corroboration.

J’arrêterai là les précisions, même si le fait que je ne puisse identifier ces gens ennuie au plus haut point M. Boisclair et son entourage.

Ces observations ne viennent pas de gens qui se tiennent dans les bars, ni à Québec, ni à Ottawa, ni même sur le Plateau Mont-Royal. Ce sont seulement des employés du Parti québécois ou de son aile parlementaire qui gravitent encore autour de l’Assemblée nationale ou qui ont travaillé à la course à la direction du PQ. Voilà, c’est assez large pour l’enquête que souhaitent faire les amis de M. Boisclair, apparemment par votre entremise.

Aussi, contrairement à ce vous laissez entendre, ils n’ont jamais été congédiés, mais ont choisi d’aller dans d’autres cabinets ministériels. Pourquoi ne pas les nommer? Tout simplement parce qu’ils perdraient leur job demain matin.

Si vous aviez simplement pris le téléphone pour évaluer avec moi la démarche qui avait été réalisée pour ce texte comme pour celui de juin dernier, vous auriez pu constater que les allégations publiées touchant M. Boisclair, comme celles qui ont été faites sur les autres hommes publics, sont vérifiées.

Je constate qu’il était bien plus excitant dans votre blogue de pourfendre le messager que de vérifier tout le travail journalistique fait avant publication. Un travail exigeant, qui réclame d’être persistant dans l’action. La récente émission Enjeux sur M. Boisclair montre bien la nature de ce travail, qui est aussi un travail d’écoute. Comme le sujet paraît vous intéresser, j’imagine que vous l’avez regardée. Mais je vous comprends de n’en avoir pas fait mention; il était trop difficile de faire cadrer ce reportage dans votre charge à mon endroit.

Vous me donnez aussi l’occasion de parler de cet autre texte, celui de juin dernier, le premier où on ait parlé de la cocaïne et d’André Boisclair. Vous remarquerez, si vous allez au-delà des deux premiers paragraphes, que ce texte n’était pas du tout une charge contre M. Boisclair, mais qu’il établissait, le jour même de l’annonce de sa candidature, le parcours réalisé par ce jeune politicien.

Je croyais, et je le crois toujours, qu’il était normal de révéler que celui qui prétend à la plus haute fonction publique au Québec avait consommé de la cocaïne – un geste qui est toujours illégal selon le Code criminel, je vous le rappelle.

Vous attaquez l’expression "rouler à tombeau ouvert", la jugeant exagérée. Curieusement, vous laissez tomber d’autres faits – que le jeune ministre a déjà ramené les clés d’une auto louée qu’il avait "égarée" durant le week-end.

M. Boisclair, pas plus que vous, n’a jamais cru bon de relever ces détails pour faire mon procès. Demandez-vous pourquoi.

Aussi, pourquoi n’avez-vous pas relevé la confirmation de l’entourage de Lucien Bouchard, qui reconnaissait avoir rappelé à l’ordre le ministre Boisclair? Cette première mise en garde suivait celle qui avait été faite par Pierre Boileau, un autre employé de cabinets péquistes – il est un parent indirect de M. Boisclair, au cas où ce type de détail vous intéresse.

Plus tard, en entrevue à la télé, Lucien Bouchard a même publiquement confirmé que son chef de cabinet, Hubert Thibault, avait discuté de ces choses avec M. Boisclair.

Voilà pour l’essentiel. J’espère fermement, cher Monsieur, que vos écrits à l’avenir ne me forceront pas à refaire cet exercice désagréable. D’avance, je vous préviens que je n’aurai pas d’autres répliques. Je ne vous ferai pas l’aumône d’un de ces débats épistolaires dont rêvent les chroniqueurs en manque de sujet.

Denis Lessard
Chef du bureau de La Presse à l’Assemblée nationale